Archives quotidiennes : 10 octobre 2010

Madame Irma et les extralucides

J’ai écrit, il y a quelques années, une petite ode à la lucidité qui m’a valu à l’époque quelques critiques. Mauvais citoyen, j’étais, et cynique, avec ça, qu’on m’a dit … Pourtant, c’était le temps  où j’étais plein d’espoir. Progres. Enrichissement.  Éducation. Réconciliation nationale…  Tout commençant par la lucidité.

La lucidité était la première vertu : il vaut mieux voir les choses comme elles sont que comme elles ne sont pas, n’est-ce pas ?  Lisez mon petit billet, il était bien amusant.

http://nouvellesociete.wordpress.com/2008/03/10/097-ombelix-au-pays-des-chimeres/

Amusant et vrai… à l’époque. Mais, manque de pot, le progrès au Québec s’est arrêté, l’enrichissement aussi. L’education est devenue un mauvaise plaisanterie et, au lieu de se réconcilier entre Québécois, on a ajouté des joueurs…. dont on ne s’accommode pas toujours.  Et la lucidité… ?  La lucidité a changé de sens, comme le mot collaboration en France, qui a ses hauts et ses bas…

La « lucidité », comme on se la souhaite maintenant, est devenue  synonyme de défaitisme et de trahison.  Une catastrophe à deux paliers. Catastrophe d’abord, parce que les lucides ont choisi de devenir extra lucides. Comme Madame Irma, la voyante, ils ne regardent plus la réalité, mais son reflet dans un boule de cristal où on ne voit que les illusions qu’on choisit d’y projeter.

Ils ne voient plus une réalité de besoins à satisfaire et de gens qui ne travaillent pas – et qu’on pourrait donc affecter a produire pour satisfaire ces  besoins – mais une extra-réalité d’occasions d’affaires et surtout de spéculation. Ils voient des chiffres dans un ordinateur, qu’on cherche prétexte à remplacer par d’autres chiffres, selon des règles et des critères dont on a convenu de façon tout arbitraire dans un monde irréel.

Car croyez vous qu’on « prévoit » les investissements de l’État, les taux d’intérêts, la croissance de l’économie, et donc le chomage et l’inflation ?  Pas du tout, on FIXE ces variables, créant une extra-réalité discrétionnaire, bâtie pour le seul profit des « gagnants ».  Les clairvoyants  ne prévoient rien; ils préviennent ceux qui doivent savoir, chacun à la hauteur de l’information dont il a besoin, afin qu’arrive sans surprise ce qui été « prévu ». On dit crise et il y a crise. On dit reprise et il y a reprise

Pour les extra-lucides n’y a plus des travailleurs, mais des bénéficiaires de conventions collectives et de programmes d’assistanat qu’il faut gérer sans trop de dégât.   Les consommateurs ont pour raison d’être de mastiquer et de faire disparaître au rythme adéquat la production nécessaire pour garantir la rentabilité du capital-fixe, celui-ci minuscule apex matériel  sur lequel repose précairement une colossale pymamide de monnaie, de crédit et de richesse imaginaire.

Les extra lucides ne voient pas des choses et leur valeur d’usages. Dans l’extra réalité, ils voient des ectoplasmes evanescents qu’ils appellent milliards ou trillions de dollars ou d’euros.  Les extra lucides ne voient plus des malades a traiter et a soigner, mais des usines de pilules et de vaccins, des brevets, des diplomes, des privilèges corporatistes à défendre.

Que les lucides ne voient plus qu’en extra-lucides est déjà une catastrohe, mais il y a pire. Au deuxième palier, dans la situation de crise récurrente d’un monde qui se casse la gueule, le bon augure est celui qui se gagne un succes d’estime en préyoyant que tout ira de mal en pis.  C’est le choix du plus probable, la prévision sure à faire  pour celui qui est payé à la prophétie réalisée.

Être lucide, c’est donc aujourd’hui, entre deux illusions, de choisir la plus perverse, la plus déprimante. Or, dans un monde de imaginaire, où faire des prophéties c’est faire aussi qu’elles se réalisent, la lucidité qui prévoit le pire est aussi la principale cause du malheur.

La lucidité, aujourd’hui, c’est de voir que la corruption est partout et qu’il ne reste pas trace dans la société d’un désir sincère et efficace de justice et de solidarité. Pas une chance raisonnable de changer les choses.  C’est la triste vérité lucide…

Il ne faut donc pas confier l’avenir du Québec à Madame Irma, à Monsieur Lucien ni à ses lucides. Ceux qui nous disent que les oiseaux ne voleront pas, leur couperont au besoin les ailes pour avoir raison.

Plutôt chercher un merveilleux toqué qui fera du déraisonnable. D’extraordinaires folies. Comme mettre tout le monde au travail.  Comme enseigner ce qui est utile. Comme soigner les malades.  Comme  nettoyer la société de ses éléments criminels. Comme réparer ce qui est brisé et mettre en place ce qui manque.  Comme  rendre les services qui doivent être rendus. Comme envoyer la facture également a tous, en proportion de leur richesse.

Vivement un toqué qui marchera sur les eaux –  parce qu’il saura où est le gué –  et  qui tranchera les nœuds gordiens… ou la gorge de ceux qui font des noeuds. Il n’y a aucune raison pour qu’ayant les ressources et le travail on ne puisse pas produire ce dont on a besoin. Aucune. Il n’y a que des « lucides » qui barrent la route.

Pierre JC Allard

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SIDA DE CIVILISATION : Les grandes hypothèses – 10

Yan Barceloe, 10 octobre 2010

Je poursuis dans cette chronique avec les grands thèmes qui forment les fruits privilégiés de l’Occident et dont le mûrissement est tributaire, d’une façon fondamentale, de l’héritage chrétien.

Après les premiers balbutiements articulés dans la Grèce antique, après que les penseurs chrétiens aient mis en valeur la légitimité de l’univers matériel, sa rationalité accessible à l’interrogation humaine et surtout sa disponibilité pour la multitude humaine, après que la méthode scientifique ait livré des résultats mesurables et reproduisibles, après qu’on ait mis en place les premiers procédés industriels mus par la force de la vapeur, ces étapes étalées sur deux millénaires et demi ont donné jour à la plus formidable aventure intellectuelle humaine, une aventure que toute la planète aujourd’hui est en voie de s’approprier. Cette aventure, qui n’a vraiment pris son envol qu’il y a deux cents ans, est en voie d’apporter au moins un minimum de prospérité et de bien-être matériel à des centaines de millions d’humains et, sous peu, à des milliards, en Chine, en Inde, en Amérique du Sud et ailleurs. Tous veulent cueillir ce fruit. Or, c’est à l’Occident gréco-judéo-chrétien que la planète doit ce fruit.

Encore une fois, plusieurs condamnent cette trilogie science-technologie-industrie parce qu’elle a livré tant de fleurs vénéneuses : la bombe nucléaire, la thalidomide, les paysages urbains dévitalisés, le moteur à combustion interne et sa pollution débridée. Très juste. Mais n’oublions pas le côté lumière du mur : l’électricité et ses immenses réseaux de distribution, la voiture et les télécommunications qui ont ouvert les frontières, la pénicilline, le processeur informatique, et tant d’autres.

Certes, on se débat aujourd’hui avec une crise environnementale aiguë. Mais ne sommes-nous pas un brin impatients et injustes en condamnant la science et ses enfants de la technologie et de l’industrie. Jusqu’à il y a 60 ans, à l’aube de la naissance de la discipline écologique, les humains percevaient en général la nature comme un adversaire dont il fallait constamment se protéger et qu’il fallait « dominer » pour assurer cette protection. Ses ressources semblaient inépuisables. Ce n’est que dans les dernières 60 années que nous avons lentement renversé cette vision pour en venir à une perception de la nature comme un jardin planétaire vulnérable, qu’il nous appartient de cultiver et protéger, et dont nous devons assurer la pérennité. Encore une fois : un tel coup d’œil est extrêmement récent et il faut lui donner le temps de s’articuler et de se déployer, ce que nous sommes en train de faire, lentement mais sûrement. Condamner au nom de cet idéal nouveau et récent tout l’effort scientifique et technique s’avère un geste naïf, bête et méchant.

Nous sommes seulement au début de cette crise, une crise qui est elle-même le fruit de trois disciplines qui ne sont vieilles que de 200 ou 300 ans. Dans l’histoire de l’humanité, qui s’étale sur 2 millions d’années, 200 ou 300 ans, c’est rien! Donnons encore 1000 ans à la science-techno-industrie. Un coup parti, donnons-lui 10 000 ans! Ne peut-on croire que nous aurons résolu la plupart, sinon tous les problèmes écologiques, qui semblent aujourd’hui insurmontables. On connaît le symbole chinois qui exprime en même temps crise/occasion. La crise actuelle pourrait être fatale – ce dont je doute immensément – mais elle sera plus probablement l’occasion d’insuffler à la science-techno-industrie des virages déterminants vers de nouveaux horizons propres, plus humains, plus… chrétiens.

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