Yan Barcelo, 26 septembre 2010
Je poursuis dans cette chronique avec les grands thèmes qui forment les fruits privilégiés de l’Occident et dont le mûrissement est tributaire de l’héritage chrétien d’une façon fondamentale. La dernière fois, il y a trois semaines, j’avais élaboré sur le science comme un des fruits suprêmes de l’Occident chrétien. Aujourd’hui, je vais traiter des deux petites sœurs de la science :
Technologie et industrie – En établissant une filiation directe qui va de l’héritage du Christ et passe par l’œuvre intellectuel du christianisme pour donner naissance à la technologie et à l’industrie, certains vont sans doute crier au scandale. Y a-t-il rien de plus dissemblable que la haute spiritualité du Christ et… un moteur à combustion interne?
Mais je rappelle les lignes de force de la matrice chrétienne :a) l’enquête rationnelle du monde privilégiée par les grecs et le christianisme; b) la vision linéaire de l’histoire issue du judaïsme par laquelle l’univers est un long processus de dévoilement d’un plan divin cheminant vers son accomplissement; c) et surtout, l’affirmation éthique du monde telle que reçue du Christ et interprétée par le christianisme. Enlevez à l’Occident cette trinité intellectuelle et la technologie, comme la science d’ailleurs, n’auraient pas vu le jour. Dans une bonne mesure, on pourrait dire que l’Occident a reçu, dans l’événement Christ-Dieu la mission – même davantage encore : le devoir! – d’explorer les replis secrets du monde physique.
On va dire que la planète n’a pas eu besoin du christianisme pour donner jour à des techniques. Très juste. Archimède, cinq cents ans avant le Christ, a mis au point une foule machines de guerre ingénieuses. Et les Chinois, si loin de l’Occident chrétien, ont donné jour à une foule de techniques comme la boussole, le papier, l’imprimerie, le séismographe, la poudre à canon, etc. On ne peut nier ces contributions. On peut d’ailleurs en ajouter bien d’autres qui précèdent par plusieurs siècles et millénaires le christianisme : la roue, la domestication du feu, la culture maraîchère, l’écriture, etc.
Mais toutes ces avancées constituent des techniques, des outils individuels et uniques. Ce que l’Occident a mis en place, et il est le seul à l’avoir fait, c’est une technologie, c’est-à-dire une culture systématique de l’invention et une méthode de création de techniques.
De la même façon, on va dire que la Grèce, bien avant l’époque chrétienne, a mis au point la science. Erreur. La Grèce a mis au point un processus d’enquête intellectuelle et un certain corpus de connaissances. Mais elle n’a pas mis en place l’élément essentiel constitutif de la science : la méthode expérimentale. Aujourd’hui, cette méthode semble aller de soi, mais on soupçonne mal l’immense travail de réflexion et l’immense humilité intellectuelle qu’il a fallu déployer pour donner jour à cette avancée, si évidente en apparence : l’expérimentation.
Dans l’Antiquité grecque, comme chez tous les peuples qui ont exercé quelque chose qui ressemble à la science, on procédait à de la science spéculative et on expérimentale. On formulait une foule de postulats et d’axiomes et, une fois qu’on avait atteint à ce qui ressemblait à un corpus cohérent et logique, on arrêtait là. On ne s’occupait tout simplement pas de confronter ces spéculations avec l’expérimentation dans les conditions réelles de la matière.
Un symptôme de cette attitude tient à la proposition d’Aristote qui disait que de deux corps de poids différent, le plus lourd allait se rendre plus rapidement au sol. Il a fallu attendre que Galilée monte en haut de la tour de Pise et laisse tomber deux sphères de poids différent pour constater, expérimentalement, que tous deux arrivaient au sol en même temps! La geste semble tellement banal et évident, qu’il devrait aller de soi. Pourtant il a requis des millénaires de réflexion avant d’éclore.
Or, la technologie est fille de la science et de sa méthode expérimentale. S’alimentant à ces mamelles, elle met au point des techniques qui « marchent » de mieux et mieux et qui livrent des résultats de plus en plus productifs.