Image Flickr par angela7dreams
Rassurez-vous, je ne tenterai pas en mille mots d’imposer ma définition de la culture : je sais que mille volumes n’y suffiraient pas. Je donne ici au mot « culture » un sens restreint et c’est dans ce sens uniquement que je l’utilise dans ce texte. Gardant implicitement les guillemets, donc, la culture dont je parle est d’abord la somme des connaissances acquises pour le plaisir de connaître et de reconnaître, par opposition au savoir dit « utile », qui trouve son sens dans ce qu’il permet de devenir, d’avoir ou de faire.
Quand la culture reste ainsi au palier du pâtre solitaire qui se taille un roseau pour accompagner le rossignol, elle ne pose pas de problèmes critiques. Vite, toutefois, la culture assume elle-même une fonction utilitaire. On est identifié, classé, jugé selon la culture qu’on a et ces connaissances, acquises en principe par plaisir, deviennent le vrai passeport qui vous fait Français, Allemand, Anglais… et aussi un aristo ou un cuistre. On peut aimer ou ne pas aimer Mozart, Xenakis ou les deux, mais par-delà l’émotion esthétique, il y a l’apport à votre image de votre préférence, réelle ou feinte.
Problème, parce que, lorsqu’il s’agit de culture, les objectifs de la société et ceux de l’individu ne sont pas du tout les mêmes. Une société a pour objectif essentiel de promouvoir, chez tous ses citoyens, une connaissance raisonnable du patrimoine commun favorisant l’éclosion et le maintien d’un sentiment d’identité, de fierté et d’appartenance. Pour l’État, l’essentiel de la culture est ce qui fait que ses citoyens se ressemblent et se rassemblent
Pour l’individu, sa culture n’est pas uniquement un plaisir, mais aussi ce qui le distingue des autres, un outil de développement personnel, un atout dans l’émulation qui l’oppose à ses voisins. Son accès à la culture est donc une séquence de choix, préférablement plaisants, mais qui tendent aussi à faire de lui un être unique… et supérieur. Les choix culturels des individus tendent à stratifier une société qui, sur ce plan de l’appartenance, se voudrait égalitaire.
Le problème est indissociable du double rôle dévolu à la culture, mais il s’aggrave et devient critique s’il n’existe même pas un large consensus quant a l’identité que la société veut promouvoir. Identité, le mot est lâché : la culture, c’est le volet acquis, par opposition au volet inné de l’identité. Le racisme ayant rendu inacceptable par contagion tout ce qui est inné, tous ceux qui prônent une identité bien typée n’ont plus que la culture comme légitime champ de bataille. C’est ici que vient la crise. Kulturkampf… au sens large.
Si on veut se refermer sur sa propre identité comme une huître sur sa perle, c’est au palier de la culture qu’il faut agir immédiatement. Avec un parfait chauvinisme ou patriotisme – choisir le mot est prendre parti – il faut mettre en place un système d’éducation qui fera que Dupond restera Dupond, quels que soient sa couleur et ses gènes. Il faut que le système d’information qui, par les médias – sous toutes leurs formes écrite, audiovisuelle, internetique – est le prolongement de l’école et constitue la véritable éducation permanente, y voit sa mission sacrée.
L’État doit, dans ce cas de figure, favoriser le développement de la culture en général, mais chercher à en privilégier certains aspects au détriment d’autres aspects… comme tous les États l’ont toujours fait. Rien d’original, la vie continue avec plus ou moins de franchise.
Si, au contraire, avec les phénomènes migratoires que l’on constate, on veut une société en transformation qui devienne « pluriculturelle » – et toutes les sociétés sont déjà peu ou prou pluriculturelles – le rôle de l’État n’est plus de favoriser une culture, mais de faire le constat quasi-quotidien des choix culturels des sociétaires et de ce que devient ainsi une nouvelle culture sui generis, facilitant par ses actions la genèse de l’ensemble culturel unique que créent ainsi ces choix.
Cet État culturellement impartial doit alors, encore et toujours :
1) faciliter à ses citoyens un accès gratuit à l’apprentissage formel des éléments de connaissance donc ils bâtiront leur culture;
2) mettre gratuitement aussi à la disposition des citoyens les équipements essentiels leur permettant de compléter leur apprentissage et d’étayer leur culture;
3) créer des services d’aide aux travailleurs de la culture et de soutien à la diffusion des produits culturels;
4.) subventionner la consommation des produits culturels, afin que le citoyen puisse jouir d’une gamme plus variée de ces produits culturels que ne le permettrait la seule loi du marché, compte tenu du coût des facteurs de leur production et de l’espérance de gain nécessaire pour inciter à leur création.
Mêmes gestes essentiels a poser, donc, mais si on se donne comme but une transformation de notre culture et donc de notre identité par des apports externes, c’est la culture que les individus ont choisi d’acquérir qui doit recevoir cet appui. Un foulard n’est pas plus moche qu’une cornette. Affaire d’habitude…
C’est la décision fondamentale de changer ou de ne pas changer qui doit être prise. Mieux, celle de changer plus ou moins vite, et dans la trajectoire de nos traditions ou par des sauts dans un hyperespace inconnu. La crise de la culture naît de ce que l’on ne prend pas cette décision. Elle sera résolue quand on l’aura prise et qu’une majorité effective de la population l’aura acceptée.
J’ai fait ailleurs une foule de propositions pour le développement de la culture. Mais sur cette décision préalable je n’ai rien a dire, car nous sommes dans l’univers des émotions et de l’irrationnel. Dans une guerre de religions… Mais il FAUT que le choix soit fait, sans quoi tout s’étiolera faute de soins et notre société n’aura simplement plus une, ni plusieurs cultures valables. Elle en viendra à éviter, comme une source de discorde, tout ce qu’on pourrait appeler culture.
Pierre JC Allard