Notre langue est-elle exportable?

Image Flickr par ShironekoEuro[away]

Jean-Pierre Bonhomme

Il y a quelques jours je me trouvais dans une capitale asiatique, seul dans ma chambre d’hôtel. Je me suis donc permis d’ouvrir la télé et je me suis aperçu que TV5 se trouvait au programme ; cela pourrait me permettre de tromper l’ennui d’un terne voyage! Justement, à ce moment-là, il sortait, de la boite à distractions, des sons familiers à mon oreille. C’était une émission québécoise – une série dont je ne me souviens pas du nom et que je voyais pour la première fois –  mettant en vedette de jeunes comédiens délurés lesquels décrivaient la vie quotidienne de jeunes garcons et filles des environs disons du… Plateau Mont-Royal et dont les interactions  rebondissaient drôlement.

Quel fut mon étonnement de constater que les diffuseurs de TV5 avaient cru bon de placer des sous-titres français. On avait ainsi constaté que les Québécois d’aujourd’hui, (on dit souvent les Canadiens français, à l’étranger), ceux qui appartiennent à une classe moderne relativement à l’aise, ne pouvaient plus se faire comprendre dans la langue de Molière – ce qui en reste – à l’extérieur de la Vallée du Saint-Laurent.

Le choix de disposer des sous-titres français sous une émission canadienne-françaises contemporaine décrivant la vie urbaine n’était pas très flateur pour le «sacré» Ministère de l’Éducation du Québec, celui qui devait sauver la culture française en Amérique d’une mort certaine! Est-elle donc bien vivante, bien riche cette culture?

Quoi qu’il en soit ladite émission diffusait des réparties amusantes, parfois compréhensibles pour des papous francophiles – si cela se trouve – mais souvent hors de la sphère de l’univers de la francophonie et de la beauté. Par exemple au lieu de dire vas-y Arthur ou allez les filles, on se permettait d’utiliser ce lourd «enwouaiye» Arthur ou «enwouaiyez» les filles qui aurait pu désarçonner n’importe quel honnête étudiant. Sans parler des «calvaires» qui tombaient de la bouche d’une jeune dame : cela  pour exprimer une émotion de déplaisir; était-ce le mot juste? Et le reste dans le même registre.

Si je comprends bien, le monde entier, par  ce geste du sous-titrage, est en train de nous dire, nous les habitants des rives du Saint-Laurent, que notre monde actuel n’est plus français. Il est devenu dialectal sinon du domaine du patois et qu’il faut cesser de parler, au nord de l’État du Vermont, d’une culture française.

Transformer le peuple québécois en une collectivité créolisée n’est pas un péché. C’est un choix. Et traduire le nom de l’Office de la langue française en celui d’Office de la langue québécoise ne coûterait pas trop cher. Cela enlèverait un peu de prestige à des haut- fonctionnaires de la capitale (la vieille) mais cela ne serait pas insurmontable.

Mais encore faudrait-il le faire ce choix. Ce qui est mauvais dans cette histoire c’est de faire fi de la réalité et de prétendre qu’une chose est telle lorsqu’elle ne l’est pas.

L’hypocrisie a mauvais goût.

Votre serviteur, lui, lorsqu’il se trouve devant un compatriote dont l’élocution ressemble à de la bouillie ou à du patois  se fait fort de demander une traduction ou des précisions. Il affirme ne pas comprendre le dialecte local – ce qui n’est pas toujours vrai – et que, pour sa part, c’est le français qu’il a choisi de parler. Un choix affirmé, même si cela indispose des compatriotes.

S’il advenait que je ne sois pas seul et que maints amis veuillent faire le choix de parler français comme j’essaie de le faire, il y aura des gestes collectifs à poser.  Il faudra, pour commencer, demander des comptes aux hordes de fonctionnaires du Ministère de l’Éducation à Québec et exiger de lui qu’il resserre les exigences en matière d’élocution et de vocabulaire; qu’il crée des programmes d’échanges de professeurs avec les pays où le français est encore respecté, comme au Maroc et au Sénégal, aussi…  Et le gouvernement pourrait encore, pour améliorer les choses dans la capitale, se servir du 400 millions$ destiné au domaine de la distraction sur glace, pour subventionner les bibliothèques privées des citoyens du territoire. Cela changerait pas mal de choses dans le domaine de l’esprit. Dans le moment la proportion des citoyens qui ont des bibliothèques dignes de ce nom dans les chaumières approchent du chiffre zéro. C’est le contraire dans d’autres pays, comme en Islande, par exemple, où le chiffre approche le 100 p.cent. Cela, aussi, diminuerait probablement l’intérêt pour la radio poubelle; écouter les énergumènes diffamer les hommes publics – et privés – à loisir relève de l’ignorance et de la peur n’est-ce pas? Et les «tabarnacs» des jeunes gens ne tombent pas du ciel; ils surgissent des bungalows où ils les ont assimilés.

Quoi qu’il en soit cette question de la qualité de la langue et de sa beauté est ouverte et elle relève du choix individuel et collectif. Il ne faut certes pas  laisser certaines de nos élites bien pensantes laisser entendre qu’il faut laisser aux seuls individus le devoir d’apprendre et d’aimer les connaissances. Il faut aider les Québécois à s’aider eux-mêmes par le moyen de leur gouvernement; celui-ci n’est souvent pas à la hauteur. Mais ce n’est pas en le faisant disparaître, comme des sorciers le veulent que le Québec pourra exporter ses talents.

6 Commentaires

Classé dans Actualité, Jean-Pierre Bonhomme

6 réponses à “Notre langue est-elle exportable?

  1. «Notre langues est-elle exportable?»

    Normalement, quand on parle de la qualité de la langue, on s’arrange pour ne pas faire une faute qui est aussi énorme dans le titre!!! À moins, bien sûr, que ce soit voulu, par l’auteur!!!

  2. Je venais tout juste de voir cette erreur moi aussi. Je ne pense pas que c’était voulu de la part de l’auteur alors j’ai corrigé.

  3. Jean-Marie De Serre

    Monsieur Jean-Luc Proulx , vous avez l’oeil.

    La langue Québécoise est exportable , car elle est aussi bien que le slang Américain.

    Le Français parlé sur la rue , n’a pas à être sermonné plus que l’Anglais slang Américain.

    Par contre à l’école : on enseigne le Français et l’Anglais. === Pourquoi personne ne parle de cette salopperie de langue que parle les Américains ?????????????????????????.
    Jean-Marie De Serre.

  4. Claudius

    Mon commentaire va sonner faux un petit peu avec le sujet:
    L’actualité déborde de sujets brûlants surtout avec ce qui se passe dans les pays du Maghreb. Le lectorat serait plus fort probablement si le sujet traité trouverait un écho avec ce qui se passe dans la semaine dans le monde. Peut-être que ce n’est pas dans la mission des 7 du Québec de traiter des dessous de l’actualité. Le site français suivant, je le consulte à tous les jours, parce qu’il est particulièrement branché sur l’actualité.
    http://fortune.fdesouche.com/
    S’il y a des thèmes européens, il pourrait aussi y avoir l’équivalent pour ici.
    Je lance l’idée comme ça. Merci !

  5. the Ubbergeek

    Pour être franc, les américains ont fais de même au moins une fameuse fois;

    Le classique d’anticipation Mad Max a été ‘traduit’ de l'(anglais) australien (qui est aussi obscur des fois pour un américain ou canadien anglais) en leurs anglais local pour le marché américain.

    Je ne sais pas si c’est arrivé d’autres fois, ou si c’est courant tout cour.

    Mais c’est un peu insultant pour un québecois disons, en effet. Ca dit des choses sur le fais qu’il y a des gens qui aiment pas les accents régionaux et tout, et qu’on pourrait faire des efforts dans la qualité de la langue parlé ici.

  6. Bonjour,

    Ayant écrit quelques livres sur la langue française et les Français, je me permets d’intervenir.
    Ce dont il est question ici n’est pas la langue comme telle, mais ses registres et plus largement la «culture de la langue». Il y a très peu de temps que la France est entièrement francisé. Le processus, amorcé vers 1835, n’est pas terminé et ne le sera jamais. En fait, ce sont les écoles qui ont francisé la langue et ce processus a développé une conception élitiste de la langue. Comme les Français ont bati une très forte diplomatie culturelle et exporté leur système d’enseignement, ils ont exporté partout leur conception de la langue. On observe, notamment chez ceux qui maîtrisent peu ou pas la langue française, une espèce d’idéologie de super-purisme.
    Le cas des Québécois – ou plus exactement des habitants de la future ex-Nouvelle France, de l’Acadie et de leurs descendants – est qu’ils étaient largement francisés deux siècles avant les Français et qu’ils ont donc développé une culture populaire très forte. Bref, la culture de la langue au Canada est moins élitiste, plus orale, moins populaire, et les locuteurs auront donc beaucoup moins d’hésitations à utiliser le registre populaire dans des contextes formels (télé, prise de parole publique, etc.). Ce qui ne veut pas dire que ce registre populaire est le seul niveau de langage des Canadiens ou des Québécois. La preuve en est que dès qu’ils doivent modifier leur niveau de langage, ils le font automatiquement.
    Donc, le problème que vous évoquez ici ne découle pas tant du fait que les francophones du Canada parlent mal, mais qu’ils se le permettent, ce qui n’est pas du tout la même chose.
    Je pourrais vous citer quelques éléments de comparaison avec d’autres langues que j’examine, mais je vais arrêter ici.
    Au plaisir,

    JBN

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