Archives quotidiennes : 5 juin 2011

Tous solidaires de la Montérégie

 

On se plaint beaucoup aujourd’hui de la présence envahissante de l’État. Je suis d’ailleurs de ceux qui trouvent qu’on met parfois un carcan néfaste à l’initiative des individus. Qu’on impose des contraintes qui nous retardent,nous appauvriissent et qui nous démotivent surtout. Je préfère de loin une société « entrepreneuriale » qui bâtit un espace où règne la liberté d’avoir plus et de devenir mieux, à la morne complaisance d’un réseau d’obligations molles, toutes également (en principe) mal récompensées au nom d’une égalité de facade qui cache d’inavouables privilèges.

De cet espace libertaire, cependant j’ai déjà parlé souvent. Je veux ici insister sur l’absolue nécessité de ne bâtir ce  «piano nobile» de liberté que sur un basilaire de solidarité au palier de ce qui est l’essentiel. Si cette base de solidarité n’est pas acquise, une société ne saine peut survivre et se développer.

Or, il y a des aspects de cette solidarité qui sont escamotés. Ceux qui permettent une péréquation directe donnant au travail sa vrais valeur, bien sûr, mais ceux aussi qui négligent le soutien total que la société devrait apporter aux victimes de désastres exceptionnels.

Il y a 14 ans, je m’insurgeait contre l’arbitraire qui présidait à l’aide apportée aux victimes de la Crise du Verglas. Je puis reprendre ici mot-a-mot le même argumentaire, pour demander que soient pleinement compensées de leurs dommages sinon de leurs peines les victimes des inondations résultant de la crue du Richelieu.

Voici ce que que je disais le 21 janvier 1997:

Le pire est passé. Il reste bien des branches cassées, des toîts à réparer, des fils à remettre en état, mais le pire est passé. Jusqu’à ce que le pire revienne. L’an prochain, dans dix jours ou dans dix ans. On ne sait pas quand le pire reviendra, mais on sait qu’il reviendra.

Le pire, cette fois, c’était le verglas, les pannes de courant; mais souvenons-nous que le pire, c’a été aussi les inondations du Lac-St-Jean. Que le pire, la prochaine fois, ce sera peut-être une catastrophe écologique, un tremblement de terre, une épidémie… Le « pire »est inéluctable et, quand vient le temps du pire, c’est là qu’on peut juger d’une société. Une société ne vaut que par la solidarité qu’elle manifeste. Comme un mariage: pour le meilleur …ou pour le pire. 

Maintenant qu’on a fait ce qu’il fallait pour résoudre le problème et qu’on commence à y voir plus clair, on en arrive à se demander qui va payer la facture: les victimes seules, ou nous tous.

Est-ce que les Montérégiens et les autres sinistrés vont supporter seuls le poids du malheur, ou TOUS les Québécois vont-ils prendre leur part du coût du désastre? 

C’est la question à laquelle on va maintenant essayer de ne pas répondre clairement, comme on n’y a pas répondu lors des événements du Lac-St-Jean, comme on n’y a pas répondu lors des inondations de la Rouge au Manitoba. On va éviter la question en donnant des compensations arbitraires plus ou moins généreuses aux victimes, selon la perception qu’auront les politiciens du désir de la population de leur venir en aide.

A certains ont donnera plus, à d’autres moins, sans vraie raison… et à tous moins qu’ils n’ont perdu; pas par méchanceté ou mesquinerie, mais tout simplement parce que les règles sont inexistantes qui permettraient de définir à combien chacun a droit. On donnera… mais on évitera de dire si oui ou non les victimes ont DROIT à une compensation… et à quelle compensation exactement elles ont droit. On veut bien contribuer, mais on ne veut pas reconnaître le droit de la victime à dédommagement et donc notre responsabilité collective à dédommager.

Pourtant, ne serait-il pas normal, dans une société civilisée, que toute la collectivité soit solidaire des catastrophes NON ASSURABLES qui échoient à tous et chacun de ses membres? Est-ce que cette solidarité ne devrait pas être la pierre d’assise du désir de former une nation, de vivre ensemble, pour le meilleur ou pour le pire? Ce n’est pas une idée nouvelle que cette assurance collective, mais les événements récents en rappelle la nécessité.

 Il y a quelque chose de malsain, en effet, à traiter comme une opération discrétionnaire de charité ce qui devrait être le partage automatique des risques et l’étalement sur toute la population du coût des catastrophes qui frappent les uns ou les autres des citoyens.

Tous ces risques majeurs spécifiquement exclus des polices d’assurance ordinaires – allant des séismes à la guerre – devraient faire l’objet d’une couverture générale par l’État. La compensation devrait être un droit pour la victime d’une catastrophe. La contribution de tous devrait être l’expression de notre désir de former vraiment une collectivité

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En assurant ainsi chacun de ses membres contre les risques non assurables, l’État ferait enfin un pas en avant vers le progrès de la solidarité qui est l’essence de la conscience d’être une nation. Un geste qui marquerait un temps d’arrêt dans le processus néfaste de désintégration de tous les liens sociaux que nous impose le courant néo-libéral actuel.

Un gouvernement qui réagirait de la sorte en allant au secours des victimes de la catastrophe naturelle que nous venons de vivre créerait un peu d’espoir</em>.

***

 Je n’ai pas changé d’avis et je n’ai pas modifié une virgule de ce texte.  La seule variable qui a sans doute fluctué, c’est la bonne volonté de la population à assumer ou non cette responsabilité collective. Il faudrait voir. Si le désir – que je partage – de laisser à l’individu une plus grande discrétion pousse une majorité à soutenir le principe de la  solidarité de la commune participation face aux catastrophes collectives, ce sera un indice que la population mérite cette liberté accrue qu’elle réclame.

Pierre JC Allard

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Pari de Pascal, pari de survie

Yan Barcelo, 5 juin 2011

La question théologique de « Qui est Dieu ? » est tout simplement trop large pour emporter l’assentiment aujourd’hui. Ou, plus exactement, demander de faire le passage à Dieu impose un trop grand saut qui relève d’une intuition trop particulière. Pour être valable aujourd’hui, le pari de Pascal devrait se poser en termes d’une question préliminaire, plus accessible pour la plupart à une intuition intime. Cette question, la voici : y a-t-il quelque chose qui survit après la mort physique, une « âme » en quelque sorte, qui est appelée à vivre un destin « cosmique » au-delà du temps de vie du corps physique ? Ou la mort physique est-elle radicale ? Après elle, il n’y a rien, rien du tout.

Devant une telle hypothèse, certains vont sans doute mettre de l’avant l’exception du bouddhisme, disant que celui-ci récuse la notion de « l’âme » individuelle. Mais il importe de faire la distinction entre les dogmes et théories et la réalité pratique. Dans les faits, puisqu’ils souscrivent à la notion de cycle des naissances, il y a pour les bouddhistes « quelque chose » qui subsiste après la mort. Ce n’est pas une substance, une âme, mais plutôt un agglutinement de nœuds karmiques, de persistances passionnelles, comme autant de lamelles d’oignons enveloppées autour de… rien. Mais cet « oignon karmique », par une alchimie quelconque, se transporte dans une nouvelle incarnation et poursuit son chemin de purification. Bref, puisque ça marche comme une âme et que ça caquète comme une âme, concluons que c’est une « âme », ou à peu près.

Mais au bout du compte, tant le bouddhisme que le christianisme, l’hindouisme et l’islam soutiennent que les choses ne s’arrêtent pas après la mort. C’est le premier acte de foi de toutes les traditions religieuses et spirituelles : la survie dans un « au-delà » de la vie. Une fois ce premier credo posé, il reste à voir comment on remplira ce territoire infini de l’après-vie. Le christianisme et l’islam n’adhèrent pas à l’hypothèse des réincarnations : la purification de l’âme se poursuit dans les après-mondes impliquant différents niveaux de purgatoire ou d’enfer en vue d’une accession à différents niveaux de paradis. Il y a bien sûr dans ces grands courants nombres de variations. Par exemple, chez les Témoins de Jéhovah, la mort physique est définitive, mais ce n’est pas tout à fait la mort ; il s’agit plutôt d’un long sommeil dans la « mémoire de Dieu » jusqu’à la fin des temps où, au moment du jugement dernier, tant les justes que les injustes connaîtront la résurrection dans la chair. Les injustes auront un sursis pour reconnaître Jéhovah et, s’ils ne se « convertissent » pas, ils mourront définitivement.

L’hindouisme et le bouddhisme ont un paysage d’après-vie plus complexe : on peut continuer sa vie dans différents niveaux d’enfer ou de paradis, et on peut y poursuivre son existence en tant que démon, ou fantôme ou divinité, mais on est toujours susceptible de changer de niveau quand on a épuisé les charges karmiques négatives ou positives qui nous on valu une station particulière. On peut également se réincarner en souris, en papillon ou, si on est très-très chanceux, en humain. La station humaine est extraordinairement privilégiée parce que, tout en étant très éprouvante, elle permet d’exercer un maximum de liberté face au choix entre bien et mal. Surtout, elle est un passage privilégié pour accéder au but ultime : la libération finale, la sortie du cycle des vies-et-naissances, et l’accession définitive au nirvana ou au royaume éternel.

Dieu ou pas, toutes les traditions religieuses s’entendent sur une chose : la mort n’est pas une interruption définitive de cette vie ; elle est un passage vers d’autres formes d’existence qui sont une réponse aux tribulations que nous avons connues dans cette vie : un châtiment si nous avons mal vécu, avec le plus souvent une possibilité de rachat ; une récompense avec, dans certains cas, possibilité de retomber vers des niveaux inférieurs.

Or, le pari pascalien reformulé dans le sens d’une survie quelconque après la mort est une question plus prégnante, susceptible d’ébranler les positions du matérialisme, de l’athéisme et de l’agnosticisme. Car la figure de Dieu a peut-être la possibilité de faire vibrer certains recoins obscurs de l’âme athée la plus endurcie, mais pas autant, je crois, que la question de la survie. Pourquoi ? Pour deux raisons. La première tient au goût de l’immortalité qui est fortement ancré en chacun de nous et dont on peut constater l’action dans une foule de poursuites humaines : recherche de la gloire politique, artistique ou intellectuelle ; désir de progéniture ; besoin de se réaliser dans une œuvre ou un travail qui nous survive. Malheureusement, tous ces modes d’immortalisation sont illusoires et si quelque chose survit, ce n’est pas nous-mêmes, mais seulement un monument à notre narcissisme. Pour la très-très grande majorité des humains, strictement plus personne ne se souviendra de nous 25 ans après notre mort. Et les quelques rares poilus qui se souviendront le feront plus probablement pour toutes les mauvaises raisons.

L’autre raison tient à la pérennité en nous de la conscience morale, une présence souvent inconfortable. Certes, on peut objecter comme le font les relativistes de tout acabit que la conscience morale n’a aucune légitimité inhérente et n’est que le fruit d’un conditionnement social. Changez le conditionnement et la conscience va changer avec lui. Ou encore, les tenants de la sociobiologie vont nous dire que la conscience morale obéit à la présence d’un gène de la moralité. Elle est donc innée. Mais, quoi, les gènes peuvent faire l’objet d’une thérapie, n’est-ce pas ? Ils se changent ou… se guérissent.

Mais en dépit de ces objections, il reste que la conscience morale subsiste. Elle est toujours aux aguets et nous incite, surtout dans les dernières années de notre vie, à interroger quelques gestes que nous avons posés. N’aurais-je pas pu me forcer un peu et ne pas divorcer de ma femme ? Ai-je bien fait de pousser ma fille vers l’avortement ? Qui va me pardonner d’avoir médit de cette collaboratrice et d’avoir causé son congédiement ? Des questions comme celles-là ne sont pas tonitruantes, mais elles ont le don de susurrer à notre esprit avec la douce intoxication d’un poison.

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Classé dans Actualité, Yan Barcelo