Archives quotidiennes : 30 septembre 2010

Impôts aux entreprises : fiction et réalité

Je vais faire ici un peu de politique-fiction. Pas dans le sens d’un scénario avec une histoire, des protagonistes, etc., mais dans le sens d’une anticipation théorique. Et sans désir, bien entendu.

En lien avec une étude du stratège géopolitique de la Financière Banque Nationale Pierre Fournier, je discourais voilà pas si longtemps dans un billet de la mondialisation du marché du travail qui est en train de fragiliser nos sociétés occidentales par les pertes d’emplois qu’elle occasionne, pour y aller au plus simple. Tout cela est franchement sujet à débat, mais ce n’est pas le but ici.

D’un autre côté, une partie de la population — ceux que j’ai déjà nommés bien « amicalement » les éconocentrophiles — voudrait bien que les gouvernements abolissent les impôts aux entreprises pour encourager l’économie, et je me dis qu’il faudrait bien lier ces deux points.

Donc, voilà, dans le cas où collectivement nous arrivions à la conclusion que les entreprises ne devraient pas payer directement d’impôt (il faut rappeler que c’est de la fiction, puisque si ça arrive, c’est clair que cela nous sera imposé), je crois que ce cadeau devrait être conditionnel. Et j’espère que vous me voyez venir!

L’idée serait que dans le cas où une entreprise d’ici ferait de la sous-traitance dans un autre pays, il y aurait une pénalité en impôt à payer en lien avec le nombre d’emplois perdus (ou non créés) ici. Je n’irai pas jusqu’à échafauder un système vraisemblable pour ma démonstration, mais il faut quand même comprendre que le but serait de faire en sorte qu’il ne soit pas bon marché pour une entreprise de déménager une partie de ses emplois ailleurs. Si une entreprise fait du profit avec ses activités ici (et qu’en plus elle ne paye pas d’impôts), je ne vois pas pourquoi on ne pourrait pas la pénaliser dans ce sens.

Rendu-là, c’est certain que nos éconocentrophiles trouveraient le moyen de pointer la chose comme étant du protectionnisme malsain, parce que pour eux la mondialisation est la perfection incarnée, et la liberté entrepreneuriale est au-dessus de toute liberté, surtout celle des individus!

Voilà pour la fiction. Même si la fin est manifestement bâclée…

Donc, j’aurais bien pu terminer ce billet là-dessus, mais je vais transformer cette fiction en réalité, du moins du côté de la vraisemblance et en lien avec le contexte actuel.

C’est simple, la prochaine fois qu’un gouvernement considérera abaisser le taux d’imposition des entreprises, il devrait le faire seulement pour les entreprises qui n’ont jamais transféré d’emplois dans d’autres pays, qui ne font affaire qu’avec des employés d’ici, selon des barèmes tenant en compte les types d’entreprises, si ce sont des multinationales, etc.

Pour qu’un jour ça ne soit plus rentable d’être infidèle au pays qui nous permet de bien brasser des affaires. Parce que dans le fond c’est bien ça la pratique de la délocalisation, c’est un flagrant manque de loyauté au nom du profit!

Mais bon, la loyauté, mis à part pour les employés, ce n’est tellement pas une valeur importante…

(Photo : rangerrick)

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Classé dans Actualité, économie, Renart L'Eveillé

Le prix de l’attente.

Au Canada et au Québec, quand il est question de soins de santé, nous sommes habitués d’attendre. Le terme « patient » est certainement approprié. Selon ce rapport, la moyenne canadienne d’attente dans les salles d’urgences est d’environ 6 heures, mais peut aller jusqu’à 23 heures. Au Québec, nous ne devrions probablement pas être surpris d’apprendre que la moyenne est 17h36 min, mais dans certains hôpitaux de la région de Montréal, l’attente peut dépasser 33 heures! On meurt très littéralement dans les corridors et les salles d’attente. Le budget du MSSS a augmenté de $12 milliards depuis 2000, mais l’attente ne fait qu’augmenter. Pourquoi?

Passons sur le fait que, parce que notre système de santé est une monopole étatique, ce qui par définition mène au gaspillage de ressources et que depuis 2000, le personnel administratif a augmenté de 52% et le nombre de cadres de 30% alors que le personnel soignant n’a augmenté que de 6%. Les fonds supplémentaires pompés dans le système ont servi à embaucher des fonctionnaires plutôt que du personnel soignant. Si ce n’est pas du détournement de ressources, je me demande ce que c’est. Mais le problème est encore plus compliqué que ça.

La dynamique d’une salle d’attente

Comme la plupart des parents, ma conjointe et moi avons passé un bon nombre d’heures dans les salles d’urgences, dans notre cas, sur la Rive-Sud de Montréal. Aussi je peux dire sans exagération que j’ai eu amplement le temps d’observer le va-et-vient continuel des salles d’attentes. À peu près à n’importe quel moment donné, il y a peut-être 30 patients qui attendent dans la salle d’urgence des deux principaux hôpitaux de la Rive-Sud. En l’espace d’une heure, 5 ou 6 patients sont appelés dans des salles d’examen. Ils sont généralement remplacés par le même nombre de nouveaux patients dans le même laps de temps, de sorte que le nombre de personnes dans la salle d’attente reste à peu près constant. (La prochaine fois que vous serez à une salle d’urgence, essayez de vous prêter à cet exercice, vous constaterez l’exactitude de ces observations.)

L’arithmétique fonctionne ainsi. Un patient qui arrive à la salle d’urgence a en moyenne 30 personnes avant lui. Si le médecin voit 5 patients à l’heure, ça prendra 6 heure à ce patient pour voir le médecin. Nous pourrions donc comparer la salle d’attente typique d’une salle d’urgence à une piscine qu’on tente de vider, mais qui se remplit aussi rapidement.

Quelqu’un qui n’est pas familier avec les lois de l’économie pourrait penser à ce point que tout ce qu’il suffit de faire pour réduire les temps d’attentes est de mettre plus de ressources, en augmentant le nombre de médecins et infirmières par exemple. Malheureusement, ça ne fonctionnera pas.

Le temps est un prix dans un système sans prix

Les prix jouent un rôle très important dans une économie de marché. Des prix élevés donnent un signal aux entrepreneurs sur les préférences des consommateurs et conséquemment les incitent à attribuer leurs ressources vers les biens et services que les consommateurs préfèrent. Un autre rôle important que les prix jouent est d’amener une certaine harmonie entre l’offre et la demande d’un produit donné. En général, on considère que toute autre chose étant égale, quand le prix augmente, la demande diminue et quand le prix baisse, la demande augmente.

Simplement, si Jacques Bonhomme, a de la difficulté à garder le stock sur ses tablettes à cause que ses clients se l’arrachent, ça pourrait être un signe qu’il ne charge pas assez cher pour son produit. En augmentant son prix, il arrivera non-seulement à réguler l’achalandage de son commerce à un rythme qu’il est capable de soutenir, mais il augmentera ses revenus en même temps. D’un autre côté, s’il voit ses stocks s’accumuler, c’est signe que ses prix sont trop élevés et qu’il doit les baisser s’il veut écouler ses surplus. Ce genre d’opération se produit à tous les jours dans les commerces au détail. Pourquoi croyez-vous qu’il y a des soldes?

Le prix agit donc comme un levier qui détermine la quantité de biens et services qu’une personne doit sacrifier pour obtenir un bien en particulier. Plus le prix d’un bien est élevé et plus vous aurez à puiser dans des ressources qui pourraient servir à autre chose pour obtenir ce bien et seuls les clients qui voudront sacrifier ces autres produits continueront d’acheter le produit en question.

Maintenant, que ferait Jacques Bonhomme s’il ne pouvait pas charger un prix en argent pour son produit, autre que de fermer ses portes à un certain moment donné et faire attendre ses clients? Les clients qui désirent beaucoup obtenir son produit attendront, d’autres non.

Le temps vient alors remplir la même fonction qu’un prix. Certains attendront parce que le temps qu’ils attendent pour obtenir le produit est le seul prix qu’ils payent. D’autres iront probablement voir d’autres commerces pour y trouver un produit similaire. Mais supposons que le produit est unique, ou que la loi interdit à d’autres compétiteurs de vendre ce produit. Il est possible alors que les gens aient une haute tolérance face à l’attente.

Ces mêmes lois économiques s’appliquent à tous les produits et services, incluant les soins de santé. Au Québec, ces soins sont dispensé par un monopole gouvernemental, centralement planifié qui ne charge pas de prix monétaire par unité de service. Plutôt que des prix monétaires, ce système doit utiliser des méthodes non-monétaires afin de réguler le flot de la dispensation des soins et de l’utilisation de ses ressources. Par règlementation bureaucratique et inévitablement, par l’attente.

La plupart des gens qui se présenteront à l’urgence auront un problème de santé suffisamment grave à leurs yeux pour supporter 6 heures d’attente. Ceux qui ont des malaises plus légers et qui s’attendent probablement à ce que ce malaise disparaisse de lui-même, ne se donneront pas cette peine. Par contre, si le temps d’attente venait à diminuer, disons à 4 heures, beaucoup des gens qui ne seraient pas venus quand l’attente était à 6 heures se présenteraient alors à la salle d’urgence. Le diagramme ci-bas illustre la relation entre le temps d’attente et la demande de soins.

Le principe est plutôt simple, plus on consacrera de personnel et de ressources pour diminuer le temps d’attente et plus il y aura d’achalandage dans les salles d’urgence, ce qui fait que la quantité de ressources qu’on devra appliquer pour diminuer le temps d’attente de façon significative pourrait être plutôt élevé.

Supposons que nous doublons la capacité de la salle d’urgence en doublant le personnel. Au départ, le temps d’attente diminuerait de 6 heures à 4 heures, mais le personnel ferait alors face à une nouvelle vague de gens dont la tolérance pour l’attente est moins de 6 heures et plus de 4 heures. L’achalandage passe donc de 5 patients à l’heure à 10 patients à 10 patients à l’heure. Bien que le temps d’attente a diminué, la diminution n’est pas dramatique et le nombre de personnes dans la salle d’attente est passé de 30 à 40.

Autre chose, bien que la quantité de personnel a doublé, la charge de travail pour ce personnel demeure la même, puis qu’elle a également doublé. Les avantages pour le personnel sont donc plutôt mitigés. Le personnel n’a donc pas un gros incitatif au changement, mais il ne font que répondre de façon normale à la situation créée par le système. Pourquoi se pousseraient-ils au-delà de leurs limites pour aucun gain appréciable?

D’un autre côté, de drainer des ressources qui peuvent mieux être utiliser ailleurs pour régler le problème n’est peut-être pas l’idée la plus géniale non-plus, mais c’est pourtant ce que nous faisons depuis très longtemps sans résultat.

Un autre effet pervers d’un système sans prix monétaires que la plupart des gens ne considèreront pas: Alors que de payer pour un service avec de l’argent représente un échange de ressources, de le payer avec du temps représente une destruction de ressource. Le temps ainsi dépensé est perdu et ne sera jamais utilisé à des fins productives. L’argent dépensé pour le service pourrait être utilisé pour acheter d’autres produits et ressources existantes. Le temps perdu aurait pu servir à créer de nouvelles ressources.

Conclusion

Étant donné la structure de nos services de santé, les temps d’attentes sont ici pour rester. Ceux qui croient que le problème serait résolu en mettant de plus en plus de ressources dans le système ignorent l’effet d’augmentation de la demande qu’engendrerait une diminution du temps d’attente. Ceux qui croient que les temps d’attentes sont tout simplement un fait de la vie inévitable ignorent qu’ils sont en réalité le résultat d’un système sans prix, administré sous des impératifs politiques.

Lorsque les prix ne peuvent pas remplir leur fonction dans le rationnement de l’offre et de la demande, quelque chose d’autre viendra remplir cette fonction. Dans le cas de notre système de santé, ce quelque chose est notre temps. Le problème est que trop de gens ignorent le coût réel en ressources perdues pour l’économie que ce système engendre. Alors que ces coûts invisibles sont faciles à ignorer, ils consomment constamment nos ressources.

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Classé dans Actualité, économie, Philippe David