Il y a des lunes j’avais osé, dans un journal très correct, parler de la république et de sa signification dans la vie collective. Au Québec, en ces moments-là, l’idée n’était pas dans l’air et je passais pour un idéaliste, ce qui était loin d’être un compliment. J’avais toujours pensé, pour ma part, que l’idée républicaine, sa réalité surtout, était la base même des libertés collectives et qu’il allait de soi d’en faire la promotion. Mais ca ne passait pas. La république se trouvait sous le tapis de la nation un point c’est tout.
La république, pourtant, dans mon vieux dictionnaire Quillet, n’est rien d’autre qu’un «État où le gouvernement est exercé par des représentants de la nation». Je ne voyais pas ce qu’il y avait de dangereux là-dedans
La république, toutes les répubiques, toutefois, ont des couleurs qui ne sont pas décrites dans les dictionnaires. Elle a des couleurs de peuple, d’égalité, de service et de laicité qui ne rassurent pas les conservatismes, surtout ceux d’ici. En effet, la république est l’envers de la monarchie – constitutionnelle ou absolue! C’est elle qui dit – absolument – par son symbolisme et par sa réalité politique que le pouvoir vient d’en bas et que le citoyen – pas un sujet – peut bien faire ce qu’il veut de la collectivité, ne pas attendre des cadeaux du ciel, mais prendre le moyens de se tirer d’affaire.
C’est un peu subversif pour un pays comme le Canada il faut en convenir. Ici c’est la Reine ou le Roi qui poursuit un délinquant. C’est le procureur de la Reine qui agit. C’est la Couronne qui envoie les gens en prison. S’il fallait que ce soit «le public» qui le fasse, que ce soit le Ministère public, comme dans une république, qui agisse? Cela serait-il aussi sérieux, cela aurait-il la même gravitas? Et si l’armée, elle, n’était justement pas royale serait-elle aussi «grave» que si elle était seulement l’instrument de la collectivité, du peuple? Moi je ne suis pas loin de le penser.
Il y en a qui pensent le contraire. Il y en a beaucoup au Canada anglais, dans cette collectivité qui a justement refusé de se transformer en une république comme l’ont fait ses voisins du même sang. Mais quelle est la motivation du Québec de s’accrocher ainsi à une institution d’en haut et d’ailleurs au lieu de se donner une image collective à sa propre ressemblance?
Les journaux ont annoncé ces jours-ci la projection d’un film intitulé RÉPUBLIQUE . Certains ont pensé qu’il s’agissait d’une nouvelle idée exotique. J’ai voulu savoir et je me suis précipité pour aller voir ça au Cinéma du parc. La république se trouverait-elle enfin dans le menu politique du Québec?
Eh bien il me semble que oui. Dans les nombreux propos que le film projette intelligemment, profondément, le mot république n’est prononcé qu’une seule fois. Mais c’est à un endroit-clef, central, où le destin républicain québécois est proposé à tous comme un instrument de vitalité; un moyen républicain qui est le sine qua non de la liberté, l’équivalent de ce qui est de l’ordre du capable, du souverain, de la souveraineté d’ici, pas celle d’en haut.
Ce film, monté par M. Hugo Latulippe, va chercher ce qu’il y a de plus tabou dans notre âme et le porte à la conscience, sur la grande table de la nation. C’est pour tout dire une prière fondamentale. Je retiens pour ma part que la réalité républicaine pourrait – pourrait – transformer la société d’ici en un lieu exemplaire où l’ordre, la beauté et la justice régneraient au point de devenir un exemple pour le reste de la Terre. Pourquoi, dit le film avec la plus grande justesse, nous contenter, ici, d’admirer, impuissants, les réalisations sociales de la Finlande ou de la Norvège? Pourquoi ne pas devenir nous-mêmes des novateurs et des exemples de solidarité humaine pour le reste du monde?
J’ai encore, sur mon bureau, cette petite plaquette où Régis Debray explique «La république» à sa fille. Cette lecture est rafraichissante mais elle engage. Le citoyen n’est pas seulement l’habitant d’une cité. «C’est plutôt celui qui S’ENGAGE de son plein gré à la vie de la cité».
La république, dit-il, «c’est beaucoup d’histoire, un peu de doctrine, mais avant tout UNE FAÇON D’ÊTRE; la république intérieure compte plus que la forme de gouvernement…». Au fond dit ce gauchiste de Debré, le patriote, le bon patriote, «reconnaît aux autres peuples le même droit à rester maître chez eux, et à se doter d’un État, qu’il réclame pour le sien. Car un peuple soumis à un autre ne peut être souverain. Si un peuple est soumis à un régime de ‘souveraineté limitée’ , par l’Empire du moment, en raison d’une occupation militaire ou culturelle, le peuple perd tout pouvoir sur lui-même». Oui, c’est bien cela! Et bravo pour le réalisateur Hugo Latulippe.
Jean-Pierre Bonhomme