PARTIE 1
Un boulon crée une liaison complète, rigide et démontable, entre les pièces qu’il traverse et presse l’une contre l’autre Wiki
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Au plus élevé trône du monde, on n’est jamais assis que sur son Cul.
Montaigne
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Dans une lettre ouverte envoyée aux médias, un regroupement de professeurs d’université dénonce le fait que l’on « n’enseigne plus à l’être humain pour ce qu’il est, mais pour ce qu’il fait. »
Il y a longtemps que l’alarme est sonnée pour l’insidieux mouvement qui fait du citoyen une sorte de boulon pour les grosses machines qui s’arrachent des morceaux de pays ici et là.
Au début des années 90, les écoles commencèrent à utiliser un nouveau vocabulaire : l’élève devint un « client », et l’enseignant, un formateur. Puis le directeur, un administrateur. Un vrai. Comme les éleveurs de moutons : salaire de base plus commission au rendement.
Comme disait le comique : « Un sourd n’est pas un malentendant puisqu’il n’entend pas du tout ».
L’éducation a calqué le grand monde de la finance, arrachant l’âme de l’humain pour l’intégrer au monstrueux bulldozer de la mondialisation.
Aujourd’hui, tout se règle par l’administration. Sorte de panacée aux maux…qu’elle engendre. Il y a toujours une rangée de sardines de penseurs agglutinés dans leur tour à bureau.
« Je travaille dans une boîte »… L’expression est inconsciemment consacrée.
Ils pensent… Ils réfléchissent… Ils tricotent des théories souvent fumeuses, disjointes de la réalité.
Plus ça va mal, plus on en crée pour régler les problèmes.
Le système de santé du Québec en est sans doute le plus représentatif :
Depuis 2000, le personnel administratif a crû de près de 52% et les cadres de 30% dans le réseau de la santé québécois. Pendant ce temps, le personnel soignant n’a augmenté que de 6%, révèlent des données gouvernementales compilées par la Fédération des médecins spécialistes du Québec (FMSQ).
Si bien que, actuellement, environ 108 000 employés du réseau de la santé se consacrent aux soins alors que 100 000 occupent des fonctions de gestion ou d’administration. «C’est quasiment un ratio de un pour un! On est actuellement surencadré, dans le réseau, affirme le président de la FMSQ, le Dr Gaétan Barrette. On sabre toujours du côté des soins aux patients. Il y a beaucoup de confort administratif.» CPAM
Éducation
De fait, depuis 20 ans, la tendance est à l’utilisation d’un citoyen-rivet, sorte de fondue d’acier qui sert à joindre les industries éparpillées dans le monde.
Et l’éducation est la base de cette calamité qui se répand jusqu’au point de non-retour.
Dans L’éducation victime de cinq pièges, Ricardo Petrella avait déjà noté cette tendance dans les années 90.
« Sous l’influence des systèmes de valeurs définis et promus par les écoles de management, axés sur les impératifs de la productivité et de la performance compétitive, prêchés par leurs commanditaires ( les entreprises), le travail humain a été réduit à une « ressource ». Présentée comme un progrès (…) cette réduction a eu deux effets majeurs.
En premier lieu, en tant que ressource, le travail humain a cessé d’être un sujet social. Il est organisé par l’entreprise (…) et par la société, dans le but prioritaire de tirer de la ressource humaine disponible la meilleure contribution possible, au moindre coût, à la productivité et à la compétitivité de l’entreprise et du pays.
Deuxième effet : dépossédé de sa signification en tant que sujet social et, donc, « extrait » de son contexte politique, social et culturel propre, le travail humain est devenu un objet. Comme toute autre ressource, matérielle ou immatérielle, la ressource humaine est une marchandise « économique » qui doit être « librement » disponible partout. Les seules limites à son accessibilité et sa libre exploitation sont de natures financières ( les coûts).
La ressource humaine n’a pas de voix sociale, pas de représentation sociale. Il n’y a, d’ailleurs, pas de « syndicats de la ressource humaine »! Elle n’a pas, en tant que telle, de droits civiques, politiques, sociaux et culturels : elle est un moyen dont la valeur monétaire d’usage et d’échange est déterminée par le bilan de l’entreprise. La ressource humaine est organisée, gérée, valorisée, déclassée, recyclée, abandonnée, en fonction de son utilité pour l’entreprise. ( P.13, 14, L’éducation, victime de cinq pièges.).
La boussole de l’école
Les « jeunesses hitlériennes » représentent un exemple parfait de la prise en charge par un État de l’éducation du jeune, en vue de le rendre totalement soumis et modelé à une idéologie. Existe-t-il encore aujourd’hui un tel « lavage de cerveau » éducatif pour posséder des instruments de prosélytisme et de conquête ? Jeunesse hitlérienne
L’auteur parle ici des talibans. Mais dans un monde en apparence démocratique, avec tous les pouvoirs de manipulation camouflés, est-il possible de reproduire un modèle semblable sans que nous en ayons vraiment « conscience »?
On ne sera pas étonné, alors, malgré les vœux pieux du « renouveau pédagogique » enclenché il y dix ans, de faire un constat d’échec, comme ce fut le cas pour les passagers du Titanic : trop tard. Le bateau va trop vite.
On aperçoit le morceau de glace tout en ignorant ce qui se cache dans les profondeurs.
Il n’y a pas que les élèves – les clients, dis-je- qui vont couler.
L’école s’est depuis longtemps affilié et imbriqué au secteur économique mondialisé.
Le client a raison, l’État a raison, et tout le monde osant protester est traité d’ignorant ou de réfractaire. D’où le parfum de désobéissance civile qui en émane, ainsi que le grand déploiement – payé par les citoyens – pour maintenir l’ordre dans une société…ordonnée.
600$ millions pour un G, c’est coûteux.
Les « spécialistes » se présentent comme le petit diplôme des politiciens. La plupart des gens n’ayant jamais mis les pieds sur le terrain.
Les enseignants, professeurs, ne sont plus de rôle réel, du moins dans un contexte social élargi : c’est l’État qui « distribue » les compétences des « décideurs ».
Voilà pourquoi la lettre dont je vous parlais arrive trop tard.
C’est encore un piège des démocraties néolibérales qui se sont donné pour tâche de créer le citoyen parfait pour …entreprises.
Le boulon qui pense ne vaut guère mieux.
C’est seulement que le boulon a pour tâche de « vendre » la bonne nouvelle sous tous les formats.
Tous les exécutants ont de beaux lavabos…
C’est comme ça qu’on se fait crucifier…
Avec la montée des prix des aliments, on est tout près d’être rationnés au vinaigre.
La faute est aux « changements climatiques ».
PARTIE 2
Il y a des gens qui parlent, qui parlent… jusqu’à ce qu’ils aient trouvé quelque chose à dire.
Sacha Guitry
Éducation : le rouleau compresseur des compétences
La crise économique, historique et culturelle qui traverse nos sociétés, sous des modes et formes différentes, structure un paysage de menace autour de l’institution scolaire et des pratiques éducatives. Une subjectivité et un ensemble de politiques de l’immédiat disciplinent et formatent le champ pédagogique actuel.
La pédagogie qu’on nous impose se veut exercice de développement d’armes pour la vie et le sens de l’humain à éduquer tend à devenir celui d’un homme sans qualités sur lequel l’éducateur est convié à coller des «compétences clés» pour une réussite dans la vie essentiellement définie par le critère de l’employabilité.
Dans cette «nouvelle» école, on n’enseigne plus à l’être humain pour ce qu’il est, mais pour ce qu’il vaut. La connaissance n’a de valeur que si elle répond aux besoins du marché, si on peut lui accorder une valeur marchande.
En provenance essentiellement du monde de l’entreprise et relayée par une volonté technocratique d’optimiser l’efficacité des systèmes éducatifs, l’approche par compétences dans l’éducation s’introduit dans tous les pays (du nord comme du sud, à tous les niveaux des systèmes éducatifs, dans l’enseignement général comme technique), au mépris du terrain et vole un temps précieux à celui d’enseigner et d’éduquer.
Se présentant tantôt sous la forme de programmes ou pédagogies par compétences, tantôt sous de nouvelles formes d’évaluation très standardisées (quand ce n’est pas sous les trois), elle impose une logique essentiellement évaluatrice et normalisatrice du comportement, tendant à rabattre le sens de l’efficacité scolaire sur l’efficacité économique et à discréditer les connaissances. Nous pensons que, pour paraphraser Hannah Arendt, on ne saurait éduquer sans un minimum d’étanchéité de l’école aux impératifs de la recherche d’un emploi.
Nos enfants ne marchent pas tous sur le même chemin. Leurs qualités, affinités électives et ancrages socioculturels conditionnent l’état de ce chemin. Mais cela ne justifie pas que nous les appréhendions essentiellement sous la forme du manque, comme le veulent les adeptes du modèle éducatif fondé sur les compétences.
Lorsque nos institutions déterminent par exemple, à travers un «socle» de compétences, «ce que nul n’est censé ignorer en fin de scolarité obligatoire sous peine de se trouver marginalisé», que font-elles sinon entériner la fracture sociale et rendre les futurs exclus (et leurs enseignants) responsables d’une exclusion dont les racines sont ailleurs? Comment pouvons-nous instruire et éduquer sous une telle menace? Les compétences clés deviendront pour nos élèves un malheureux passeport pour la survie, nous invitant à faire un tout autre métier: construire artificiellement des comportements efficaces professionnellement et utilisables économiquement.
En la matière, l’expérience québécoise est éloquente. La réforme fondée sur les compétences, imposée depuis maintenant plus de 10 ans, a produit des ravages tels qu’aujourd’hui, ce sont les fondements mêmes de l’école publique qui sont ébranlés.
Éduquer, nous en sommes convaincus, est autre chose. Non que nous soyons agrippés aux formes académiques du passé: l’école doit répondre aux enjeux de son temps. L’un de nos défis est très certainement de parvenir à transmettre des connaissances et des savoir-faire qui «servent» aux élèves, non au sens d’une pure et simple efficacité économique et individuelle, mais d’une efficacité multiple, du sens donné au passé et au monde, de l’engagement dans la construction de l’avenir de la société…
Mais ce défi, aucune politique décidée dans l’abstrait, encore moins depuis des standards économiques et d’efficacité à courte vue, ne pourra le relever. Nous revendiquons l’expertise quant à la nécessaire invention, quotidienne et soutenue, de notre métier, l’enseignement. Et nous exigeons des instances qui nous dirigent de préférer à toute logique de pouvoir séparateur et brutal, l’accompagnement des pratiques, des recherches et expertises du terrain, afin de permettre aux enseignants de potentialiser leur puissance d’agir et de relever les défis d’une école qu’ils sont le mieux placés pour connaître.
* Les cosignataires de la lettre: Normand Baillargeon, professeur et essayiste, Université du Québec à Montréal (Québec); Gérald Boutin, professeur en sciences de l’éducation, Université du Québec à Montréal (Québec); Michel Bougard, historien des sciences, Université de Mons (Belgique); Fanny Capel, professeure agrégée de lettres, membre de l’association Sauver les lettres (France); Robert Comeau, historien, professeur associé, Université du Québec à Montréal (Québec); Kaddour Chouicha, enseignant chercheur, Université des sciences et de la technologie d’Oran (Algérie); Huguette Cordelier, ex-enseignante spécialisée, fondatrice de Sud Éducation (France); Charles Courtois, historien et professeur au Collège Royal Militaire de Saint-Jean (Québec); Liliana Degiorgis, sociologue, directrice du laboratoire de recherche de EDUCA (République Dominicaine); Angélique del Rey, professeure de philosophie et essayiste (France); Joseph Facal, professeur agrégé, Hautes études commerciales de Montréal (Québec); Luis Javier Garcés, docteur en éducation, enseignant-chercheur de l’Université Nationale de San Juan (Argentine); Willi Hajek, formateur syndical, TIE (Allemagne); Nico Hirtt, enseignant chercheur (Belgique); Ken Jones, professeur en éducation, Université de Londres (Angleterre); Sylvain Mallette, enseignant, vice-président à la vie professionnelle de la FAE (Québec); Estela Miranda, docteure en éducation, directrice du doctorat en sciences de l’éducation de l’Université nationale de Córdoba (Argentine); Rosa Nunez, membre de l’institut Paulo Freire du Portugal et professeure à la faculté de psychologie et de sciences de l’éducation de l’Université de Porto (Portugal); François Robert, consultant indépendant en éducation (France); Juan Ruiz, docteur en éducation, enseignant-chercheur de l’Université nationale de la Patagonie australe (Argentine); et Pierre Saint-Germain, enseignant, président de la FAE (Québec). Cyberpresse