Il y a une ou deux décennies, lorsque je voyageais en France, comme un bonhomme- touriste, je m’étonnais d’entendre à la radio autant de musique pop américaine et anglaise. Il n’y avait pas de mal à cela me disais-je, mais je trouvais quand même que cela manquait de diversité.
C’était comme si, pour la jeunesse française, le divertissement – le divertissement un peu osé, ‘libéré’ – était devenu anglo-américain et qu’il ne restait plus, pour la ‘«culture française», qu’un espace restreint, dans un coin de la nation.
Ce n’est pas que la culture française, pour moi, était morte. Je me souviens de ces concerts de musique ancienne, dans l’amphithéâtre des Halles, les anciennes halles, où un orchestre se produisait avec ses violes de gambe et tout et tout. Et puis, aussi, ces récitals de musique du Moyen Age, dans le beau mystère de la Saint Chapelle. Sans oublier le résonnement des grandes orgues de l’église Saint-Eustache, au pied de la riche rue Montorgueil, qui donnait à coup sûr ces frissons dans le dos si particuliers.
La culture française, à bien y penser, était-elle, ainsi, devenue ‘«ancienne»? Ce n’était pas ce que je souhaitais pour ma part. Je voyais bien que Johnny Haliday, avec son beau nom «global», ne passait pas la rampe internationale; cela faisait un peu trop caricatural… La culture française que je voyais et à laquelle je voulais me rattacher, était actuelle, présente; elle avait été valorisée par mes enseignants jésuites, notamment, qui accordaient à la langue elle-même de bons points pour sa clarté et sa beauté; pour son universalité surtout.
La «Nouvelle histoire de la langue française», de Jacques Chaurand, explique bien comment cette langue a une présence bien actuelle et comment elle a le devoir de durer; comment avoir sa place centrale dans le monde. C’est, explique-t-il dans son livre bien documenté, qu’avant tout elle est «belle» et qu’ainsi elle a avantage, en chanson ou autrement, de se maintenir en place, de rester mondiale.
Or il y a un signe qui montre, dans la vie présente, que la France s’engage dans le provincialisme; qu’elle baisse les bras en matière d’autonomie culturelle. C’est une coutume désagréable, pour le moins; un pli dangereux certes.
Si une télévision ou une radio françaises entreprennent de réaliser une émission sur Florence, par exemple, ou sur les philosophes athées… n’importe, il peut y avoir des moments creux, des entredeux. Or à chaque coup ces pauses de réflexion ou ces respirations sont inévitablement meublées de musique pop anglo-américaine. Les réalisateurs veulent probablement ainsi faire «moderne»; mais ils ne font que montrer leur dépendance à la culture de l’Autre. Ces bouche-trous musicaux sont uniquement faits de musique anglaise dont les paroles sont la plupart du temps incompréhensibles mais qui ont pour effet de distraire et de poser la question de la soumission de l’Hexagone à l’Autre. Si ces pauses étaient variées et en rapport avec les propos tenus dans ces émissions diffusées, le mal serait moindre, peut-être même serait-il nexistant?; mais il n’y a pas d’exceptions… Pourtant les mondes espagnol, allemand, russe pourraient fournir autant d’instants de musique bonnes à colmater les souffles, les brèches, les vides… Il existe assez de musique française, du reste pour faire les liens qui s’imposent.
Dans bien des pays – que ce soit au Québec ou au Sénégal – les auditeurs, sont souvent surpris de ces choix insolites. Au Québec, rappelons-le, la société combat pour enrichir son vocabulaire, pour former ses phrases, pour rester française, ne pas devenir «american».. Il arrive souvent, là, que les discours sortent des bouches comme de la bouillie. La distance est grande entre l’Académie française et les bords du Saint-Laurent. Mais il se trouve encore, en ce Nouveau monde des résistants de la langue française qui ont des succès relatifs; lesquels, par leurs actions, contribuent à la diversité culturelle mondiale. Il est bon, certes, que l’Amérique ait sa petite flamme française vivante, tout à côté des déflagrations des États-Unis et des chaleurs latines au sud.
Alors la France n’a-t-elle pas le devoir de donner l’exemple de sa solidité culturelle globale? Ne doit-elle pas cesser de choisir de faire du remplissage dans ses communications uniquement par ces boum boum et ces ye ye de New York et de Californie? de se jeter ainsi à genoux psychologiques devant les Amériques? L’affaire commence à ressembler à une maladie, à une névrose…
Il est possible que cette coutume répréhensible soit le résultat de la privatisation de la radio française il y a bien des lunes; on a ainsi voulu se montrer dans le courant moderne pour plaire aux ados…Mais la modernité se trouve partout, sur le Globe. Et, pour ma part, il m’est parfaitement détestable de me faire tisser les émissions – même les bonnes – par du fil usé et insolite.