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O liberté! Que de turpitudes financières en ton nom.

Yan Barcelo, 6 février 2011

 La semaine dernière j’ai traité du thème de la liberté en soulignant combien notre vision prévalente ne retient qu’un pan de celle-ci : la possibilité d’action sans contrainte. Cette vision masque tout le pan invisible de la liberté qui est celui de la responsabilité. Plus encore, dans ma proposition, je mettais de l’avant l’idée que la responsabilité est première et fondamentale, la liberté se présentant en fait seulement dans un deuxième temps.

J’ai indiqué que cette chronique traiterait des conséquences néfastes de notre vision unilatérale. Je vais en mettre de l’avant trois.

Maîtres de l’univers – On ne reviendra jamais assez sur l’obscène scandale de la crise financière. Qu’est-ce qui réside au cœur du cœur de cette crise? L’irresponsabilité. Une irresponsabilité devenue systématique et systémique.

Un des gestes originels de cette irresponsabilité tient au phénomène de la titrisation. Qu’est-ce à dire? La titrisation est l’acte par lequel une banque transforme en titres d’investissement les dettes et hypothèques qu’elle détient dans ses comptes et, via une foule d’organismes intermédiaires, les transforme en une multitude de produits dérivés. En newspeak financier, on appelle ça de la « gestion de risque ». La banque transfère à d’autres, en leur promettant un certain rendement à l’avenant, les risques qu’elle ne veut plus assumer. En réalité, c’est un processus systématique par lequel les institutions financières se dégagent de leurs responsabilités et devoirs – la gestion des prêts qu’elles ont librement consentis – pour en refiler la charge à d’autres.

Cette irresponsabilité érigée en système, à partir de ce mécanisme de titrisation, a entraîné une chaîne interminable de processus tout aussi irresponsables. Tout d’abord, les banques étant libérées de leurs prêts antérieurs, avaient toute la place pour en absorber de nouveaux – pour aussitôt les refiler à d’autres. Quelle aubaine! Elles avaient trouvé un mécanisme financier légal pour faire assumer leurs responsabilités par d’autres.

La chasse aux prêts était donc ouverte – et peu importe la qualité des prêts qu’elles consentaient – l’important était de recruter des millions de nouveaux débiteurs pour alimenter la machine de titrisation. Pour y parvenir, les banques ont donné le mandat à des armées d’intermédiaires, des courtiers en prêts, pour mettre le grappin sur n’importe quel imbécile muni d’un salaire annuel de 35 000 $ assez stupide pour aller s’encombrer d’une maison de 500 000$ munie d’une hypothèque de 495 000$. J’exagère un peu pour le propos de l’argumentation, mais à peine. Évidemment, on peut se questionner aussi sur le sens des responsabilités de notre imbécile.

Cette partie de la machine de titrisation, du côté input, servait à nourrir son appétit boulimique carburant à l’irresponsabilité. Côté output, la machine se prolongeait dans une multitude d’autres intermédiaires (fiducies, special investment vehicles, hedge funds, etc.) dont la tâche était de trouver des acheteurs de ces dettes titrisées. C’était un autre suppôt d’agents irresponsables dont la tâche était de fabriquer des pseudo-titres d’investissement composés à partir de toutes sortes de détritus de dette. Évidemment, ces tours de passe-passe étaient puissamment aidés par les Standard & Poor’s et Moody’s de ce monde qui s’occupaient de donner des cotes du plus haut niveau à ces bouts de papier qui valaient moins que rien.

Et bien sûr, n’oublions pas à l’autre bout de la chaîne ces grandes institutions des gestion de portefeuille (toutes les Caisses de dépôt et OMER’s de ce monde), elles aussi irresponsables dans leurs achats de ces « titres », qui amenaient cette longue chaîne d’irresponsabilité à terme. En croyant acheter des « titres de dette » transformés par sorcellerie financière en « titres d’investissement », elles achetaient en fait les problèmes des autres – et pensaient du coup faire beaucoup de profits.

Aujourd’hui, comble de l’irresponsabilité, ces maîtres de l’univers du monde financier sont de retour en force, indemnes, dans leurs bureaux de Wall Street, nantis de salaires et de bonis aussi démesurés qu’ils l’étaient avant la crise. On parle souvent des billions de dollars que leur sauvetage a coûtés, mais n’oublions pas les billions en dommages économiques et en chômage que leur irresponsabilité a entraînés. Or, ces billions de dollars, que les gouvernements – suprêmement irresponsables – ont endossés et dépensés pour tenter de limiter les dégâts, ce sont tous les contribuables-moutons qui devront payer pour. Comment? Lentement, péniblement, douloureusement au fil des années à force de hausses d’impôt, de taxes de toutes sortes. Et un peu plus tard, ce sont leurs revenus de pension qui ratatineront parce que les gestionnaires de fonds qui administrent leurs avoirs auront failli à leur devoirs et responsabilités et parce que les gouvernements, surendettés, n’auront tout simplement pas les moyens de payer pour ces pensions.

Si on voulait faire la preuve que notre notion de liberté a dégénéré en revendication de licence et de caprice, en un désir démesuré de liberté sans contrainte, et que nous avons jeté aux orties toute notion de devoir et de responsabilité, on ne pourrait pas trouver plus flagrante démonstration que cette crise qui a déferlé sur la moitié du monde.

(Je poursuivrai la semaine prochaine avec une discussion de deux autres secteurs où notre notion tronquée de liberté entraîne nombre de conséquences négatives.)

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