Esther et nos amis puritains

 
 


 
Pour nous, Québécois, les voisins de Nouvelle-Angleterre ont toujours été un peu mystérieux et distants. Il y a de quoi! Pendant tout le siècle qui a précédé la chute de Québec et de la Nouvelle-France, les relations entre les deux communautés ont été à l’image de celles des patries-mères : guerrières. Mais ce furent des guerres particulières teintées d’intransigeances religieuses, de spoliations faites aux autochtones et de grands malheurs personnels…et collectifs.

Les relents de ces longs combats ne peuvent tous être disparus par le fait de la soumission imposée aux français des vallées du Saint-Laurent et du Mississipi. Il reste des méfiances et des réserves de part et d’autre. J’ai pour ma part vu personnellement comment les French and Indian wars ont laissé des traces de peurs dans l’esprit des habitants du Maine et du Massachussets
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Mais je me suis fait des amis parmi les protecteurs du patrimoine de Deerfield (Mass.) et de la belle culture ambiante du Massachussets. Je parle de Deerfield car c’est en ce village que mes ancêtres «canadiens» et français et leurs alliés indiens ont effectué un raid spectaculaire, en ce glacial mois de février de 1704. La colonie d’ici répliquait, en quelque sorte aux sorties anglo-iroquoise comme celle de Lachine, raids qui menaçaient l’existence même de la Nouvelle-France.

L’américain John Demos dans son livre ‘An Unredeemed Captive’ raconte comment la fillette Eunice Williams se trouvant parmi la centaine de prisonniers ramenés de Deerfield à Montréal (en raquettes!) s’est intégrée à la Nouvelle-France et à ses ravisseurs abénakis et français. Le choix de Eunice de se marier à un Indien et de rester en Nouvelle-France, était vraiment scandaleux car la fille d’un pasteur puritain devenait catholique! C’était comme si la fille du président Obama devenait, aujourd’hui, membre d’Al Qaeda!

Ces douloureux souvenirs, ici comme là-bas, sont assez bien connus; ils font partie du mythe du Pasteur puritain Williams, le père d’Eunice, lui-même captif à Québec. Ce qui l’est moins c’est l’ autre aventure, celle d’Esther Wheelwright, – une fillette elle aussi – qui a été capturée dans un raid semblable, mais dans le Maine (à Wells) cette fois et presqu’au même moment. Cette aventure- là est racontée dans un livre qui vient de paraître en anglais dans le monde anglo-saxon et qui fait son petit effet en Nouvelle-Angleterre.

Le livre, écrit par une descendante d’Esther, Julie Wheelwright, une britannique, raconte une histoire presqu’invraisemblable : la jeune captive Esther a vécu chez ses ravisseurs les Abénakis, puis chez le gouverneur Vaudreuil à Québec et est devenue, avec le temps… Mère supérieure des Ursulines à Québec!! Et cela avant, pendant et après la conquête par les armées britanniques! Ce n’est pas banal.

Si j’aborde ces sujets c’est que cet ouvrage bien documenté sur Esther Wheelwright me semble marquer un changement dans la mentalité des citoyens de la Nouvelle-Angleterre. Par conséquent, me dis-je, le gouvernement du Québec devrait en prendre acte et se faire plus présent à Boston et à Portland. Une réconciliation me paraît ainsi s’amorcer entre les collectivités anglaise et française du nord-est américain…

En effet le rapt de la fillette Esther et son récit historique ne font plus de la Nouvelle-France, aux yeux de l’auteur et de l’opinion en Nouvelle-Angleterre me semble-t-il, un bastion démoniaque où tous les péchés de la Terre ont été commis; ils ne font plus des puritains les uniques victimes des méchants papistes que nous sommes ici dans la vallée laurentienne. Les guerres passées n’auraient donc plus été engagées entre bons et méchants, comme nos voisins l’ont cru longtemps mais entre peuples dont le destin civilisateur emprunte des chemins différents; ce qui est plus rassurant.

La lecture de ces récits établit certes quelques faits de base qu’il est bon de ramener à conscience. D’abord les projections du mal sur les voisins français et sur la «sauvagerie» de leurs alliés autochtones, comme je l’ai souligné sont en train de disparaître. L’auteur d’Esther, notamment, montre que la communauté quasi cloîtrée des Ursulines – toujours active dans la capitale – est l’un des facteurs civilisateurs qui caractérisent l’existence de la Nouvelle-France.

Mme Wheelwright ne cache pas qu’il y eut des violences et des souffrances de part et d’autre, mais elle n’identifie pas la souffrance aux seuls confins de la Nouvelle-Angleterre. Elle va même jusqu’à reconnaître qu’avant leur départ d’Angleterre les puritains de Wells – le lieu précis du raid – avaient un petit caractère casse-pied et que leur religion était plus ou moins intégriste. Les Anglais, autrement dit, n’étaient pas fâchés de les voir partir! Aussi on peut lire entre les lignes que les rapports de nos ancêtres français avec les Abénakis et les Algonquins avaient un caractère un peu plus amène que celui des Puritains avec leurs propres voisins autochtones…

La lecture du récit d’Esther, enfin, est importante car j’y décèle une empathie eu égard aux terribles difficultés que les religieuses ursulines ont dû affronter pour ne pas disparaître comme communauté française et comme communauté tout court. Il a fallu des prodiges de diplomatie et de résilience pour survivre. En tout cas, les personnes qui croient à la munificence des conquérants et à la «bonté» des occupants d’alors trouveront des arguments dans ce livre pour changer d’idées.

L’auteur ne va pas jusqu’à reconnaître l’importance de la communauté civile et laique française d’aujourd’hui dans son propos; et ce n’est pas son affaire. Mais, devant cette ouverture psychologique qui pointe, entre voisins, il nous semble que le gouvernement du Québec, qui possède une sorte de consulat à Boston, pourrait se faire bien présent et visible là et à Portland Maine pour saisir l’occasion d’un beau rapprochement entre égaux.

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Classé dans Actualité, Jean-Pierre Bonhomme

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