Archives quotidiennes : 15 novembre 2011

Ces femmes « soumises » qui éduquèrent les « Canayens »!!!


Évidemment, tout le monde sait fort bien que nos ancêtres « canayens » étaient des personnes « pieuses » et « soumises aux autorités »; que celles-ci soient religieuses, civiles ou même militaires.

Voici donc l’histoire d’une femme remarquable, épouse du pionnier François Lemaître dit Lamorille,  fille du roi,  appelée : Judith Rigaud.

Nous y découvrirons le caractère de ces femmes, courageuses jusqu’à la témérité, que furent nos arrières-arrières-grand-mères et qui éduquèrent nos ancêtres.

À l’âge de 23 ans, Judith accepte d’émigrer en Nouvelle France. Elle entre au service de Jacques Leneuf de la Poterie de Trois-Rivières et de sa femme, Marguerite Legardeur.

Trois-Rivières, en 1651, consiste en quelques douzaines de familles réfugiées à l’intérieur d’un petit fort en rondins, la plupart du temps encerclé par des maraudeurs Iroquois.

Judith est belle, introspective, soupe au lait et n’a aucun respect pour les conventions sociales et morales. Elle n’est pas de celles qui cachent leur nature. Elle aime la vie et ses avantages, et se moque ouvertement de ceux qui s’aventurent à la critiquer.

Éventuellement, elle tombe sous le charme de l’un des soldats de la garnison de Trois-Rivières, un certain François Lemaître dit Lamorille dit Picard. Celui-ci est un fameux beau parleur, un buveur invétéré et un « joueur » assidu. Autrement dit, il est très populaire socialement.

La liste des invites à leur mariage ressemble à celle du « Jet Set » de la Nouvelle France du 17e siècle. Le plus fameux des invités est Médard Chouart des Groseillers, arrivé dans le pays depuis 1641 et époux de Hélène Martin depuis 1647. Médard, en 1657, en compagnie de Pierre-Esprit Radisson,  arrive à Québec avec un incroyable cargo de pelleteries, suite à une expédition dans les pays d’en haut qui a duré trois ans. Il sauve ainsi la colonie de la faillite. Il le fera une autre fois en 1660; mais se fera saisir sa cargaison de 100 canots de fourrures.

Les relations de Judith avec ses employeurs font des étincelles et se désagrègent rapidement. L’un des différents se termine par Judith qui, remplie de colère, se met à briser de l’ameublement. En juin 1654, Mme Legardeur et les Lemaître/Rigaud s’affrontent en court de justice parce que Judith refuse de terminer son contrat de cinq ans, signé à La Rochelle trois ans plus tôt.

Quant à François Lemaître, il fait beaucoup de vagues dans la société. Il apparaît dans plus de 20 dossiers judiciaires, soit en défense ou en poursuite, entre les années 1654 et 1666. Les cas traités sont de libelle, d’assaut et/ou de « gambling ».

Judith est obligée de rembourser les Le Gardeur d’une somme de 102 livres pour “bris de contrat”, pendant que ceux-ci doivent lui remettre ses vêtements qu’ils ont « saisi ».

Judith Rigaud n’est pas, on peut le deviner, une épouse timide et silencieuse. Elle est très bien adaptée, comme les autres “filles du Roi” de la colonie, aux conditions qui demandent du courage, du caractère, du travail et de la ténacité.

La plupart des femmes de Nouvelle France sont plus instruites que les hommes et elles s’occupent elles-mêmes, de diriger les petites entreprises de leur époux qui importent/exportent  ou marchandent des vêtements, des fourrures, du brandy et des ustensiles. Ce « marchandage » inclue souvent de la contrebande, mais personne n’ose l’avouer, même de nos jours.

Les deux sexes de notre colonie se chargent des travaux de défrichement et tous, sans exception, savent manier la hache, le mousquet et le fusil. Très peu de femmes, cependant, possèdent ce qu’on appelle : une “garde-robe”, sauf… Judith.

Sous les conseils de son ami des Groseilliers, François Lemaître se lance dans la traite des fourrures. Les profits lui permettent d’acheter des vêtements et des meubles pour la famille. Le couple a huit enfants, tous nés à Trois-Rivières, sauf Charles Lemaître dit Auger qui deviendra, plus tard, une personnalité de son époque.

Le 25 octobre 1655, François Lemaître achète une maison sur la rue St-Pierre à Trois-Rivières. Deux ans plus tard, le couple y achète une autre terre de 2 acres par 25 pour la somme de 150 livres.

En 1660, ils louent encore une autre terre sur les bords du St-Maurice et, en novembre, François débourse 200 livres pour une propriété appelée « La Marguerite ».

L’entreprise familiale progresse et François devient peu à peu un important personnage de sa communauté.

En 1666, c’est Judith Rigaud qui prend la direction exclusive de la compagnie de son époux conséquemment aux évènements suivants :

À l’été 1665, Judith Rigaud retourne à La Rochelle, pour, paraît-il, établir des ententes commerciales avec des fournisseurs. Les voyages outre-mer n’effrayaient pas du tout nos ancêtres; qu’ils soient hommes ou femmes.

Un historien laisse entendre qu’elle a décidé de laisser son époux pour visiter sa parenté et régler un héritage, tout en faisant la remarque que François continue d’accumuler les dettes et de boire avec excès. Cela laisse entendre une séparation conjugale.

Lors de son départ, Judith ne le sait pas, mais elle est enceinte. Elle ne sait pas non plus qu’elle ne reverra jamais son époux.

Par une froide journée de janvier 1666, alors que sa femme est toujours en France, on retrouve François, étendu dans un champ, avec une blessure sévère à la tête. Ceux qui le découvrent sont d’avis que Lemaître, âgé de 35 ans, a été assommé et scalpé par un indien. Il est enterré à Trois-Rivières le 14 janvier 1666. Le registre mentionne (en latin, s’il vous plaît!) : « Il fut assassiné d’une façon misérable et périt sans pouvoir recouvrer la parole ». Il n’était donc pas encore mort lorsqu’il fut trouvé.

Le 15 avril 1666, Judith Rigaud/ Lemaître donne naissance à Charles Lemaître, à La Rochelle en France. À son retour, fin 1666, aussitôt qu’elle met le pied sur le quai de Québec, Judith apprend l’assassinat de son François. Elle se rend rapidement à Trois-Rivières où elle y retrouve l’entreprise familiale toute chamboulée. François avait accumulé les dettes qui se révèlent maintenant, plus importantes que les « avoirs ».

La première option pour Judith est de se trouver rapidement un autre époux. Quelques mois après son arrivée, elle choisit un marchand nommé Jean Therrien de Ponceau dit Duhaime, qu’elle épouse le 26 janvier 1667, à Trois-Rivières.

Jean Therrien est natif de St-Jacques de Dieppe et douze ans plus jeune que Judith.

À l’automne de 1670 Jean Therrien part en expédition de traite, laissant Judith enceinte, à la maison. Jean Therrien ne revient jamais de cette expédition. On assume qu’il succomba accidentellement durant le voyage.

Cette femme formidable, épouse, mère et marchande/traiteur de fourrures, persévère dans son entreprise. Par contre, selon une histoire de Louiseville, Judith est impliquée dans une « triste aventure » qui la décide de quitter la région deTrois-Rivières. Probablement pour fuir les autorités.

Cette « triste aventure » se déroule ainsi :

À Louiseville (Rivière-du-Loup) Judith rencontre un médecin, le docteur Jean de la Planche, qui passe la majeure partie de son temps à faire la traite. Ils s’épousent le 6 octobre 1675.

Le mariage ne dure pas longtemps, car le Dr Laplanche retourne en France en juin 1678 et y décède.

Ses trois mariages n’ont cependant pas changé le caractère rebelle et tenace de Judith, puisqu’en 1679, elle est mise en arrestation sous l’accusation d’avoir déserté la maison familiale pour aller vivre, à Montréal, sous le toit de Pierre Cavalier. Ce qui scandalise la population de Montréal et surtout un certain Abbé « bien pensant ». On découvre ici que la fameuse « triste aventure » est une aventure amoureuse qui, par moment, n’a pas dû être aussi triste que cela.

Remarquons que Pierre Cavalier est un locataire du Dr. Laplanche à Montréal. On peut penser que c’était Judith qui allait collecter le loyer, mais ce ne serait pas gentil de le dire.

Lors de ce scandale rapporté par ce fameux abbé de Montréal, on raconte que:

« Le sieur Abbé n’a pas qu’un seul adversaire (c’est-à-dire Pierre Cavalier) à confronter; Il y a également une femme; et quelle Femme!!!

Il est peu probable qu’aucune, jusqu’ici, n’ait démontré autant de « masculinité » et d’aplomb que cette Judith Rigaud.

Lorsqu’on se présente chez Cavalier pour évincer Judith de la ferme, elle reçoit le procureur et ses hommes avec un fourche, de telle sorte qu’ils doivent se retirer; mais comme Pierre cavalier avait été emprisonné, elle dû capituler. Jugeant sa cause perdu, Judith disparait de la région.»

C’est le 14 avril 1679 que Judith Rigaud est condamnée “in absentia” à dix ans d’exil de l’île de Montréal sous peine de châtiment corporel si elle revenait. Le juge est probablement Jean Baptiste Migeon de Branssat, chef de la justice de Montréal à l’époque.

Chassée, Judith retourne vivre  sur la rivière Manereuil, à Louiseville, avec sa fille Marie-Louise. Elle a 46 ans.

Éventuellement, elle reprend son commerce de fourrures avec ses fils et un marchand de Québec, Joseph Petit dit Bruneau. C’est le recensement de 1681 qui nous révèle qu’elle est alors à Louiseville.

À partir de cette date, on la nomme simplement “Madame Rigaud”. Son entreprise familiale continue de prospérer.

En 1689, après dix ans d’exil, Judith Rigaud revient à Montréal.

Le 11 octobre 1689, son Fils Charles Lemaître dit Auger, celui qui est né à La Rochelle et maintenant âgé de 23 ans, épouse Madeleine Crevier, fille de Nicolas Crevier dit Bellerive et de Louise Le Coutre, résidents du Cap de la Madeleine.

Sept ans plus tard, âgée de 63 ans, Judith Rigaud assiste au mariage d’un autre de ses fils, Jean Lemaître dit Lallongé qui, lui, épouse Catherine Michelle Godefroy du Vieux-Pont le 22 novembre 1696 à Montréal.

Elle vie ses dernières années à Montréal où elle décède le 13 mai 1704.


Voilà donc le genre de femmes que furent nos arrières-arrières-grand-mères. Celle-ci est loin d’être une exception. Je connais le récit de plusieurs autres femmes de cette trempe.

On ne peut certainement pas les qualifier de « Donalda Laloge », cette Québécoise soumise, pieuse et surtout, « imaginaire » qui fut immortalisée dans le roman « Un homme et son péché » de Claude Henri Grignon.

Les femmes du Canada étaient rarement soumises à qui ou à quoi que ce soit. On a même de la difficulté, aujourd’hui, à imaginer à quel point. Elles furent depuis toujours les « maîtresses de leur sort et de leur « maisonnée ». Très peu de choses leur résistaient. Il y eut même un groupe de « commères » canayennes qui fit reculer Frontenac d’une de ses décisions, suite à une levée de protestations et d’une manifestation publique. La même chose se produisit à l’époque de Vaudreuil. Personne n’aimait tellement se frotter aux Canayennes.

Elles furent également reconnues comme des femmes éduquées, belles et charmantes, n’ayant aucun complexe face aux hommes de leur temps. Elles savaient « recevoir » et parvenaient facilement à faire disparaître la « supposée » pauvreté de leur famille.

Ce sont ces femmes au caractère indomptable qui fournirent l’éducation à des enfants qui deviendront ces Canayens sans peur, naturellement insoumis, qui, à force de courage et de témérité, seront les vrais responsables de l’ouverture de l’Amérique du Nord à la civilisation. Elles méritent notre plus grand respect et ont droit à notre très grande fierté.

André Lefebvre

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