Image Flickr par swissfabian
La crise de la santé, c’est qu’on a promis la gratuité; or la demande pour la santé est insatiable alors que les ressources pour y répondre sont et resteront toujours limitées et que les progrès de la science font qu’il y aura de plus en plus de « santé » à offrir. Facile de comprendre que, dans le scénario d’un besoin infini, il faudra, pour tenter de le satisfaire, y affecter indéfiniment de plus en plus de moyens et que le coût de la santé sera indéfiniment croissant, au rythme des progrès de la médecine.
la gratuité de la santé a eté une promesse inconsidérée faite pour plaire, dans une totale ignorance de ce que la médecine allait bientôt rendre possible et de ce qu’il en coûterait pour l’offrir. Parce que la société avait accoutumé de vivre dans le miroir d’une richesse monétaire et ne gardait qu’un contact tenu avec les choses, ce coût sans cesse croissant de la médecine n’est apparu d’abord que comme un inconvénient… la vie n’a pas de prix, n’est-ce pas, et l’argent n’est que du papier….
Difficile, pour une société monétarisée, de comprendre que le coût réel des choses – de la médecine comme du reste – c’est le travail qu’elles exigent et le travail qu’a exigé la formation qui doit le précéder. Derrière le symbole de l’argent, le coût réel de la médecine se mesure en temps de travail : c’est le temps précieux du personnel de santé qualifié. Il s’agit du temps de travail de médecins, d’infirmières, d’auxiliaires et de tous ceux qui collaborent à la production des intrants de tout ce qui sert à soigner et à guérir.
Quelle que soit la valeur monétaire qu’on leur fixe, les services médicaux ont un coût réel qui ne se mesure pas en argent, mais en « temps/compétence ». Ce coût est élevé et il augmentera. Indéfiniment. La crise actuelle du système de la santé revêt la forme d’une explosion des coûts, mais le problème des coûts sur lequel achoppe notre réseau de santé dans son expansion est un problème d’allocation des ressources humaines.
Le grand mal dont souffre notre réseau de la santé est une mauvaise utilisation systémique des compétences dont il pourrait disposer. Des compétences qui ont été transmises sans égard aux besoins réels, ni aucune rationalité autre que celle d’une tradition pour ménager tous les corporatismes.
Une réduction des coûts-travail unitaires passe par une meilleure répartition des tâches, une formation plus pointue, une affectation plus efficace des ressources, même si cette ré-affectation doit transgresser quelques tabous. C’est ça que doit signifier, dans la réalité, un effort pour réduire les coûts de la santé. La crise de la santé n’est pas une question financière à résoudre par des manipulations budgétaires, mais un problème d’allocation optimale de nos ressources humaines qui sont et resteront éternellement limitées.
Une part croissante du travail sera affectée dans l’avenir au secteur santé, mais, même avec ce transfert de ressources, la science ira encore plus vite; même si l’on consacrait toutes les ressources de la société à donner ce que la médecine peut offrir, on n’y parviendrait pas. C’est un gouffre sans fond. Qu’on la donne ou qu’on la vende, la médecine qu’on pourra rendre accessible à tous ne correspondra jamais qu’à une fraction décroissante des services que la science pourra offrir.
La médecine restera toujours une denrée rare et certains de ses aspects ne seront accessibles qu’à une partie de la population. Ce n’est pas une question de budget, ce n’est pas un complot, c’est un impératif technologique. C’est une contrainte à laquelle on ne peut pas plus échapper qu’à la loi de la gravité. La question n’est pas de savoir si tous les patients pourront toujours bénéficier gratuitement de tout ce que la science médicale peut offrir. Gratuitement ou contre paiement, ils ne pourront pas tous en bénéficier ; cela n’est pas possible.
Il s’agit d’identifier les services qui seront réservés à quelques-uns seulement et quels critères présideront au choix de ceux qui en profiteront. décréter la gratuité fait disparaître l’un des critères possibles, mais ne fait pas disparaître la nécessité de faire des choix. L’objectif primordial est bien d’optimiser l’universalité et la gratuité, mais il faut composer avec deux (2) contraintes.
D’abord, on ne peut aller au-delà de ce que ses ressources humaines et matérielles permettent : il y a un seuil du possible. Rien ne peut être gratuit que ce qui est surabondant. Ne seront donc pris en charge que les services dont on aura aussi pu assurer la surabondance. La vraie universalité ne se décrète pas, elle arrive. Comme le jour se lève. L’universalité devient une réalité pour une part des soins et des traitements promis, quand les ressources pour en offrir cette part deviennent surabondantes. La mission de l’État est de créer cette surabondance.
Avec la surabondance, l’universalité devient possible, mais pas toujours souhaitable. L’État doit ajuster l’universalité offerte au consensus social. Les ressources humaines et matérielles qu’on décide d’offrir gratuitement ont un coût. C’est un coût que la population doit approuver. Avant de se buter sur le seuil du possible, on peut donc se heurter à un autre seuil : le seuil du consensus social pour la solidarité. Une société ne doit donner de ce que la médecine peut offrir qu’à la hauteur de ce que la population veut qu’elle donne.
La collectivité ne pourra pas assumer entièrement le coût de la santé ; les vrais déterminants de l’universalité sont la surabondance qu’on peut créer et le consensus social qu’on peut obtenir. Il faut donc constituer, au sein du système de santé, un « noyau dur » de services qui soient vraiment gratuits et d’accès universel… et le dire. Le premier défi est de départager, en toute transparence, les services qui y seront inclus de ceux qui seront exclus.
Dans une société qui s’enrichit, ces services augmenteront progressivement ; mais il ne faut pas cacher que ce noyau dur ne pourra occuper qu’une part décroissante du champ de la santé.
Pierre JC Allard
http://nouvellesociete.wordpress.com/s-80-essais-sur-la-sante/