Yan Barcelo, 20 février 2011
La maire de Saguenay, Jean Tremblay, soulève beaucoup d’animosité avec son refus de se soumettre au Tribunal des droits de la personne qui lui impose de cesser de faire une prière au début de chaque session de conseil. Au nom de la liberté de conscience des non-croyants, chez qui cette prière est supposée créer un « grand malaise » et un « grand inconfort », le Tribunal somme le maire de cesser ses prières et de verser une amende de 30 000$ au citoyen Alain Simoneau qui a porté la plainte devant le Tribunal. (On peut espérer que le malaise et l’inconfort de M. Simoneau seront apaisés par ce soudain afflux d’argent dans son compte de banque… si le maire ne gagne pas en cour d’appel, où il a l’intention de soumettre sa cause.)
Lire les commentaires sur cette équipée dans La Presse du 17 février était à la fois triste et comique. En page A5, Patrick Lagacé y allait de ses pointes, tentant de discréditer toute la cause en faisant une attaque à l’endroit de la personne du maire. (Stratégie typique : quand on ne peut pas vraiment discuter d’un sujet, on tâche de discréditer l’interlocuteur.) En page A21, le prêtre Raymond Gravel faisaitt son laïus tout à fait typique du clergé québécois en tâchant de préserver la chèvre et le chou, regrettant l’entêtement du maire qui « peut conduire à une polarisation malheureuse entre croyants et athées ». Devant son attitude, un proverbe chinois me revient à l’esprit : « La meilleure façon d’apprivoiser un tigre, c’est de se laisser dévorer par lui. »
Le seul commentaire vraiment éclairant, également en page A21, est celui de Patrice Garant, professeur de droit à l’Université Laval, qui rend au conflit sa véritable portée. Référant au « grand malaise et grand inconfort », il écrit : « On pourrait dire la même chose de tout ce qu’on trouve dans le domaine ou l’espace public : croix du Mont-Royal, clocher des églises, temples et mosquées, messe du dimanche à la SRC, concert de musique sacrée. En quoi cela constituerait-il ‘l’imposition d’un conformisme en matière religieuse’ »?
Nous voici dans un chapitre inédit du débat des accommodements raisonnables. Car il s’agit d’un affrontement non pas entre la pratique d’une faction culturelle et d’une majorité ethnique. Dans ce cas-ci, il s’agit d’accommoder les revendications d’un athée. « Imaginez quelle tournure aurait pris le débat si la plainte avait été soumise par un islamiste !) Mais notre plaignant est un athée, ce qui lui donne tout le vernis de la respectabilité politiquement correcte dans la campagne en cours visant à vider la sphère politique de toute composante religieuse et en faire une zone intégralement laïque.
Cette manœuvre du Tribunal des droits de la personne fait partie d’une nouvelle phase dans offensive de la laïcité. Dans une premier temps, elle visait à préserver un principe tout à fait légitime qui veut séparer l’État et l’Église. Cela ne fait évidemment plus problème. C’est un principe dont le Christ lui-même a lancé la première semence en proposant de « rendre à César ce qui est à César et à Dieu ce qui est à Dieu ».
Mais voici qu’on veut sur-extensionner ce principe et veiller à ce que la sphère politique soit vidée de tout contenu et de toute valeur d’ordre religieux et, plus encore, de tout contenu de foi. Le premier principe (séparer État et Église) demande qu’on crée une étanchéité entre deux pouvoirs l’un par rapport à l’autre. Mais pour le mouvement laïc, ce n’est pas assez : on ne distingue plus des zones de pouvoir autonome, il faut maintenant aseptiser la chose politique de tout contenu qui pourrait avoir un relent de religion ou de spiritualité, de croyance ou de foi.
Il est clair que nous avons affaire à un nouveau terrorisme intellectuel, plus exactement, à une nouvelle religion. Et comme toute religion, celle-ci a ses éléments modérés, et elle a ses fanatiques. Pourquoi dire du « mouvement laïc » qu’il est une religion? C’est la question dont je vais traiter dans ma prochaine chronique.