Jean-Pierre Bonhomme
Image Flickr par Nagrom Lane
Le Québec se distinguait de l’Amérique du Nord – sauf le Mexique – jusqu’ici, par sa façon de gérer la distribution de l’instruction au niveau universitaire. Notre État avait la volonté, au moins apparente, de donner un certain accès relativement facile à toutes les classes sociales vers les facultés, les professions; il s’arrangeait pour maintenir le prix des admissions à des niveaux plus bas que ceux de l’Amérique anglaise.
Cela ne faisait pas du Québec un paradis égalitaire mais, psychologiquement, au moins, cela avait un petit air de solidarité non négligeable. Cela sauvait la face de la social-démocratie!
Or en augmentant considérablement les droits d’accès à l’enseignement supérieur, comme on dit, le gouvernement, cette semaine, s’est éloigné de ce cadre; il s’est rapproché de la mentalité canadian et il s’est éloigné de l’esprit francais où l’accès à l’université est quasi gratuit. C’est l’esprit de classe, au moins symboliquement, qui l’a donc emporté sur l’esprit égalitaire, l’esprit républicain. Le gouvernement du Québec répondait ainsi aux désirs des diverses chambres de commerce, lesquelles voient dans la connaissance un moyen de faire de l’argent et, surtout, un moyen de maintenir les privilèges de ceux qui ont la belle qualité de bien jouer du coude. On fera donc payer les moins nantis pour aider les petits futés à s’en tirer à bon compte.
Sans compter que les classes dites moyennes seront invitées à se joindre aux grands possédants pour se prémunir contre la pauvreté qui point le nez au coin de la rue.
Mais il y a moyen – un devoir aussi – d’aller voir ce qui se cache derrière cette attitude.
Selon mon point de vue, celui d’un ex universitaire (droit), qui a vu comment les étudiants moins nantis étaient traités par le gouvernement Duplessis, c’est la classe possédante, ici, qui cherche à protéger son groupe.
Il s’agit d’une attitude. L’instruction universitaire quasi gratuite permet à l’État de bien contrôler les admissions. N’entre pas qui veut dans une université française. D’abord il faut bien connaitre la langue – la géographie aussi – ce qui n’est pas toujours le cas ici et avoir une pensée organisée. C’est ca l’égalitarisme; pas l’appartenance à une classe ni l’apparence d’appartenir à une classe.
Les grandes universités américaines et britanniques sont en quelque sorte des clubs privés pour les possédants. Des clubs auxquels l’université «québécoise» McGill se rattache, elle qui va puiser $30,000 par année dans les poches de certains étudiants de niveau supérieur!
Il en résulte que la distribution des connaissances – de la culture certes – est réservée à une classe qui ne montre pas une grande volonté de se solidariser des masses populaires. Celles-ci, du reste, incultes qu’elles sont malgré elles, commencent à ne pas trouver cela très drôle et se révoltent en se réfugiant dans d’étranges partis politiques de faible teneur en nuances.
Le Québec n’est pas à l’abri de ces clivages dangereux. Les citoyens de la Haute ville, dans notre capitale, se sont ils vraiment solidarisés – personnellement – de ceux de la Basse ville? Ne se sont-ils pas réfugiés dans leurs savoirs et n’ont-ils pas négligé de répandre les connaissances? Et n’est-ce pas cette négligence qui produit ce qu’on appelle la radio-poubelle et ses dérives? N’est-pas là une révolte contre l’égoïsme? N’y a-t-il pas trop d’analphabètes, au Québec? Il y en a plus qu’en Scandinavie, en tout cas, où les riches sont vraiment taxés et où, justement il n’y a pratiquement pas de pauvres.
On voit ce que le clivage des classes produit en Haïti. Une classe nantie sur la côte, en haut, parle un excellent français et laisse les autres, en bas, à leur ignorance et à leur créole. Une recette pour la désorganisation sociale! Faut-il que nous descendions sur cette pente?
Quoi qu’il en soit, si j’avais été premier ministre, ce contre quoi je demande à Dieu de protéger la société, j’aurais légèrement diminué le prix des admissions à toutes les universités; j’aurais augmenté les taxes – pas trop (pour faire plaisir aux commerçants) – des gens «d’en haut» et j’aurais resserré les conditions d’admission aux facultés (pour avoir de meilleurs architectes, de meilleurs enseignants et de meilleurs philosophes). C’est un peu idéaliste tout ca. Mais il n’empêche qu’on se sent mieux à Copenhague qu’à Détroit; à Paris qu’à Miami si l’on veut apprendre des choses.