Archives quotidiennes : 9 décembre 2011

Les empires et notre destin

Ces jours-ci les Occidentaux dont nous sommes se demandent, sans trop l’exprimer tout haut, si l’empire américain a de l’avenir. Cela touche nos nerfs sensibles certes, car il s’agit de notre argent. Les Québécois, nous le savons, sans le dire trop haut, ne sont pas tous des idéalistes comme votre serviteur. L’argent domine. L’économie américaine, on l’oublie, aide beaucoup à payer nos hypothèques. S’il fallait que Washington s’effondre!

L’importance de l’argent, chez nous, du reste, a bien été soulignée cette semaine lors d’une banale élection dans un comté  qui s’appelle du beau nom de Bonaventure. Les bonnes gens du lieu ont donné leur appui à un parti qui gouverne le Québec depuis trois mandats et qui baigne dans des mares insondables de collusions. C’est plus pratique comme cela. Il y a des routes à paver et des ponts à construire. Foin du destin collectif!  L’on dira, après, que les Québécois ne sont pas des Américains comme les autres…

Mais l’intérêt pour le destin de «notre» empire dépasse nos frontières bien entendu. S’il y a quelque chose de mondial c’est bien cette question-là. Et pour y répondre je me suis payé la lecture d’un bouquin fort bien documenté, un ouvrage qui étudie tous – tous – les empires de l’univers, à partir du premier, celui des Achéménides (les Perses) jusqu’au «nôtre» et qui nous dit pourquoi ceux-ci se sont effondrés. Rien que cela!

C’est un livre en anglais. Cela ne veut pas dire que je suis anglicisé! Les Suédois parlent tous anglais; cela ne veut pas dire qu’ils sont moins suédois pour autant. Allez y faire un tour, vous verrez que la Suède est bien scandinave! Je me souviens qu’au journal La Presse où je travaillais, j’avais soumis une critique d’un livre canadien anglais. Le chef de pupitre m’avait dit que La Presse ne publiait que des recensions de livres publiés en français;  il avait fallu que je me batte pour que le texte paraisse. Cette attitude n’est pas prudente; il faut aller voir ce qui se passe ailleurs. Personne ne m’empêchera de lire en anglais ou en espagnol et d’en traiter.

Toujours  est-il que le livre est celui d’une… chinoise; mais d’une chinoise américanisée, Amy Chua, qui a réussi à se faire nommer professeur à la faculté de droit de l’université Yale. Essayez de faire pareil pour voir! Le livre porte le titre «Day of Empire».

Eh bien si vous voulez savoir, tous les empires – tous – se sont effondrés parce qu’ils ont cessé, à un moment donné de leur histoire, d’intégrer les peuples conquis à leur structure propre. Ils se sont fermés sur eux-mêmes, un bon jour, et ils ont implosé en commençant par la périphérie. Le cas de l’empire romain est lumineux à cet égard.

Et «notre» empire alors?

Eh bien les choses ne sont pas rassurantes. Le livre de Mme Chua porte le sous-titre «How hyperpowers rise to global dominance and why they fall». L’auteur met les Américains en garde. Ceux-ci ne sont-ils pas en train de s’isoler et de rejeter les peuples qui ne leur ressemblent pas? Elle le craint et espère que cela ne s’avèrera pas.

Pour ma part je m’aperçois que les Américains anglo-saxons sont en train d’élever un mur à la frontière sud, celle qui sépare les puissants des pauvres Mexicains et des autres latins des autres Amériques. Et j’estime, comme Mme Chua, que cela n’est pas un bon signe. Et puis ici, les Américains ne sont-ils pas en train de faire des chichis à nos propres postes frontaliers? L’autre jour un douanier de la république a voulu me faire peur avec sa carabine. J’étais potentiellement un barbare en train d’infiltrer l’empire! Mme Chua fait valoir que la force des États-Unis vient de la diversité de sa composition.

Il est vrai qu’en ces matières-là les vérités peuvent être nuancées. Les Américains – Mme Chua ne le souligne pas trop – n’ont vraiment pas intégré les Indiens! Ils les ont spoliés. Une mauvaise note. Mais il est vrai qu’ils se sont ouverts à tout l’Europe et cela leur a été profitable. Aujourd’hui, voit-on, par contre, la droite américaine et sa populace sont en train de fermer la porte. La méfiance s’installe. Cela durera-t-il? En tout cas l’histoire montre que les Empires peuvent facilement être remplacés. La nature a horreur du vide impérial.

Quelle leçon tirer de ces choses pour le Québec? Intégrer l’autre à sa propre collectivité est bénéfique. Mais toute la question est de savoir dans quelle proportion. Y a-t-il des seuils d’accueil au-delà desquels il n’est plus possible d’exister par soi-même? C’est une question à laquelle l’État, ici, devra répondre. Autrement il y a risque de devenir un vieux fragment de l’histoire.

Jean-Pierre Bonhomme

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