Dans le dernier épisode de cette série sur le libre-marché, nous avons vu comment les prix servaient de signal sur le marché. Pour cette troisième partie, nous allons examiner un autre signal: l’intérêt. L’intérêt est probablement le signal le plus important. Il permet une coordination de la production dans le temps. Afin de comprendre son rôle, il est impératif de comprendre la notion de « préférence temporelle« .
Vous connaissez certainement le dicton qui dit « un tiens vaut mieux que deux tu l’auras ». Ce dicton ne se rapporte pas seulement à la certitude de détenir quelque chose dans le présent plutôt que la promesse possible de quelque chose de plus dans le futur, ils se rapporte à un trait de la nature humaine qui fait que nous préférons une gratification présente à une gratification future. Lorsqu’on nous présente le choix entre obtenir quelque chose maintenant, ou recevoir cette même chose plus tard, nous préférons la recevoir maintenant. Un des meilleurs exemples concrets s’observe dans le comportement des enfants qui acceptent difficilement d’attendre pour quoi que ce soit. Nous disons donc qu’ils ont une préférence temporelle élevée.
Lorsque nous traduisons ça dans la sphère économique, la préférence temporelle vient influencer plusieurs choses. De tous les facteurs de production, c’est-à-dire le terrain, la main d’œuvre, le capital et le temps; le temps est probablement le plus négligé. Cela devrait pourtant être une évidence que tout processus de production prend du temps. Mais aussi évident que ça puisse paraitre, seulement une école de pensée économique considère ce facteur dans son analyse. Pour qu’un processus de production puisse démarrer, une certaine quantité de capital doit avoir été accumulée au préalable afin de couvrir les coûts de la conception et de la fabrication avant que le produit puisse être vendu et produire un revenu. Ça implique que pour supporter ce processus de production, nous devons échanger un bien présent, notre capital, pour un bien futur. Si j’ai une somme de disons $10 000; il y a un grand nombre d’utilisations que que pourrait faire de cette somme. Plusieurs de ces utilisations pourraient me produire une satisfaction immédiate, plutôt qu’une satisfaction quelque part dans le futur. Pour m’inciter à utiliser ce capital en vue d’une gratification future, donc de diminuer ma préférence temporelle, il faut évidemment que celle-ci soit plus grande que celle que je pourrait obtenir dans le présent, sinon j’aurais toujours tendance à choisir la gratification présente. La différence entre la valeur de cette gratification présente et celle de la gratification future s’appelle l’intérêt. L’intérêt est donc une prime payée en échange d’un abaissement de la préférence temporelle.
En termes plus concrets, si vous êtes un entrepreneur et que vous désirez emprunter mon capital de $10 000 afin d’investir dans une nouvelle ligne de production, vous devez me fournir une certaine prime pour m’inciter à vous prêter cette somme plutôt que de m’en servir pour ma consommation immédiate. Puisque cette somme est ma propriété, il n’est parfaitement légitime d’exiger cette prime. Il est aussi parfaitement légitime que je refuse de prêter mon capital si vous refusez mes termes. Naturellement, si quelqu’un d’autre vous offre de meilleurs termes, il est aussi parfaitement légitime que vous alliez emprunter ailleurs. Ce contrat qui est passé entre deux personnes afin d’échanger un capital présent contre un capital futur bonifié par l’intérêt se produit chaque fois que vous déposez votre argent dans un compte d’épargne, dans un certificat de placement ou que vous achetez des obligations d’une compagnie ou d’un gouvernement. C’est ainsi que même les plus petits épargnants participent au financement de la production. Sans intérêt, il ne pourrait y avoir de production. Il existe bien sûr des complications dans le système actuel, mais ce sera pour une discussion future.
L’intérêt sert de signal dans le marché par la fluctuation de son taux. Le taux d’intérêt est en fait un prix qui fluctue selon la demande de capitaux et l’abondance des dits capitaux, dont la principale source est l’épargne, c’est à dire l’abstention temporaire de consommation présente. Plus ces capitaux sont abondants, plus la concurrence entre prêteurs est grande et plus le taux d’intérêt diminuera. À l’opposé, plus les capitaux disponibles sont rares, plus la compétition entre emprunteurs sera féroce et plus le taux sera élevé. Tout comme les prix jouent un rôle de rationnement pour différent biens, le taux d’intérêt joue un rôle de rationnement dans l’attribution de capital. Un taux élevé restreint la consommation et la mise en œuvre de nouvelles ligne de production et favorise l’accumulation d’épargne. Lorsque le taux est en baisse, ça signale que des capitaux sont disponibles pour investir dans de nouveaux projets de production ou dans des procédés de production plus longs. Nous verrons plus en détail les processus de production et l’allocation de capital dans des discussions futures. Pour l’instant, il ne suffit que de comprendre le rôle du taux d’intérêt.
Sachant cela, qu’arrivera-t-il si le taux d’intérêt est manipulé de façon arbitraire? Si nous forçons le taux d’intérêt vers le bas alors qu’il n’y a pas suffisamment d’épargnes pour l’alimenter, donc en dessous du niveau qui serait fixé par le marché, la consommation serait stimulée au dépens de l’épargne et les entrepreneurs seraient incités à investir dans de nouveaux projets pour lesquels les capitaux ne sont pas disponibles dans la réalité. La demande de crédit excèdera donc la quantité d’épargne réelle sur le marché. Cette dislocation provoquera inévitablement une remontée automatique du taux d’intérêt qui mettrait au grand jour les investissements pour lesquels les ressources sont insuffisantes. La crise immobilière de 2008 est un exemple patent. Le taux directeur de la Réserve Fédérale américaine a été abaissé pendant plusieurs années bien en dessous de ce qu’il aurait été fixé par le marché. Couplez ça avec une règlementation fautive qui a favorisé l’achat de propriétés immobilières et qui a augmenté l’aléa moral aux banques dans le relâchement de leurs critères de financement, et vous avez semé les graines d’un boum immobilier insoutenable qui devait tôt ou tard, subir une sévère correction. C’est exactement ce qui s’est produit lorsqu’inévitablement, le taux d’intérêt a dû remonter. Il était certainement profitable d’acheter une maison, la garder pendant six mois et la revendre avec un bon profit quand le taux des hypothèques est dérisoire et que la demande, gonflée par le crédit facile, faisait grimper les prix de façon vertigineuse, mais lorsque les taux ont augmenté, la demande s’est écroulée et le prix des propriétés aussi. Le reste de l’histoire est connu. J’approfondirai le sujet des cycles économiques et des bulles dans un chapitre subséquent. Pour l’instant, nous pouvons certainement établir que la manipulation arbitraire du signal de marché qu’est le taux d’intérêt y joue un rôle de premier ordre.