Archives quotidiennes : 14 août 2011

Apprivoiser l’injustice


Justice, justice, on n’a que ce mot à la bouche. Si on l’aimait vraiment, il faudrait voir la justice comme une icône et la mettre sur le guéridon avec un lampion devant en signe de révérence. Il faudrait admettre que la justice n’est qu’un espoir. Dans la réalité, la seule justice est que les causes produisent leurs effets.

La justice comme on la rêve, avec l’égalité qui la suit comme son ombre, n’existe pas. La nature, ce sont les gros qui bouffent les petits de haut en bas de la chaîne alimentaire. Si dans la strate «humanité» on ne se dévorent plus les uns les autres, c’est bien affaire de tendreté plus que de tendresse et on se reprend autrement…

On s’est repris en bâtissant d’abord des sociétés qui reproduisent la lutte pour la vie et où prévaut une totale injustice. Heureusement, avec la division du travail nait la complexité, la complémentarité et une dépendance envers la autres qui prend sa source dans la richesse accrue que permet cette complémentarité. On dépend tellement des autres qu’on en vient, sinon à les aimer, du moins à en prendre soin. On va parler de solidarité.

Une société ne peut exister sans la solidarité, qui est cette protection nécessaire de ceux dont on dépend pour tirer de la société le mieux qu’on peut en tirer. Cette solidarité pose des limites concrètes à l’injustice. Pas des limites à l’égoïsme, lequel demeure inchangé, mais à la manifestation de l’égoïsme. On apprend à apprivoiser l’injustice. On devient civilisé.

Dans une petite tribu, chacun qui n’est pas trop bête voit ce qu’il faut faire et ne pas faire pour que ne soient pas mis en péril le bien général et sa propre qualité de vie. Ceux qui ne le voient pas sont vite éliminés. Dans une société complexe, les liens ne sont plus si apparents. On compte sur l’État pour les voir et les faire comprendre à tous. En faisant des lois, des réglements et en les faisant respecter.

Au départ, on demande à l’État d’assurer la sécurité. Que l’étranger ne vienne pas nous asservir et que les voisins ne nous volent pas nos moutons. Pour le reste, libéralisme. Mais, avec la Révolution industrielle, l’interdépendance augmente et l’État doit se mêler de la production, qui est la création de richesse réelle. L’injustice restera flagrante, mais on l’apprivoisera en passant du libéralisme au néoliberalisme.

Après quelques incidents inquiétants, comme la Crise de 1929, le néolibéralisme viendra qui acceptera qu’il faille prendre des riches, pour donner aux pauvres. Redistribuer assez de richesse pour que la demande reste «effective» et que ce qui est produit soit largement consommé, sans quoi riches comme pauvres seraient ruinés. On redistribuera un minimum, bien sûr, mais ce sera ce qu’il faudra…

Cette confiscation permanente, systémique, d’une part de la richesse étant nécessaire, elle a été acceptée. Mais ne pouvait que frustrer les gagnants du jeu de la production et être un odieux fardeau pour l’État chargé de cette «péréquation». Comment rendre le prèlevement moins haïssable? En faisant un pari audacieux. Il fallait donner aux pauvres l’argent pour consommer, mais était-il nécessaire que cet argent soit prélevé des riches ? Que non ! Il suffisait de CRÉER plus argent La caste des riches garderait sa part et les pauvres auraient ce qu’il fallait.

Si on créait plus d’argent, sans créer une richese réelle correspondante, n’allait-on pas avoir une terrible inflation ! Pas du tout, car les riches ayant déja tout ce qu’ils voulaient, ils ne consommeraient pas davantage et l’argent entre leurs mains n’exercerait donc pas de pression sur les prix. Il économiseraient, investiraient, auraient de plus en plus d’argent… mais ne dépenseraient pas significativement plus. On aurait, sans avoir à le dire, un argent pour la consommation de Quidam Lambda et un argent pour les riches.

On a vécu des décennies en misant sur cette notion qu’il y avait deux richesses qui ne se mêlaient pas. On a vécu les «Trente glorieuses», on est passé d’une économie industrielle a une économie tertiaire. Il y a eu bien des péripéties, mais les décrire nous écarterait de notre sujet. Ceux qui s’y intéressent peuvent consulter ce lien.

On a vécu sans dommages, laissant se créer une richesse monétaire sans inflation, mais c’était une situation bien instable. Quand on a commis l’erreur de monter des échaffaudages financiers ayant à leur base des propriétés, on a mis des biens réels en gage d’obligations financières. La valeur du bien réel pouvait n’être qu’une parcelle infime de la valeur du montage financier, mais une fluctuation pouvait compromettre la propriété de ce bien réel. On mêlait l’argent pour la consommation à l’argent pour rire des riches…. Danger ! Une perte de confiance, et l’économie réelle serait affectée.

Quand est venue cette perte de confiance et que l’économie a vacillé, le probleme pour les financiers, a été facile a regler: on s’est imprimé virtuellement et on a inscrit aux livres quelques centaines de milliards de plus. Sans importance, puisque l’on savait bien que cet argent ne valait rien. La bourse pouvait continuer a monter…

Pour Quidam Lambda, cependant, quand l’économie vacille et entre en chute libre, c’est lui qui en fait les frais par le chomage et c’est de l’argent pour la consomation qui lui manque. C’est la catastrophe.

Avec la crise de 2008, l’injustice est réapparue. Brutale. Sauvage. On ne pouvait pas dire à QL que l’énorme dette qu’on augmentait maintenant sans broncher n’était qu’une variable d’ajustement, qu’il n’avait jamais été question qu’on la rembourse et maintenant moins que jamais. L’avouer aurait été dire au peuple qu’on lui avait menti, ce qui ne va pas sans risques.

L’injustice qu’on avait presque fait oublier est donc réapparue. Le Systeme doit la cacher à nouveau sous le boisseau pour que le jeu entre riches se poursuive et que se poursuive aussi l’exploitation optimale des autres sans trop les énerver. Pour survivre le Système doit re-apprivoiser l’injustice. Il le peut en posant les gestes largement symboliques qui rassureront la population – comme rembourser la dette par des virements entre riches qui ne toucheront pas le monde ordinaire – mais s’il ne le fait pas, cette histoire pourrait bien mal finir.

Et s’il le fait – ça, ou autre chose qui fasse disparaître cette dette odieuse – entrerons-nous dans un monde meilleur ? Un peu meilleur… mais évitons-nous une déception: l’injustice changera, mais ne disparaitra pas.

Elle ne disparaitrait que si vous comme moi ne voulions demain que le plus grand bien de tous et n’avions plus aucune pensée égoïste. On en reparlera…

Pierre JC Allard

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Le capitalisme intellectuel – 2

Yan Barcelo, 14 août 2011

Aujourd’hui, la première édition d’un produit coûte extrêmement cher à réaliser alors que le coût des copies est presque négligeable. La chose est particulièrement vraie dans l’industrie pharmaceutique où le développement d’un médicament s’échelonne sur dix ans et coûte en moyenne 750 millions de dollars tandis que les pilules ne coûtent que des fractions de sous à fabriquer. La même logique prévaut dans l’élaboration de logiciels ou de banques de données, dans la production de films et de musique, dans l’établissement d’un commerce sur Internet, dans le mise en orbite de satellites et autres engins spatiaux.

Cette prépondérance de la connaissance n’est plus seulement l’apanage des industries de pointe. Elle gagne de plus en plus toutes les couches économiques, jusqu’aux plus primaires, que ce soit dans la fabrication de meubles et même dans le secteur minier.

En même temps que les coûts de conception et de développement explosent, et que les coûts de reproduction implosent, on assiste à l’inflation d’une autre sphère d’activité économique, basée elle aussi sur les concepts et la connaissance : le marketing et la publicité.

Cette polarisation économique croissante entre la conception technique et la conception commerciale fait en sorte que certaines entreprises s’éviscèrent de plus en plus de toute activité manufacturière, la délocalisant en Asie. Un nombre croissant d’entreprises ne sont plus que des boîtes d’idéation, pourrait-on dire, dont la spécialité est de comprendre les besoins des clients et, à partir de cette compréhension, de concevoir les produits qui y correspondent, et d’imaginer les moyens de les vendre. C’est ce qui est advenu de Nortel, par exemple, avant qu’elle n’en arrive à imploser à cause de son adhésion à l’hérésie de la « valeur aux investisseurs ».

Cette ascendance graduelle de la primauté du conceptuel entraîne la remise en valeur du domaine de la propriété intellectuelle et de ses sceaux officiels de légitimation : les brevets, marques de commerce et droits d’auteur. Le phénomène prend l’allure d’une ruée. Au bureau américain des brevets, l’année2000 avu l’octroi de 190 000 brevets, presque trois fois plus que les 70 000 octrois de 1980. Le nombre d’applications pour brevets, pour sa part, est passé de 110 000 à 320 000 durant la même période.

Une première raison de cette ruée tient à un impératif fondamental de la lutte pour la survie économique : se protéger. C’est la fonction qu’on a toujours attribuée à l’obtention du brevet.Étant donné que tout l’investissement est maintenant dirigé vers la création de la première unité, celui qui a tout investi de cette façon et qui se fait ensuite copier vient de se faire flouer.

Un changement d’attitude aux États-Unis à l’endroit de la propriété intellectuelle a également présidé à la ruée vers les brevets. Jusqu’aux années 1980, le système judiciaire américain entretenait un préjugé négatif à l’endroit du brevet, considérant que son détenteur était un « monopoliseur » en puissance. Mais sous l’impulsion de la Reaganomie et en réponse à l’offensive des Japonais qui s’adonnaient librement à « l’ingénierie à rebours » (un nom sophistiqué synonyme de « copie ») de produits américains, un changement d’attitude est survenu. On en est venu à voir le brevet comme une récompense légitime de l’innovation. Mais ce monopole a un prix, comme le souligne Georges Robic, associé au cabinet Robic, agents de brevets, d’inventions et de marques de commerce : « On donne le droit d’un monopole de 20 ans, mais l’inventeur est tenu de divulguer son invention. » De cette façon, tout en obtenant un privilège privé, il contribue à l’avancement général des connaissances.

Ce nouveau préjugé favorable à l’endroit des brevets s’est concrétisé dans des jugements éclatants. Auparavant, on considérait aux Etats-Unis qu’une poursuite pour contrefaçon de brevet n’avait qu’une chance sur trois d’être couronnée de succès. Après la mise en place d’un tribunal spécialisé en droit des brevets, le US court of Appeals for the Federal Circuit, les plaignants ont eu gain de cause dans 80% à 85% des cas. Les peines imposées ont désormais eu des crocs, atteignant souvent les milliards de dollars en compensation.

Ce changement d’attitude, comme par hasard, a accompagné l’offensive de globalisation des transnationales, offensive dont les États-Unis ont pris l’initiative. Au milieu des années 1980, ils ont multiplié les pressions sur l’Organisation Mondiale du Commerce pour faire dresser une charte des droits de propriété intellectuelle (les TRIPs, ou Trade-Related Intellectual Property rights). Armés de la sorte, les États-Unis ont systématiquement ciblé les pays spécialistes de la copie, comme Taiwan, la Chine, la Corée du Nord et l’Inde.

 

(Je vous invite à laisser des commentaires, toutefois, je ne pourrai y répondre avant le 15 août. )

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