Archives quotidiennes : 26 juin 2011

Unabomber. Quand l’individu se fâche

 
 
 


 

Le 3 juin 2011, s’est terminés la vente aux enchères en ligne des biens de Theodore (Ted) Kaczynski. On a recueilli 232 000 $. Les acheteurs ont probablement fait une bonne affaire, car on entendra sans doute encore parler de “Unabomber”.

Ted Kaczynski – Unabomber – a été un assassin bien atypique. Mathématicien brillant – (Q.I de 167, il a trouvé une solution originale à l’un des problèmes les plus frustrant des maths ! ) – ce Grigori Perelman avant l’heure a été professeur à Berkeley… puis s’est retiré dans une cabane au fond des bois. Un autre original. Mais lui ne s’est pas contenté comme Perelman de refuser les  honneurs et les prix les plus prestigieux pour montrer son dédain des vanités de ce monde. Il a tué des gens.

Il en a tué trois (3) et blessé 23, au cours d’une quinzaine d’attentats aux colis piégés. Il a aussi tenté de faire exploser quelques avions, ce qui aurait multiplié par 10 ou par 100 les dommages personnels et matériels qu’il a causés.  Il a sévi pendant 17 ans, et a été l’objet de la chasse à l’homme la plus coûteuse de l’histoire du FBI.  Pourquoi a-t-on eu tant de mal à le trouver ? Parce que Kaczynski n’était pas un assassin comme les autres. Il tuait pour des principes.

Le système policier n’est pas construit pour chercher des gens qui préméditent de tuer des inconnus pour des principes, sans en retirer un bénéfice ou une autre satisfaction. Des fous le font, mais ils préméditent peu, ou si mal.  Dans l’esprit normal d’un policier normal, Unabomber, qui semblait tuer n’importe qui pour rien, était bien un fou.

Mais qu’il soit fou n’aidait pas l’enquête, car tuer n’importe qui pour rien, n’importe qui peut bien l’avoir fait…  Un « fou », Unabomber. Mais un fou quI a des principes et un Q.I de 167 n’est pas un fou comme les autres.   On ne l’a arrêté que quand son propre frère l’a dénoncé.

Quel sorte de fou était Kaczynski ? Sa thèse de base était que l’humanité, en choisissant la voie de la technologie, était à sacrifier sa liberté, sa vraie raison d’être et ses chances de bonheur. Le remède ? Renoncer à la technologie et communier avec la nature. … Ceux qui ne le veulent pas sont des obstacles.

Qui ne veut pas renoncer à la technologie ? Les “Gauchistes”. Des impuissants frustrés qui ne veulent vivre que collectivement et avec cette béquille de la technologie pour masquer leur ineptie.    Action  à prendre ?   Détruire la technologie… et les Gauchistes. Vaste programme, expliqué dans son manifeste qui n’est pas si long à lire

Quel intérêt peuvent présenter aujourd’hui pour nous Kaczynski, son manifeste et ses idées?  C’est que  Kaczynski pourrait apparaître  bientôt comme un point de repère important dans l’évolution de la pensée et de l’action politiques. Ce “fou atypique” pourrait devenir un modèle pour deux (2) types de “fous”.

Le premier type, c’est celui des “passéistes”. Ils ont toujours existé, mais cette tendance peut prendre une énorme importance, maintenant que se multiplient depuis Fukushima ceux qui réclament l’abandon du nucléaire. Rien ne prolifère plus rapidement que des iconoclastes dans un bouillon de culture parano.   On a peut-être de bonnes raisons de renoncer au nucléaire, mais beaucoup s’y opposeront certainement et le débat, en se radicalisant, tendra vers  le rejet par certains de TOUTE  technologie. Cette évolution prévisible est sans doute déjà dans les gênes du mouvement Vert, car elle apparait bien clairement dans son phénotype.

Les amoureux du passé, tout en condamnant ses méthodes, pourraient faire de Kaczynski un modèle. Pour sa position idéologique qui est l’antithèse de la pensée dominante, jointe à son engagement dans l’action qui tranche avec les discussions généralement oiseuses des politiciens.  Pour son total désintéressement, aussi, car il a assumé le rôle de prophète-martyr pour une cause dont il ne pouvait espérer aucun bénéfice.

Le second type de disciples potentiels de Unabomber, plus inquiétant, ce sont ceux qui, au contraire des premiers, pourraient ne pas partager l’opinion de Kaczynski sur la technologie, mais croire que ses méthodes ont du bon…

Kaczynski, qui a agi seul et a eu un impact certain, est un modèle qui peut dangereusement séduire, dans un pays comme les USA qui prône l’individualisme et où trainent 400 000 000 d’armes à feu en mains privées. La misère augmentant aux USA, toute issue politique étant fermée par un pseudo bipartisme qui cache une seule classe d’exploiteurs, toute action révolutionnaire collective semblant condamnée à l’échec face à une omniprésente surveillance, la contestation aux USA n’a plus aucun exutoire efficace.  Il n’est donc pas impossible que les perdants du système adoptent l’assassinat ciblé, comme message et comme riposte, faisant de Théodore Kaczynski un précurseur.

Ce n’est pas parce que l’on est comme moi un de ces Gauchistes que maudit TK et qu’on préconise une solution à la crise par un partage de la richesse, qu’on ne doit pas voir que la violence et une descente dans l’anarchie sont, hélas, une conclusion bien plus probable à la crise actuelle qu’une entente raisonnable.  Nous disons « USA », mais en l’absence de toute solution, il n’est pas impossible non plus qu’à Athènes ou Madrid, un jeune homme tout ce qu’il y a de bien s’installe un jour avec un fusil à mire sur un toit, abatte à 2 ou 300 mètres un ou l’autre de ceux qu’il juge responsables de ces malheurs, puis rentre chez lui tranquille, vengé et satisfait.

On ne nous en dira rien, ce soir-là à la TV, mais la révolution de l’individu contre le Système « à la Kaczynski » aura commencé.  On ne le saura pas tout de suite, mais il y en aura d’autres et la rumeur courra… des journaliste particulièrement marrons ou des politicien exceptionnellement véreux, des banquiers plus cupides seront abattus par des anges exterminateurs anonymes. Chaque attentat banalisant le geste et suscitant même parfois une approbation tacite. Revoyez le film Taxi Driver

Des personnages connus, mais que tout le monde déteste, disparaitront du carnet social, descendus par un quidam vraiment révolté, sans autre interêt personnel que de faire sa petite part pour la Grande Lessive et qui n’en parlera ni a sa femme, ni a ses copains… S’il agit par principe, sans interêt personnel, n’en abat qu’un et se tait, il est bien improbable qu’il soit jamais soupçonné.

Ne me faites surtout pas dire que je souhaite cette évolution. Comme la guillotine elle fera des victimes innocentes et je souhaiterais un autre dénouement. Je constate simplement que, considérant l’équilibre des forces entre les parties en présence – les 99,9 % des citoyens du monde qu’on exploite et les quelques milliers d’exploiteurs qu’on appelle ses élites – ce développement semble dans la trajectoire prévisible des événements. Le modèle fou de Kaczynski n’est pas à prendre à la légère.

Pierre JC Allard

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Pari de Nietzsche

Yan Barcelo, 26 juin 2011

J’ai écrit dans ma chronique de la semaine dernière que le pari le plus représentatif de notre époque était celui de Dostoievski : « Si Dieu n’existe pas, tout est permis ». Dans cette phrase prophétique, le grand romancier russe a bien dessiné l’alternative fondamentale qui s’offre encore aujourd’hui à l’Occident : Dieu ou le pire. 

D’un côté, il y a le pari de Dieu et de tout ce que ce pari tire dans son sillage. En tout premier lieu, il entraîne la subversion évangélique du Christ, messager privilégié de Dieu, qui a articulé les grands thèmes fondateurs de l’Occident et, plus encore, de toute la planète : affirmation éthique du monde, fondement de l’égalité de tous, primat de la foi en Dieu et du service à autrui, royauté des pauvres et des humbles. Dans ce sillon évangélique ont fleuri une foule de grands principes développés en lien avec les traditions grecque et juive et dont l’Occident s’est abreuvé pendant deux millénaires : l’affirmation de la raison ; l’affirmation des grands transcendants de la vérité, du bien et de la beauté ; l’affirmation d’un progrès se réalisant par et à travers l’histoire humaine.

En réalité, quand je parle de Dieu dans les alternatives que nous présente le pari de Dostoievski, la position de départ n’est pas tant celle de Dieu (à l’image du pari de Pascal) que celle du pari de la survie. Parler de Dieu n’est qu’une façon de fixer le point oméga qui justifie ultimement tout le parcours de l’existence individuelle dans une vie de l’âme ou de l’esprit dont la mort ne constitue par le terme définitif. Dans le bouddhisme, exception notable, la notion de Dieu n’est pas affirmée, mais cette voie spirituelle affirme néanmoins le destin cosmique d’une « âme », destin qui englobe plus que la seule vie présente. Miser sur Dieu est simplement une conséquence lointaine, et pas nécessairement inévitable, du pari de survie.

Or, tous ces grands axes qui traversent l’évolution de l’Occident ont connu des ratés majeurs et multiples (croisades, guerres de religion, inquisition, etc.). Mais à travers toutes ces douleurs, un enfantement était en cours : la venue au jour de la civilisation la plus originale et la plus dynamique de l’histoire. Réalisant, à l’époque des Lumières, une synthèse des plus précieux principes de son héritage chrétien, cette civilisation a livré les fruits qui au cours des deux derniers siècles ont inspiré la planète tout entière : démocratie, égalitarisme, individualisme, science, technologie, prospérité industrielle, féminisme, politiques sociales.

Mais il y a l’autre part du pari de Dostoievski, celle du « tout permis », une permissivité susceptible de mener au pire. Cette voie dans laquelle l’Occident est engagé est celle de la gageure de Nietzsche.

Ce penseur, qui a proclamé la mort de Dieu, a très bien compris tous les enjeux terribles du déicide qu’il constatait. Mais loin d’y résister, il les a embrassés et exaltés. Nietzsche a très bien compris la portée historique de l’intervention du Christ : avec ce dernier, une parole totalement inédite et inouïe se faisait entendre dans l’histoire humaine, une parole qui proclamait le souci du pauvre, de l’humble, du déshérité. Nietzscne a perçu avec acuité que surgissait soudain dans l’histoire une nouvelle figure : celle du faible. En contrepartie, il a prêché l’évangile des forts et des puissants. Oubliez toute la rhétorique de la transvaluation des valeurs et toute l’alchimie verbale qui tente de faire croire à l’avènement d’une nouvelle ère et d’un nouvel enchantement. Nietzsche a compris d’instinct qu’en abolissant Dieu et tout l’héritage chrétien on ne pouvait que retourner à l’idée maîtresse du monde païen : la force comme loi. La transvaluation des valeurs n’est que le rétablissement de l’ordre de priorités qui prévalaient dans les sociétés préchrétiennes, les sociétés des César et Genghis Khan de ce monde.

Or, ce monde de la force se déploie aujourd’hui avec une insistance croissante, et les formes dans lesquelles il s’exprime se multiplient. Il est particulièrement envahissant aux plans financier et économique, la logique du libre marché l’articulant avec une brutalité de plus en plus évidente. N’étant plus harnachées par les gouvernements, en fait ayant de plus en plus embrigadé les gouvernements, la finance internationale et les multinationales sont en train d’épuiser le capital économique et social des sociétés qui ont pourtant permis à ces mêmes entreprises de prospérer. En survalorisant l’hédonisme dominant et en aiguisant les impératifs de gratification instantanée, elles minent les valeurs et les vertus qui leur ont permis de croître au départ.

Au plan idéologique, de nouvelles figures du darwinisme et du néo-darwinisme ne cessent de vociférer, essayant de nous faire voir l’organisation humaine en termes de survie du mieux adapté, du plus rusé, du plus fort. Au plan social, les institutions perdent de plus en plus de crédibilité, notamment la sphère politique, et le monde criminel infiltre de plus en plus les réseaux légitimes. En Amérique du Sud, plusieurs pays, qu’il s’agisse de l’Argentine, de la Colombie, du San Salvador ou du Mexique, sont devenues des repères de banditisme et de corruption qui neutralisent toute action politique légitime. Nous sommes encore protégés en partie de cette avancée du banditisme, mais la prolifération du phénomène des gangs de rue, tant aux États-Unis qu’ici, annonce un avenir guère prometteur pour les deux grands pays de l’Amérique du Nord. Y a-t-il monde plus axé sur la force que celui de la criminalité ?

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