Archives quotidiennes : 29 novembre 2010

L’ « Effet Assange »

Depuis quelques mois, on parle beaucoup de Julian Assange et de Wikileaks, de millions de documents secrets qui risquent d’être dévoilés. Pierre Haski, sur Rue 89, faisait le mois dernier un bon topo de cette situation inédite  http://www.rue89.com/2010/10/24/documents-wikileaks-ces-fuites-qui-brouillent-le-jeu-mondial-173031 . Ne revenons pas sur les faits, ils sont connus  restons plutôt sur ce qu’ils ont d’inédit.

L’inédit, dans l’Affaire Wikileaks, c’est le stupéfiant retour du pendule qu’elle semble indiquer dans la lutte pour le pouvoir entre l’oligarchie dominante – représentée ici par l’État et les médias –  et l’individu… Un individu comme vous et moi qui, apparemment, sort de nulle part et fait trembler tous les gouvernements.

Surprenant.  Est-ce bien vrai ?  L’hypothèse la plus probable demeure qu’Assange  travaille et soit protégé par un État. ( USA, Chine, Russie… Allez savoir… ) et jouisse de ce qu’on appelait le « KGB-level protection », celle qu’on donne a Obama quand il est en public, incluant un mec assez motivé pour de lancer entre vous et la balle qu’on vous destine. Cela supposerait une intention politique derrière les révélations.

Moins probable, mais bien possible, serait qu’il bénéficie de cette même protection, mais payée et assurée par des privés.  Soros, Gates, Mittal et bien des Chinois peuvent se l’offrir.  C”est pour ça qu’il y a – relativement –  peu de kidnappings à Singapore. C’est un filon à explorer, surtout qu’on sait que Monsanto vient d’acheter les ex-Blackwaters !  Le but, en ce cas, serait d’obtenir les  « bonnes décisions » des gouvernements. Chantage du type garde prétorienne sur les empereurs romains. Une approche qui semble inutilement compliquée, mais on ne sait naturellement pas tout…

Si on écarte ces deux explications “raisonnables”, il reste celle d’un franc-tireur qui crée PERSONNELLEMENT un tel réseau de divulgations sous conditions suspensives enchevêtrées, qu’il peut marcher indemne au milieu des flammes. On l’a vu faire dans de petits pays pour de brèves périodes de temps et en cherchant la discrétion. Assange tenterait de le faire pour longtemps – ça reste à voir – et  en misant sur la plus grande publicité possible.

On aurait alors ici le vieux truc des échanges d’otages auquel l’essor des communications donnerait  tellement d’envergure et de subtilité que sa nature même en serait changée. On serait dans du nouveau.   L’individu qui peut remettre le monde dans le droit chemin… ou faire chanter tout le monde…

C’est aujourd’hui 28 novembre, 22 h 30 de Paris que les révélations vont commencer… Le New York Times, l’hebdomadaire allemand Der Spiegel ainsi que les quotidiens britannique Guardian, espagnol El Pais et français Le Monde, et ça pourrait durer longtemps.  Évidemment, ça pourrait être aussi très court, car Assange a peut-être déjà négocié une très large part de discrétion… ou se trouvera peut-être dans la trajectoire d’une balle perdue.  Mais s’il travaille à son compte et qu’il en est là aujourd’hui, capable de faire ce qu’il est à faire, son intervention, du simple fait qu’elle ait été possible, aura marqué déjà un changement  irréversible dans la société dont on ne semble pas encore mesurer toute l’importance.

Il y a au moins deux génération qu’on nous rabâche sentencieusement que l’individu est devenu sans défense devant l’État ; nous avons été bien peu nombreux à dire que cette lecture était fausse et que c’est la collectivité, dans une société complexe, qui devenait peu à peu à la merci de chacun…   Assange est la preuve vivante de ce pouvoir croissant de l’individu, dont l’Internet a complété l’arsenal en lui permettant  d’agir en bloc sur la collectivité comme la collectivité auparavant était seule à pouvoir agir d’un seul geste sur l’ensemble des individus.

Quelle que soit la façon tragique ou cynique dont se termine l’aventure Assange, il va falloir transformer radicalement les rapports dans la société pour tenir compte de cette montée en puissance toujours possible de l’individu.

Il va falloir parler  désormais avec beaucoup plus de respect à tous les lambdas qui, quand une information leur donne un pouvoir, ne sont plus vraiment des quidams…  On savait déjà que la complémentarité des compétences, faisant de chacun un élément indispensable d’un système de production intégré, rendrait tôt ou tard une vraie démocratie possible, en fait inévitable. Mais c’était un processus lent…

Quand apparaît un accès aléatoire et souvent imprévisible à l’information – et une possibilité de diffusion illimitée ! – on a une nouvelle variable dans l’équation. Un pouvoir circonstanciel peut naître inopinément partout… et un respect accru s’impose IMMÉDIATEMENT pour tous les lambdas. Au moins pour les millions dont on ignore s’ils n’ont pas  un téléphone caméra dans leur poche…. L’information devient le « great equalizer ». On n’échappera pas à cet « Effet Assange »  de redistribution du pouvoir dans la société par l’information.

Plus problématique, mais à ne pas écarter du revers de la main, un impact du personnage Assange lui-même sur une société  en quête de modèles. Si cet homme a un MINIMUM de liberté d’action personnelle en cette affaire, il pourrait  incarner parfaitement le justicier en opposition à un pouvoir corrompu.  Il pourrait  devenir un héros, puis rapidement un leader.  Si cet homme a le caractère requis, il va inspirer de la crainte et, s’il est loyal, susciter aussi de grandes loyautés. On a donc ici les éléments pour créer un « Chef » au goût du XXIe siècle.

De là à penser qu’Assange serait l’homme pour nettoyer assez rondement le cloaque sans espoir qu’est devenu le Système actuel et sa démocratie bidon….  Je ne vois rien aujourd’hui, à la Une des journaux, qui ressemble autant à un « homme providentiel » qu’Assange.  Pour le meilleur ou pour le pire.  Comme tout ce que fait la Providence.

Assange est-il le précurseur d’un nouveau type d’homme de pouvoir ?  S’il n’est pas tu ou tué, cette idée va inévitablement faire son chemin. On en reparlera.

Pierre JC Allard

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