Yan Barcelo, 11 septembre 2011
(J’ai entamé la semaine dernière une critique du Traité d’athéologie, du philosophe Michel Onfray, dont je poursuis ici le deuxième volet).
Au fin fond, le livre d’Onfray n’est qu’un autre brulot anticlérical. Avec la différence qu’il n’hésite pas à jeter le bébé avec l’eau du bain : l’Église et la Synagogue, certes, mais Dieu, Christ et Yahweh tout en même temps. Il appelle ardemment de ses vœux une société laïque résolument post-chrétienne, c’est-à-dire lavée et essorée du moindre vestige chrétien.
Pour mettre quoi à la place? Le voici en résumé, en opposant les termes de l’ancien – conspué – et du nouveau –ardemment désiré :
De quoi travailler ensuite à une nouvelle donne éthique et produire en Occident les conditions d’une véritable morale post-chrétienne où le corps cesse d’être une punition, la terre une vallée de larmes, la vie une catastrophe, le plaisir un péché, les femmes une malédiction, l’intelligence une présomption, la volupté une damnation.
Quelle est la valeur cardinale sous laquelle se pose ce nouvel arsenal « moral »? Tenez-vous bien, la révélation est proche : le plaisir. C’est fulgurant comme dévoilement. Évidemment, on sait combien les humains ont tendance à prendre leur plaisir aux dépens de leurs prochains, ce qui tend, à son tour, à réduire d’autant le plaisir de ces derniers. C’est sans compter les simples conditions fondamentales de la vie qui ne sont pas génératrices de tant de plaisir que ça : le boulot, les rêves et les ambitions amputés, la maladie, la mort… Devant ces éteignoirs de plaisir, que faire? Onfray n’est pas très clair là-dessus. Il nous dit que nous devons apprendre à regarder la dure et tragique réalité en face et de… de quoi, donc? Ben, de serrer les dents, que diable! Il faut être fait fort et dur, prendre virilement les flagellations de la vie, et la célébrer quand même, en récoltant avidement les plaisirs qu’elle nous propose parcimonieusement, tous ces petits plaisirs du quotidien, peut-être même de l’annuel, mais généralement ténus et sans joie.
Je dois admettre que j’élabore à partir du propos d’Onfray. Mais je plaide l’innocence : comme chez Nietzsche et tant d’autres chantres de la « sainteté » de la vie sous un ciel vidé, les propositions concrètes, chez Onfray, visant à meubler la société de la « célébration de la vie » sont très courtes. Reproduisant pourtant ce qu’il reproche aux vieilles religions, il préfère détruire et saccager l’héritage reçu. Après, on verra.
Bien sûr, Onfray tente d’ouvrir quelques portes, mais elles demeurent essentiellement obscures. « L’athéisme, écrit-il, ne doit pas fonctionner comme une fin seulement. Supprimer Dieu, certes, mais pour quoi faire? Une autre morale, une nouvelle éthique, des valeurs inédites, impensées car impensables, voila ce que permettent la réalisation et le dépassement de l’athéisme. »
Je dois dire que je répugne instinctivement à un programme qui propose une éthique « impensée car impensable ». Bien sûr, quand il dit « impensable », il signifie que les nouvelles valeurs d’une société nietzschéenne ne peuvent pas être pensées encore, car nos vieux schémas monothéistes persistent et nous aveuglent face à l’avenir radieux qui, bien qu’impensable, se profile pourtant dans un lointain firmament post-chrétien.
En attendant la formulation de cet « impensé impensable », la valeur dominante et presque unique de nos sociétés de plus en plus athées et laïques demeure le plaisir. Au niveau plus primaire, l’univers du commerce et de la publicité nous vend constamment l’attrait des plaisirs de premier niveau : sensations fortes, narcissisme triomphant, affirmation de la puissance individuelle. À un niveau épuré, surtout dans les élites intellectuelles, on parle de « plaisir de l’intellect », «plaisir des arts », « plaisir de la lecture ».