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Lecture athéologique 1

Yan Barcelo, 4 septembre 2011

J’ai entrepris depuis quelques jours une lecture du Traité d’athéologie, du philosophe français Michel Onfray. Il est intéressant de trouver là, condensé en quelque 300 pages, l’essentiel de l’idéologie athée qui prévaut dans les milieux intellectuels d’aujourd’hui.

Comme le souligne Onfray, l’athéisme pur est rare. On rencontre toutes sortes d’athées soft, qui n’ont pas vraiment réfléchi à leur affaire, ou des athées chrétiens, qui adoptent une grande partie de la morale et des valeurs chrétiennes, qui saluent par exemple la figure de référence du Christ, messager de l’amour d’autrui – Dieu en moins.

Chez Onfray, c’est un athéisme pur et dur qu’on trouve. Ici, toutes les constructions religieuses fondées sur des arrières-mondes invisibles, toute la morale et toutes les valeurs héritées de la Bible et des Évangiles, Jésus, Dieu, Abraham, Mahomet – Fini ! Mort! Enterré!

Cependant, le titre du livre d’Onfray est trompeur. Dans les traités théologiques, on discourait sur Dieu et sur ce qu’Il implique pour l’existence humaine. Thomas d’Aquin le fait pendant des milliers de pages. Chez Onfray, on manque d’avoir un discours équivalent de ce qu’un monde sans Dieu et sans religions implique. Quelques phrases de-ci de-là, quelques suggestions, mais rien de substantiel. Car le livre n’est pas un traité, mais un pamphlet où il tire à boulets rouges sur les trois monothéismes (chrétien, judaïque et musulman).

L’argument est simple, pour ne pas dire simpliste (quoique très bien écrit) : les trois monothéismes n’ont strictement rien contribué à l’humanité. Rien-rien du tout. Ils n’ont traversé les siècles qu’en exaltant l’instinct de mort, en ridiculisant la raison, en obstruant systématique la science, en dévitalisant les corps, en niant et méprisant la matière, en amenuisant et asservissant les femmes. Bref, ils ont systématiquement colonisé, asservi, tué, massacré, irrémédiablement tenté de rapetisser et d’étouffer le monde matériel au nom de l’idéal inatteignable d’un Paradis. La rengaine est bien connue. Si l’argument d’Onfray avait été un tantinet plus nuancé, il aurait gagné en crédibilité. Mais la hargne et le ressentiment se lisent à chaque page, chaque paragraphe, chaque ligne.

Il est ironique qu’Onfray cite en ouverture le saint patron de l’athéisme radical, le philosophe allemand Friedrich Nietzsche. La citation, tirée de Ecce Homo, se lit comme suit :

La notion d’« au-delà », de «monde vrai » n’a été inventée que pour déprécier le seul monde qu’il y ait – pour ne plus conserver à notre réalité terrestre aucun but, aucune raison, aucune tâche. La notion d’« âme », d’« esprit » a été inventée … pour apporter à toutes choses qui méritent le sérieux dans la vie – les questions d’alimentation, de logement, de régime intellectuel, les soins à donner aux malades, la propreté, le temps qu’il fait – la plus épouvantable insouciance.

S’il avait un peu mieux lu son histoire universelle et religieuse, Onfray aurait constaté que plusieurs de ces « choses sérieuses » ont été mises à l’honneur en premier lieu par les grandes religions monothéiste, tout particulièrement la chrétienne. Je donne quelques exemples, parmi les plus évidents. Les soins à donner aux malades et la mise en place d’hôpitaux et d’orphelinats sont le fait du christianisme; dans aucune autre religion ne trouve-t-on l’équivalent, loin s’en faut. Les questions d’alimentation ont été des préoccupations constantes des abbayes du Moyen-Âge et c’est sur leurs vastes propriétés qu’ont été appliquées les avancées majeures du collier de cheval appuyé sur le torse de l’animal et du soc de charrue à labourage profond, des technologies qui ont permis la première révolution verte et l’émergence des villes. La propreté? C’est une obsession des religions, tout particulièrement en Islam. Bien sûr, le christianisme a longtemps négligé la propreté du corps, ce qui est une cause probable des grandes épidémies comme la peste noire; mais c’est une erreur qui a été rattrapée. Quant au régime intellectuel, les premières universités du monde sont nées en Europe, pourtant chrétienne – certainement pas dans les mondes hindouistes et bouddhistes – et les plus grands penseurs de l’Occident ont systématiquement été éduqués chez les « curés », qui ont détenu pendant longtemps le monopole de l’éducation.

Est-ce une raison pour blanchir totalement les monothéismes des accusations que leur porte Onfray et tant d’athéologues à sa suite? Pas du tout. Ils ont été sanguinaires, répressifs, destructeurs, réducteurs, obscurantistes, mais guère plus que ne l’ont été les royaumes et empires avant eux et autour d’eux : invasions des Grecs, des Macédoniens, des Romains, des Mongols, des Chinois, des Japonais, et j’en passe. Évidemment, ces peuples, pour justifier leurs guerres, les ont toujours drapées d’oripeaux religieux en s’assurant que les consultations des esprits avant les combats leur étaient toujours favorables.

Le drame pour les monothéismes, c’est qu’ils sont en contradiction flagrante avec plusieurs de leurs dogmes religieux qui interdisent le meurtre et proclament l’amour du prochain. C’est tout particulièrement le cas du christianisme, pour qui le message d’amour du Christ est fondateur. Mais on peut reconnaître cette vertu, au moins au christianisme: tout en contredisant dans nombre de ses actions le message du Christ, il a néanmoins porté ce message et, malgré les carences d’une majorité de ses messagers, plusieurs l’ont souvent incarné. Un exemple entre mille : si l’institution de l’esclavage a été finalement abolie en Occident, c’est grâce au substrat intellectuel du christianisme. Certes, il a fallu pour assurer ce triomphe plus de 1800 ans, mais malheureusement l’histoire nous montre que les plus grandes idées mettent des millénaires à prendre racine. Et encore, l’abolition de l’esclavage n’est qu’une première victoire, presque dérisoire face à d’autres qu’il faut encore remporter.

Finalement, c’est cette contradiction de fond qu’on ne pardonne pas au christianisme tout particulièrement, Onfray n’y faisant pas exception. On est impatient, à l’image de toute notre époque. On voudrait que le message du Christ s’incarne illico presto. Mais la dureté du cœur humain y oppose un profond et durable obstacle.

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