par André Lefebvre
Vive les vacances!!! Nous allons enfin décompresser!!!
Il est 11hre et c’est le départ. Tous les quatre, affublés d’un sourire fendu jusqu’aux oreilles, nous nous embarquons sur l’autoroute 440 pour nous rendre jusqu’à la 40 qui mène vers Québec. Le chauffeur est une femme d’affaire prospère qui réussit grâce à sa détermination et son sens de l’organisation. Les deux autres passagères sont également des personnes « bien organisées » dans leur vie. Toutes trois sont des femmes qui ont l’habitude de « planifier » et d’atteindre le but qu’elles visent. Seul homme du groupe, je n’ai aucune idée de ce qui va m’arriver. Il va sans dire que mes compagnes sont toutes déterminées à « réussir » ces vacances; et l’auto se met à rouler, tout juste un peu plus vite que la « vitesse permise ».
Et elle roule, et roule….et roule, sans que personne ne songe même à parler. Le silence s’est rapidement installé dans l’auto. À un moment donné, après quelques heures, il nous faut bien nous arrêter pour manger quelque chose. Un beau restaurant est l’heureux élu. En vacance on ne lésine pas sur les dépenses. Les femmes se dirigent vers les toilettes et je choisis une table où je m’installe.
Lorsque l’une d’elle arrive à la table, elle m’aperçoit, la tête inclinée et songeur :
-Est-ce que ça va, André?
-Si ça va??? Joual-vert, ça ne peut pas aller mieux!!! Nous avons quatre jours de vacance et, de la façon dont on s’y prend, on va les « faire » en 1 jour et demi. Que demander de plus?
Elle éclate de rire et lorsque les deux autres « touristes » arrivent à notre table, elles nous trouvent pris dans un fou-rire incontrôlable. Lorsqu’elles sont mises au courant, tout le monde rigole à notre table. On me demande alors si je préférerais conduire l’auto.
«Pas question! Je ne pourrai jamais faire mieux que notre chauffeur ». Répondis-je. Et la rigolade reprend de plus belle.
Chacune explique ensuite ce qu’elle a « planifié » pour ces « vacances ». Le but immédiat est donc Rimouski, où le frère de deux d’entre elles nous attend. Il nous fera visiter la région pendant deux jours où, ensuite, nous prendrons le traversier vers la rive nord du fleuve. De là, nous irons voir les baleines à Tadoussac et reviendrons vers Montréal en visitant certains endroits « prédéterminés » que nous traverserons. Évidemment, tout est « organisé » à la minute près et nous ne pouvons nous permettre d’en perdre une seule.
À notre deuxième journée à Rimouski, CRAC! Il se met à pleuvoir. Ça n’était pas prévu et une « re-planification » devient nécessaire. Nos organisatrices se rendent compte qu’elles sont maintenant coincées entre les « endroits à visiter » et « l’horaire du traversier » de Rimouski. Rien ne va plus et une discussion animée commence autour de la table. Les vacances sont trop courtes, les « horaires » du retour de chacune ne sont pas aussi « flexibles » qu’il le faudrait, et finalement, c’est l’impasse. Elles sentent toutes que les vacances risquent d’être « bousillées ».
En réalité, ce n’est que leur « planification » qui est bousillée; ce qui n’est pas, du tout, pour me déplaire. À mes yeux, des vacances « à vitesse grand V », sans aucun imprévu, ce ne sont pas des vacances. Je les laisse discuter jusqu’à ce qu’elles me demandent mon avis sur la solution. Je commence alors par établir les « faits » du problème qui sont immuables :
1) Nous voulons traverser le lendemain.
2) Nous avons trois autres endroits à visiter avant de traverser
3) L’horaire du traversier ne nous en donne pas le temps suffisant.
La solution me paraît assez simple :
1) Il existe trois villes qui offrent des traversiers : Rimouski, Trois Pistoles et Rivière-du-Loup. Rimouski nous débarque sur la côte nord, près de Baie-Comeau; ce qui nous oblige à trois heures de route pour revenir jusqu’à Tadoussac. Je propose donc d’éliminer ce traversier. Ce qui élimine automatiquement son horaire restrictif et nous donne trois heures de « liberté » additionnelle.
2) Le traversier de Trois Pistoles exige une réservation. Ce qui nous est impossible de faire, puisqu’on ne sait pas exactement le moment où nous arriverons à cet endroit. Je leur propose d’éliminer la visite du « Jardin des métis », parce qu’il pleut à boire debout. Toutes tombent d’accord.
3) Finalement je leur propose de poursuivre les autres visites touristiques de Rimouski et de partir vers 7 heures le lendemain matin, pour nous rendre au traversier de Trois Pistoles. S’il y a de la place pour nous, nous traverserons, sinon, nous nous rendrons à Rivière-du-Loup où la réservation n’est pas nécessaire.
Vous remarquez certainement que ma « planification » développe un début d’acceptation de « l’imprévu »; ce qui installe, potentiellement, une autre forme de « plaisir » qui n’existe pas dans un voyage « planifié à la minute près ». Cela prendra une journée de plus pour vraiment installer cette façon de voir. Ce nouveau « plaisir » de voyager sans savoir exactement ce qui va se présenter devant nous, est ce qui, personnellement, me semble être le rôle de vraies « vacances ».
La traversée à partir de Trois Pistoles (où il y avait amplement de places libres) détermine cette nouvelle vision de nos vacances. À partir de la municipalité « Les Escoumins », où se fait le « débarquement, nous n’avons plus aucun horaire. Nous nous arrêtons là où notre curiosité est éveillée et les « vrais vacances » commencent. Nous sommes libérés des contraintes habituelles; plus question d’autoroutes pour nous. Nous visitons tous les petits villages rencontrés sur notre chemin. La peur de « l’inconnu » est complètement disparue pour se transformer en « plaisir de découvrir ».
En réalité, nos vacances sont tout simplement une réplique de la vie « normale ». On ne sait jamais ce qui va survenir « demain ». Par contre, on avance maintenant avec confiance, en nous rendant très bien compte que la vie est belle justement parce qu’elle n’est plus contrainte par des horaires et des « obligations systémiques ». Toute notre attention est simplement dirigée vers le « plaisir de découvrir ». Aucun de nous ne sent plus le besoin de « contrôler » les évènements pour nous sécuriser. La sécurité c’est formidable, mais elle a le vilain défaut d’éliminer la richesse des imprévus qui cachent, tous, énormément plus de « plaisirs » que tout ce que nous pourrions « planifier ».
À partir de cet instant, nous changeons de comportement. Nous échangeons avec tous ceux que nous rencontrons. Nous « prenons le temps » de nous intéresser à ceux qui nous entourent et nous en tirons autant de plaisirs et de moments joyeux. Chacun des « passants » fait maintenant partie de nos « vacances ». Nous sommes sortis de « nos bulles personnelles » pour goûter à toute la vie qui « pétille » autour de nous.
Je me rends compte qu’il n’est pas nécessaire que cette façon « vacancière » de vivre cesse avec les vacances. Il n’y a aucune raison justifiable de revenir constamment nous réfugier dans notre « bulle de sécurité » lorsque les vacances seront finies; à moins, évidemment, que notre moyen de gagner notre vie est de « profiter » de ceux qui nous entourent, au lieu de participer aux plaisirs imprévus que la vie fournit quotidiennement à notre environnement.
Je devrai me pencher très sérieusement sur cette possibilité de « vivre » avec une confiance inconditionnelle envers « l’inconnu ». Cela demande au départ de faire disparaître mes peurs et mes inquiétudes inutiles qui prennent tellement de place dans mon horaire quotidien.
Vais-je y parvenir? Toute la question est là.
Amicalement
André Lefebvre