Presque tout le monde au Québec a donné son avis sur l’affaire Turcotte. Presque tout le monde, car ne pas le donner était aussi une façon de le faire et de prendre parti. Simple exercice de défoulement, car ce qui a été fait par le tribunal l’a été et il est illusoire de penser qu’un appel désavouerait le juge de premier instance, seule façon de remettre en cause la décision des jurés. Cet épisode est clos.
Fini l’affaire Turcotte ? Pas encore. Le plus grave reste à venir. C’est maintenant au tour de la société québécoise de s’exprimer et c’est comme citoyens que chacun doit faire des représentations, car il est minuit moins une. Très bientôt, le Tribunal administratif du Québec, section des affaires sociales – désigné aux fins du Code criminel comme la Commission d’examen des troubles mentaux – va juger de l’opportunité de remettre en liberté Guy Turcotte
Turcotte, le chirurgien qui a tué ses deux enfants de 49 coups de couteaux et qui a prétendu vouloir se suicider, mais qui, plutôt que de se porter un 50e coup, à lui-même cette fois – là où sa formation lui a enseigné qu’il lui aurait été fatal- a curieusement choisi d’ingurgiter une espèce de Windex… dont on lui a évidemment administré l’antidote. Il a coopéré à son traitement; il le connaissait bien.
Je suis tout a fait préjugé en cette affaire et je ne prétends pas ne pas l’être. Je crois que Turcotte a prémédité avec intelligence sa défense en même temps que le meurtre. Je crois que l’avocat de la défense a fait un bon boulot et que les procureures pour l’accusation ont été roulées dans la farine.
Cela, toutefois, n’est qu’une opinion pêrsonnelle et n’a plus d’importance. L’important, c’est le vrai jugement qui intéresse toute la société et est encore à venir. C’est celui qui décidera de la présence de Turcotte parmi nous au cours des années qui viennent et c’est un tribunal administratif qui en décidera.
Or, il faut comprendre qu’un tribunal administratif, même dans le meilleur des cas, est toujours,une bête curieuse au sein du dispositif judiciaire et parajudiciaire. Ceux qui vont décider du sort de Turcotte et indirectement du nôtre – car c’est nous qui devront marcher devant lui sur les trottoirs – ne sont pas des juristes chevronnés. Ils peuvent être, mais ne sont pas nécessairement, des sommités dans leurs domaines respectifs. Ils peuvent très bien n’y entendre goutte. Ils ont été nommés là par la volonté discrétionnaire d’un gouvernement dont il n’y a plus a faire la preuve qu’il nomme de préférence ses copains et ses souteneurs.
Un tribunal administratif s’en remet généralement à l’opinions d’experts – ce qui est très bien – mais, comme le choix des jurés n’est pas sans importance sur la décision rendue dans un procès par jury, de même le choix des experts n’est pas sans conséquences sur la décision d’un tribunal administratif. Souhaitons que les experts choisis soient les meilleurs.
Espérons que les experts examineront avec soin l’hypothèse que, même si Turcotte était vraiment temporairement fou au moment du crime, il serait bien téméraire d’affirmer que la petite mécanique dans sa tête qui lui sert à être conscient de ses actes et a discerner le bien du mal – et qui s’était temporairement détraquée au moment du crime – n’est pas irrémédiablent tarée et ne se détraquera plus jamais.
La psychiatrie n’est pas une science exacte. Un expert aura-t-il la témérité de venir jurer que Turcotte ne se détraquera plus jamais ? Si personne ne peut en jurer, la Commission d’examen des troubles mentaux a le devoir envers la population du Québec de ne JAMAIS remettre Turcotte en liberté.
Si la Commission décidait d’élargir Turcotte et qu’il y avait récidive, ses membres doivent être bien conscients que ce n’est pas seulement la compétence et le bon sens des commissaires et de leurs experts qui sera contestée, mais le sérieux de toute la profession de psychiatre qui sera remis en cause.
Beaucoup de citoyens leur colleraient au cul comme les Erynnies et mèneraient campagne pour que la valeur thérapeutique objective des prestations professionnelles des psychiatres ne soit plus prises pour acquis au-delà du rôle principal de ceux-ci comme distributeurs de pilules. On exigera que le régime de Santé du Québec fasse l’économie de leurs heures de spéculations et que celles-ci ne leur soient plus remboursées. Du moins pas avant qu’on ne donne aussi un revenu garanti aux poètes, aux philosophes et aux humoristes.
Je serais des premiers à mener cette charge, car je me reproche encore de ne pas avoir gueulé plus fort dans une affaire précédente.
http://nouvellesociete.wordpress.com/2008/03/10/087-en-sursis/
S’il y avait récidive, il faudrait aussi remettre en question le processus de nomination par le gouvernement de ces gens qui siègent bien peinards et payés comme des sénateurs sur les tribunaux administratifs, ainsi que le processus du choix des gens qui y comparaissent comme experts.
Si Turcotte se rendait une autre fois coupable de violence, on serait dans la trajectoire des doutes qu’a suscités l’affaire Bastarache, mais en bien plus grave pour le gouvernement.
En bien plus grave, parce que, sur ce vêtement sale qu’est la gouvernance partisane au Québec, les taches de la corruption ou du favoritisme ne ressortent pas vraiment. Mais les taches du sang de ces deux enfants, elles, on ne les oubliera pas si facilement.
Pierre JC Allard