Archives quotidiennes : 22 avril 2011

Une histoire de deux théories de l’exploitation (1ere partie)

 

Dans un article précédent, j’ai déjà effleuré la théorie marxiste de l’exploitation. Aujourd’hui j’aimerais l’opposer à une théorie alternative, celle de l’école autrichienne d’économie. Comme vous verrez, et vous en serez peut-être étonnés, les deux théories ont un tronc commun. Là où elles divergent est sur la nature des exploitants et des exploités. J’entends vous exposer la théorie marxiste et ses failles dans la première partie et la théorie autrichienne dans la seconde.

Commençons donc par le noyau de la croyance marxiste:

  • « L’histoire de l’humanité est l’histoire de la lutte des classes ». Selon Marx, C’est l’histoire de la lutte entre une classe dirigeante relativement restreinte et une classe d’exploités plus large. L’exploitation est économique. La classe dirigeante exproprie une partie de la production des exploités, une « plus-value ».
  • La classe dirigeant est unie par son intérêt commun de poursuivre sa domination. Elle n’abandonne jamais délibérément son pouvoir et ne peut être délogée que par la lutte qui dépend de la conscience de classe des exploités. C’est-à-dire à quel point les exploités son conscient de leur sort et sont unis avec les autres membres de leur classe en opposition à leur exploitation
  • La domination de classe se manifeste, dans les termes marxistes par des « relations de productions » particulières. Pour protéger ces relations, la classe dirigeante forme et dirige l’État comme appareil de coercition. L’État impose une structure de classe et favorise la création et l’entretien d’une superstructure idéologique destinée à fournir une légitimité à cette structure de domination de classe.
  • A l’intérieur, le processus de concurrence au sein de la classe dirigeante engendre la tendance à une concentration et à une centralisation croissantes. Un système polycentrique d’exploitation est progressivement remplacé par un système oligarchique ou monopolistique. De moins en moins de centres d’exploitation demeurent en fonction, et ceux qui restent sont de plus en plus intégrés dans un ordre hiérarchique. A l’extérieur, c’est-à-dire vis-à-vis du système international, ce processus interne de centralisation conduira (avec d’autant plus d’intensité qu’il sera plus avancé) à desguerres impérialistes entre États et à l’expansion territoriale de la domination exploiteuse.
  • Finalement, la centralisation et l’expansion de la domination exploiteuse se rapprochant progressivement de sa limite ultime de domination mondiale, la domination de classe sera de moins en moins compatible avec le développement et l’amélioration ultérieures des « forces productives ». La stagnation économique et les crises deviennent de plus en plus caractéristiques et créent les « conditions objectives » pour l’émergence d’une conscience de classe révolutionnaire chez les exploités. La situation devient mûre pour l’établissement d’une société sans classes, le « dépérissement de l’Etat », le remplacement du « gouvernement des hommes par l’administration des choses », et ilen résulte une incroyable prospérité.

Ces thèses sont parfaitement justifiables, mais malheureusement, elles sont déduite d’une théorie de l’exploitation qui est absurde. Pour Marx, des systèmes pré-capitalistes tels que l’esclavagisme et la féodalité sont caractérisés par l’exploitation. Ça va de soit. Évidemment, l’esclave n’est pas le propriétaire de son propre corps es se voit exproprié de tous les fruits de son labeur au profit de son maitre qui le lui fournit que sa subsistance et le seigneur féodal, en s’appropriant de terres qui ont été défrichées par les serfs par simple attribution royale, profite sur le dos des paysans. Il n’y a aucun doute qu’il s’agit d’exploitation et que l’esclavage et la féodalité entravent le développement des forces productives. Ni l’esclave, ni le serf ne produiraient autant qu’ils ne le feraient en l’absence d’esclavage ou de servage.

Par ailleurs, Marx maintient que rien n’est changé dans un système capitaliste. C’est à dire, si l’esclave devient un travailleur libre ou que le paysan décide de cultiver une terre qu’un autre a été le premier à développer et paie un loyer en échange du droit de le faire. C’est vrai que dans le chapitre 24 de Das Kapital, Marx démontre que la plus grande part de la propriété capitaliste initiale provient du pillage, de l’accaparement des terres et de la conquête; et dans le chapitre 25 il décrit le rôle de la force et de la violence dans l’exportation du capitalisme au Tiers-monde. C’est essentiellement correct, et dans la mesure où ça l’est, je ne nierai pas le caractère exploiteur de ce capitalisme là.

Ce que Marx omet de mentionner, à travers son récit propre à inciter l’indignation du lecteur, est que même un capitalisme où l’appropriation originelle du capital serait la résultante de la première mise en valeur (ou homesteading, en anglais), du travail et de l’épargne; serait tout autant exploiteur. Comment est-ce exploiteur? Selon Marx, le capitaliste paie un certain montant d’argent en matières premières et en salaires pour produire un bien qu’il revend pour un montant supérieur, dégageant un profit, ou une « plus-value » qui est prélevée des salaires des prolétaires. En d’autre termes, le capitaliste paie l’équivalent de trois jours de travail au salarié alors qu’il en a travaillé cinq et s’approprie le reste. Donc, selon Marx, il y a exploitation.

Où est la faille dans cette analyse? Elle réside dans la raison pourquoi une travailleur libre accepterait ce genre d’arrangement. C’est parce que le salaire qui lui est payé représente une valeur actuelle, alors que les biens produits représentent une valeur future et que le salarié considère qu’un montant d’argent maintenant a plus de valeur que le même montant plus tard. Après tout, un salarié pourrait décider d’être travailleur autonome et ainsi récupérer la valeur totale de son produit, mais ça impliquerait bien entendu qu’il devra attendre que ce produit soit fabriqué et vendu avant de le récolter. Ça implique également qu’il devra aussi, avant de récolter les fruits de son labeur, payer pour les différents outils et matériaux nécessaires à la production. Accepter un salaire lui permet de vendre son travail, sans avoir à investir dans les autres facteurs de productions et sans avoir à attendre que le produit soit fini et vendu. Il préfère donc recevoir ce montant plus petit, en échange de ces avantages.

À l’opposé, pourquoi un capitaliste investirait-il dans une ligne de production, s’il ne retirait pas une valeur supérieure au montant investit? Pourquoi se priverait-il de ce montant pendant toute la période de production, alors qu’il pourrait tout aussi bien l’utiliser pour sa propre consommation? S’il doit payer les salaires des travailleurs maintenant, il faut que ça lui rapporte quelque part dans le futur, sinon pourquoi le ferait-il? Ceci fait aussi abstraction du fait que le capitaliste doit aussi fournir les autres facteurs nécessaires à la production, et que par conséquent, le travail du salarié ne pourrait compter que pour une fraction du produit final, puisque s’il travaillait à son propre compte, il devrait également assumer ces coûts.

Ce qui ne fonctionne pas dans la théorie marxiste de l’exploitation est qu’elle ne reconnait pas le phénomène de la préférence temporelle dans l’action humaine. Le fait que le travailleur ne reçoive pas la « pleine valeur » de son travaille n’a rien à voir avec l’exploitation, mais découle du fait qu’on ne peut pas échanger des biens futurs contre des biens présents sans payer une escompte. La relation entre le salarié et le capitaliste, contrairement à celle de l’esclave et de son maitre, n’est pas antagoniste, elle est plutôt symbiotique dans la mesure où chacun y tire un avantage. Le travailleur préférant recevoir un certain montant maintenant, alors que le capitaliste préfère la promesse d’un plus gros montant dans le futur.

Il va sans dire que si la théorie de l’exploitation marxiste est fausse dans son identification des exploiteurs et de la nature même de la méthode d’exploitation, toute les idées qui en découlent pour mettre fin à cette exploitation sont essentiellement incorrectes également. La semaine prochaine, je vous présenterai ce que les économistes autrichiens considèrent comme l’interprétation correcte de l’exploitation qui prévaut dans la société.

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Classé dans Actualité, économie, Philippe David