Yan Barcelo, 6 mars 2011
Établissons les terrains respectifs de chaque « foi », laïciste et chrétienne. Car c’est bien entre ces deux représentantes que tout le débat se compose autour de l’élimination des signes religieux dans l’espace public. Bien sûr, on va dire qu’on ne veut pas dans les places publiques de signes chrétiens ou musulmans ou sikhs pour ne pas offenser les sensibilités d’autres croyances. Mais, sauf erreur, je n’ai jamais entendu parler d’un musulman ou d’un sikh qui contestait quelque signe chrétien que ce soit. Cette contestation provient toujours de la faction laïciste. Comme c’est drôle…
Or, d’où vient le laïcisme? Il trouve ses racines dans le courant rationaliste des Lumières, à une époque où on croyait que les avancées scientifiques effaceraient à jamais toute impulsion religieuse, considérée comme « superstition ». Quelques-uns de ses représentants les plus célèbres étaient notoirement athée : Voltaire, Diderot, D’Alembert, Laplace. D’ailleurs, l’athéisme était le moteur essentiel de tout ce mouvement intellectuel.
La principale offensive a été menée au XIXe siècle autour du Darwinisme, alors qu’on a tenté de donner une lecture de l’évolution qui éliminerait tout recours à Dieu ou à quelque Mystère spirituel que ce soit. Tous les moteurs des changements évolutifs devaient être compris comme étant matérialistes, ancrés uniquement dans les mécanismes physiques des espèces, animales ou végétales. Ce ne serait qu’une question de temps avant que ces mécanismes soient pleinement dévoilés et compris – ce qui n’est jamais arrivé. Aujourd’hui, quand les évolutionnistes darwiniens, comme Richard Dawkins, prétendent qu’on a « prouvé » les postulats de l’évolutionnisme matérialiste, ils le font à partir d’un credo idéologique bien étriqué et réducteur.
Or, tout ce mouvement athéiste a pris avec le temps comme couvert le laïcisme, plus « politiquement correct ». Pour se renforcer et se légitimer, il a systématiquement jeté le blâme sur la religion, l’accusant de tous les pires atrocités de l’humanité. Les cibles classiques sont évidemment l’Inquisition et les guerres de religion du XVIe siècle. À ce blâme s’est ajouté évidemment celui d’obscurantisme, la religion étant la force conservatrice par excellence vouée à la crétinisation des esprits. Et puis, bien sûr, n’oublions pas la nouvelle croisade contre le catholicisme en tant que système de production de pédophiles.
Quelle est la valeur de ces charges? Tout d’abord, assigner aux religions les meurtres de masse les plus brutaux de l’histoire, c’est faire preuve soit d’une ignorance historique crasse ou d’une mauvaise foi aussi crasseuse. Certes, les Espagnols ont été d’une rare brutalité en Amérique du Sud et, bien sûr, ils étaient catholiques, mais le mobile de leurs boucheries n’était certainement pas religieux et relevait plutôt de la simple soif de l’or. Certains ont pu prétendre perpétrer leur génocide au nom de Dieu et de la religion. Et puis après? Combien de pères et de mères ont totalement étouffé la vie de leurs enfants au nom de l’amour.
Mais que dire alors des horreurs commises par Genghis Khan dans tout le continent asiatique, de sa façon d’éliminer au fil de l’épée la population de villes entières? Que dire des conquêtes sanglantes de César en Gaule? Leurs mobiles étaient-ils religieux? Genghis Khan massacrait au nom du shamanisme mongol, peut-être, et César au nom des divinités romaines?
L’argument veut que le laïcisme soit rationnel et, partant, vertueux et pacifique, alors que la religion est tout le contraire : irrationnelle, vicieuse et guerrière. Vraiment? Je crois que le XXè siècle est un démenti catégorique de toute proposition semblable. Les purges de Staline en Russie, de Mao en Chine, de Pol Pot au Cambodge, qui ont entraîné la mort de dizaines de millions de personnes, ont été menées par des idéologues profondément animés par la « foi » athée. Ils voulaient des états vidés de toute pratique religieuse, cet « opium du peuple ». Et n’oublions pas le monstre en personne : Hitler. Religieuse, sa campagne de conquête de l’Europe, de la Russie? Religieux, son génocide des juifs?
En fait, l’argument peut être simplement renversé. L’athéisme pseudo-rationnel qui a animé les grandes idéologies populistes du XXe siècle s’est avéré immensément plus meurtrier que n’importe quelle religion.
Et que dire de l’accusation d’obscurantisme portée à l’endroit des religions? On peut peut-être la soutenir à l’endroit d’un certain islam – celui qui a réussi à éteindre l’immense avancée des sciences autour de Bagdad durant le haut Moyen-Âge – mais certainement pas à l’endroit de la chrétienté. Aujourd’hui, nous n’aurions pas d’écoles, d’universités et d’hôpitaux s’ils n’avaient été créés de toute pièce par l’avancée de la foi chrétienne. En fait, comme je l’ai démontré ailleurs, nous n’aurions ni science, ni technologie, ni démocratie, ni écoles, ni hopitaux, ni féminisme sans l’apport déterminant du christianisme.
Enfin, il y a la pédophilie, un domaine où on veut assigner à l’Église catholique un quasi-monopole. Que les frères et les pères aient été souvent actifs à ce chapitre ne fait pas de doute. Et que le haut clergé ait tenté de cacher le tout ne peut être nié et doit être dénoncé. Mais n’oublions pas que les cas de scandales, hautement médiatisés, peuvent sembler plus nombreux qu’au sein d’autres populations. Or, je serais curieux de voir, sur une base statistique, quelle est la fréquence de la pédophilie en milieu catholique comparé à d’autres milieux de rassemblement d’hommes – chez les militaires, par exemple, ou dans les sports pour adolescents. Vouloir blâmer une institution religieuse en faisant croire qu’elle détient un monopole sur l’obsession sexuelle, c’est oublier combien les humains n’ont besoin du couvert d’aucune institution pour donner cours à leurs obsessions.