Archives quotidiennes : 17 juillet 2011

Pour en finir avec Guy Turcotte

Presque tout le monde au Québec a donné son avis sur l’affaire Turcotte. Presque tout le monde, car ne pas le donner était aussi une façon de le faire et de prendre parti. Simple exercice de défoulement, car ce qui a été fait par le tribunal l’a été et il est illusoire de penser qu’un appel désavouerait le juge de premier instance, seule façon de remettre en cause la décision des jurés. Cet épisode est clos.

Fini l’affaire Turcotte ? Pas encore. Le plus grave reste à venir. C’est maintenant au tour de la société québécoise de s’exprimer et c’est comme citoyens que chacun doit faire des représentations, car il est minuit moins une. Très bientôt, le Tribunal administratif du Québec, section des affaires sociales – désigné aux fins du Code criminel comme la Commission d’examen des troubles mentaux – va juger de l’opportunité de remettre en liberté Guy Turcotte

Turcotte, le chirurgien qui a tué ses deux enfants de 49 coups de couteaux et qui a prétendu vouloir se suicider, mais qui, plutôt que de se porter un 50e coup, à lui-même cette fois – là où sa formation lui a enseigné qu’il lui aurait été fatal- a curieusement choisi d’ingurgiter une espèce de Windex… dont on lui a évidemment administré l’antidote. Il a coopéré à son traitement; il le connaissait bien.

Je suis tout a fait préjugé en cette affaire et je ne prétends pas ne pas l’être. Je crois que Turcotte a prémédité avec intelligence sa défense en même temps que le meurtre. Je crois que l’avocat de la défense a fait un bon boulot et que les procureures pour l’accusation ont été roulées dans la farine.

Cela, toutefois, n’est qu’une opinion pêrsonnelle et n’a plus d’importance. L’important, c’est le vrai jugement qui intéresse toute la société et est encore à venir. C’est celui qui décidera de la présence de Turcotte parmi nous au cours des années qui viennent et c’est un tribunal administratif qui en décidera.

Or, il faut comprendre qu’un tribunal administratif, même dans le meilleur des cas, est toujours,une bête curieuse au sein du dispositif judiciaire et parajudiciaire. Ceux qui vont décider du sort de Turcotte et indirectement du nôtre – car c’est nous qui devront marcher devant lui sur les trottoirs – ne sont pas des juristes chevronnés. Ils peuvent être, mais ne sont pas nécessairement, des sommités dans leurs domaines respectifs. Ils peuvent très bien n’y entendre goutte. Ils ont été nommés là par la volonté discrétionnaire d’un gouvernement dont il n’y a plus a faire la preuve qu’il nomme de préférence ses copains et ses souteneurs.

Un tribunal administratif s’en remet généralement à l’opinions d’experts – ce qui est très bien – mais, comme le choix des jurés n’est pas sans importance sur la décision rendue dans un procès par jury, de même le choix des experts n’est pas sans conséquences sur la décision d’un tribunal administratif. Souhaitons que les experts choisis soient les meilleurs.

Espérons que les experts examineront avec soin l’hypothèse que, même si Turcotte était vraiment temporairement fou au moment du crime, il serait bien téméraire d’affirmer que la petite mécanique dans sa tête qui lui sert à être conscient de ses actes et a discerner le bien du mal – et qui s’était temporairement détraquée au moment du crime – n’est pas irrémédiablent tarée et ne se détraquera plus jamais.

La psychiatrie n’est pas une science exacte. Un expert aura-t-il la témérité de venir jurer que Turcotte ne se détraquera plus jamais ? Si personne ne peut en jurer, la Commission d’examen des troubles mentaux a le devoir envers la population du Québec de ne JAMAIS remettre Turcotte en liberté.

Si la Commission décidait d’élargir Turcotte et qu’il y avait récidive, ses membres doivent être bien conscients que ce n’est pas seulement la compétence et le bon sens des commissaires et de leurs experts qui sera contestée, mais le sérieux de toute la profession de psychiatre qui sera remis en cause.

Beaucoup de citoyens leur colleraient au cul comme les Erynnies et mèneraient campagne pour que la valeur thérapeutique objective des prestations professionnelles des psychiatres ne soit plus prises pour acquis au-delà du rôle principal de ceux-ci comme distributeurs de pilules. On exigera que le régime de Santé du Québec fasse l’économie de leurs heures de spéculations et que celles-ci ne leur soient plus remboursées. Du moins pas avant qu’on ne donne aussi un revenu garanti aux poètes, aux philosophes et aux humoristes.

Je serais des premiers à mener cette charge, car je me reproche encore de ne pas avoir gueulé plus fort dans une affaire précédente.

http://nouvellesociete.wordpress.com/2008/03/10/087-en-sursis/

S’il y avait récidive, il faudrait aussi remettre en question le processus de nomination par le gouvernement de ces gens qui siègent bien peinards et payés comme des sénateurs sur les tribunaux administratifs, ainsi que le processus du choix des gens qui y comparaissent comme experts.

Si Turcotte se rendait une autre fois coupable de violence, on serait dans la trajectoire des doutes qu’a suscités l’affaire Bastarache, mais en bien plus grave pour le gouvernement.

En bien plus grave, parce que, sur ce vêtement sale qu’est la gouvernance partisane au Québec, les taches de la corruption ou du favoritisme ne ressortent pas vraiment. Mais les taches du sang de ces deux enfants, elles, on ne les oubliera pas si facilement.

Pierre JC Allard

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Ce que Guy Turcotte nous révèle de nous-mêmes

Yan Barcelo, 17 juillet 2011

 À la suite du jugement de non-responsabilité porté à l’endroit de Guy Turcotte, des commentateurs ont dit des Québécois qu’ils faisaient la démonstration, un fois de plus, qu’ils n’ont pas de pensée, seulement des émotions. Évidemment, ils dénoncent ainsi ce qu’ils considèrent être la réaction irrationnelle d’indignation qu’une majorité de gens a manifestée.

Méprise – et mépris – typique de nos élites intellectuelles. Tout irrationnelle que la réaction des Québécois puisse être, elle s’avère saine et heureuse. Elle montre que la population a encore certains instincts moraux, instincts qu’il semble que les membres du jury se sont fait ravir par je ne sais quel subterfuge (la chronique de Pierre Allard dans ce site fournit une excellente élucidation de ce qui a pu se passer : http://www.centpapiers.com/le-mystere-du-jury-turcotte-1-4-194-304-2/76057).

Le cas Turcotte présente deux scandales. Le premier tient à l’acte meurtrier lui-même, un geste dont le caractère monstrueux a estomaqué à juste titre la population.  Le deuxième scandale tient au verdict de non-responsabilité. Qu’une telle décision ait scellé ce procès constitue un phénomène aussi monstrueux que l’acte même de Turcotte, mais dans un autre registre, celui de l’ordre moral commun, partagé par l’ensemble des citoyens.

Ce verdict montre encore une fois combien notre compréhension de l’expérience humaine a été systématiquement psychologisée, au point de complètement dévoyer la sphère morale. Cette psychologisation est profondément réductrice de la liberté humaine. Tout acte est expliqué par des antécédents affectifs (papa, maman, le voisin pédophile, etc.) qui en viennent à occuper tout le terrain intérieur au point d’oblitérer l’espace inviolable propre à toute personne, son libre arbitre. Nous sommes dans un modèle explicatif mécaniste et réducteur où nos gestes ne sont jamais que le résultat de conditionnements passés sur lesquels l’individu n’a aucune emprise. Quand une situation plus extrême déclenche la dynamique de ces conditionnements, tout le champ de la conscience est envahi, les « plombs intérieurs pètent », on devient forcément fou et… on n’est plus responsable.

De plus, ce verdict de non-responsabilité semble fondé sur un apriori implicite que seul le meurtrier qui tue en toute froideur est responsable de son geste. Celui qui le fait dans un accès de passion est aux prises avec une folie passagère, donc non-responsable. C’est de la psychiatrie de bas étage, à laquelle même un petit intellectuel comme Freud n’aurait pas souscrit.

Or, la population, qui ne s’est pas encore fait complètement laver le cerveau par ce discours psychologisant, ne s’y trompe pas et voit juste dans la mascarade du procès Turcotte: l’individu s’est adonné à un geste immoral, un geste pour lequel son égo, axé sur son propre renforcement idolâtrique, le préparait sans doute depuis un bon moment. Est-il responsable au même titre qu’un tueur professionnel des Hell’s Angels? Certes non. Y a-t-il des circonstances atténuantes qui peuvent justifier une sentence moins éprouvante? Certes. Mais de là à le déclarer non responsable, il y a un abîme à franchir… que ce jury a franchi allègrement.

Ce procès met également en jeu un autre débat souterrain. Ceux qui approuvent le verdict rendu ont tendance à parler d’éthique plutôt que de moralité. On peut penser qu’il s’agit d’un simple jeu sémantique, stérile et sans conséquences. Pas du tout. Dites-moi : diriez-vous du geste de Guy Turcotte qu’il n’est pas éthique? Le terme plus approprié n’est-il pas plutôt « immoral »? Ce dernier mot ne traduit-il pas mieux la réaction viscérale de répulsion qu’un tel meurtre a produite? Dire qu’il est « non éthique » ne laisse-t-il pas l’impression qu’on essaie de greffer à une réalité humaine profondément désespérante une sorte de code superficiel qui ne convient tout simplement pas à la situation qui nous est présentée. On pourrait dire que le Dr Turcotte, par exemple dans sa pratique médicale, aurait manqué à l’éthique de sa profession en retardant des soins à l’endroit d’un patient très mal en point pour donner priorité à un ami, moins mal pris, mais qui aurait payé pour passer au premier rang.

Mais si le Dr Turcotte avait laissé ce premier patient mourir intentionnellement en refusant de lui administrer des soins requis, pourrait-on encore parler de « manque d’éthique »? Là encore, le mot immoral n’est-il pas nettement plus approprié.

Pourtant, toute une faction intellectuelle de nos élites privilégie le langage de « l’éthique », en condamnant la « morale », en disant qu’il s’agit seulement d’un ridicule catéchisme d’une époque révolue, un catéchisme qu’on récitait mécaniquement. Pourtant, quand les événements de la vie prennent tout leur poids existentiel authentique, il est étonnant comme les vieux mots qu’on a voulu reléguer aux boules à mites prennent toute leur charge.

Dans un tel éclairage, on peut à juste titre opérer le renversement suivant : c’est l’éthique qui relève d’un code plus ou moins convenu, d’un catéchisme plus ou moins arbitraire, quelque peu élastique. La morale, elle, est inscrite dans les circuits innés de l’être. Quand un événement vraiment provocant la sollicite, comme c’est le cas des meurtres de Turcotte, elle se manifeste viscéralement. Elle n’est pas toujours articulée selon des normes rationnelles de discours, loin de là. Mais l’indignation qui la manifeste est authentique et « parle » directement.

Or, toute cette sophistique de l’éthique ne tient pas à une génération spontanée apparue hier dans notre paysage intellectuel. Elle résulte d’un long développement historique qui est passé par le freudisme, le relativisme de l’anthropologie, les supputations darwiniennes et toutes les théories structuralistes de la société et de la psyché. Toutes ces écoles de pensée ont macéré dans nos universités et milieux académiques pour livrer ce fruit intellectuel perverti qui a dominé la pensée au cours des cinquante dernières années : la mort du sujet. Nos académiciens pensaient peut-être se livrer à des petits jeux sans conséquence dont les retombées seraient confinées aux frontières de leurs cabinets universitaires. Pas du tout. Ces façons de penser ont percolé dans toutes les disciplines (criminologie, pédagogie, économie, relations industrielles, etc.) pour livrer aujourd’hui, parmi multiples autres fleurs vénéneuses,  un verdict qui fait scandale : Guy Turcotte n’est pas responsable.

Il est grandement temps de remettre à l’honneur un discours de la morale fondé dans les substrats essentiels de l’être humain et dans une vision métaphysique renouvelée de l’univers.

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