Nos ancêtres
Histoire de l’ancêtre Frigon, un Français devenu « Canayen » :
FRANÇOIS FRIGON dit Lespagnol
François Frigon nait vers 1650. Il arrive au Canada en 1665, à bord du St Sébastien. Au recensement de 1667, il est enregistré dans le » district » Trois-Rivières, Le Cap et la Touche-Champlain, comme engagé de Michel Peltier dit Laprade. Il travaille pour lui pendant trois ans. En janvier 1667 il est à Batiscan déposant au sujet d’une enquête sur le trafic d’eau de vie. Il occupait alors, selon son récit : « une cabane avec Jean Cusson pour abattre des arbres sur une concession ». Deux sauvages saouls arrivent pour demander l’hospitalité. Ces derniers refusent et les sauvages vont se coucher dans la neige. Ils reviennent le lendemain matin demander à se réchauffer, ce que les bûcherons occasionnels acceptent.
Ce document nous apprend également qu’il fait la traite de fourrure à petite échelle dans la région de Batiscan et de Ste-Anne de la Pérade pour le compte du Sieur de La Pérade même s’il est toujours l’homme de confiance de Michel Peltier. Par la suite il deviendra un des plus hardis coureurs de bois de son époque. Les actes notariés du début nous laisse entendre que François Frigon, excellent travailleur, se fait exploité par les gens qui l’entourent; principalement ceux qui font des ententes avec lui. C’est souvent le cas d’une majorité des canayens qui ont, pour la plupart, le cœur « large ».
François Frigon dit Lespagnol épouse Marie-Claude Chamois à l’automne de 1670. Au recensement de 1681, on dit du couple Frigon-Chamois: « François Frigon 31; Marie Chamois, sa femme, 23; enfants: Jean-François 7, Madeleine 5, Marie 3, Françoise 6 mois; 1 fusil; 5 bêtes à cornes; 7 arpents en valeur. »
François Frigon dit Lespagnol est inhumé à Saint-François-Xavier-de-Batiscan (Batiscan actuel), le 13 mai 1724. Selon le PRDH (Programme de recherche en démographie historique), il serait décédé à l’âge de 75 ans.
Entre 1670 et 1685, François Frigon et Marie-Claude Chamois ont six enfants.
1) Jean-François: né vers 1674; il épouse Marie-Madeleine Moreau à Batiscan, 1700-02-08; suivit d’un deuxième mariage avec Gertrude Perrot, Sainte-Anne-de-la-Pérade, 1715-06-04.
2) Marie-Madeleine: née vers 1676; épouse Jean Prime dit Laventure à Batiscan, 1695-04-27.
3) Louise-Françoise: née vers 1679; décédée 1687-12-07 et inhumée 1687-12-07, Batiscan. Selon le PRDH, elle serait décédée à l’âge de 7 ans.
4) Françoise: née 1681-03-29 à Batiscan; épouse Joseph Moreau à Batiscan, 1700-02-08; décède 1755-05-23, à Yamachiche.
5) Jeanne: née 1683-09-14 à Batiscan; épouse Mathurin Rivard à Batiscan, 1710-02-19; et finalement,
6) Antoine: né 1685-07-27 à Batiscan; décédé, âgé de 26 ans, 1712-06-28 à Batiscan.
Sa femme, Marie-Claude Chamois, ira en France pour tenter de récupérer un héritage. Le voyage coûte cependant 1000 livres à François (Ce qui est énorme pour un tel voyage). On ne sait pas vraiment qui est cette Marie-Claude Chamois. Sa mère, en France, refuse de la reconnaître comme sa fille. Enfant elle est placée, à la mort de son père, à la Salpetrière sous le nom de Marie Victoire. Ensuite, elle est envoyée en Nouvelle France comme « fille du Roy ».
Hors une Marie Victoire, aussitôt arrivée en Amérique, change son nom en Marie Chamois. Elle se dit fille d’Henri Chamois et de Jacqueline Girard. Deux noms qu’elle disait ne pas connaître lorsqu’elle était en France. On a dû lui fournir l’information tout juste à son départ de la Salpetrière.
Cette Marie Chamois passe un contrat de mariage en 1670 avec Pierre Forcier sous le nom de Marie-Victoire et nomme son père Henri Chamois et Jacqueline Giraut au lieu de Girard (reste à savoir si le notaire n’était pas dur de la feuille). Il semble qu’elle fait canceller ce contrat pour plutôt épouser François Frigon, la même année.
Sur l’acte notarié du 21 février 1684, avant son départ pour la France et après avoir apprit son héritage, elle déclare qu’elle se nomme Marie-Claude Chamois et non Marie–Anne Chamois (ce qui ne veut rien dire à l’époque. On changeait de prénom comme on changeait de chemise; et parfois, plus souvent). Elle déclare ne pas savoir signer, ce qui est inconcevable si elle a été éduquée à la Salpetrière; mais qui est possible, si le notaire ne s’en est pas informé, avant de rédiger son contrat et d’y inscrire qu’elle ne sait pas signer.
À son retour du premier voyage en France, lorsqu’elle emprunte 1000 livres du perruquier Nicolas Gillet (que François dû rembourser), pour y retourner, elle signe d’une belle écriture : Marie-Claude Chamois. Elle part pour la France et ne revient jamais à sa famille. Avouons que si François n’avait pas été solvable, elle n’aurait pas pu emprunter cette somme. Elle est quand même l’une des rares femmes à quitter le pays sans y revenir. Ce dernier voyage se situe vers 1688 et il paraît possible qu’elle soit décédée en France en 1710, après avoir gagné sa cause au sujet de son héritage contre sa mère, qui l’avait reniée à la mort de son père.
François Frigon s’établi à Batiscan et sa vie alterne entre la culture de la terre et les voyages de traite dans « les Pays-d’en-Haut » (les Grands Lacs). Il exerce le métier de voyageur pour des commerçants dont il échange les marchandises avec les Amérindiens. Entre autres, il fait de la traite avec les Illinois du lac Michigan.
Dès 1683 François s’associe à Jacques Baby. Ayant obtenu un permis, ils partent avec plusieurs canots ayant trois hommes chacun à leur bord.
En 1685-86, Frigon accompagne Nicolas Perrot. On le sait à cause d’un procès au sujet des marchandises, relaté dans les mémoires de Nicolas Perrot. Ce procès se déroule tout juste après le départ de son épouse pour la France.
En 1688, il part de nouveau en expédition, laissant ses enfants et sa ferme aux soins de son voisin (à l’époque, le voisin est souvent comme un frère; parfois mieux). Durant cette aventure, un de leur canot est pillé par des Iroquois au pays des Outaouais.
Le 28 octobre 1692 il doit hypothéquer sa terre de 200 livres, pour payer les cens et rentes qu’il doit aux Jésuites, depuis qu’il en a prit possession.
Un autre voyage en 1695, cette fois-ci avec son fils Jean-François ainsi que Charles LeSieur fils et Pierre Trottier, est fait sous le nom de la cie « Associés-Voyageurs ». Ils achètent à crédit pour 8016 livres de marchandises du marchand/voyageur Antoine Trottier-Desruisseaux. La dette doit être payée à leur retour prévu pour 1696.
C’est ainsi qu’il passe sa vie en « course de traite » pour essayer de se sortir de la « pauvreté ». Son voyage le plus important débute début juin 1701. Ils sont quarante quatre voyageurs à partir pour Michilimakinac. Le chef de l’expédition est Lamothe-Cadillac, fondateur de Détroit. Il est remarquable qu’on ne parvient jamais à trouver la divulgation des profits de ces courses. On était « pauvre » pour ne pas se faire voler par les autorités, semble-t-il. Remarquez que la mésaventure de Radisson et des Groseillers leur donnait raison.
Fraçois accomplit ses deux derniers voyages en 1705 et 1706 avec ses deux gendres Jean Prime dit Laverdure, ancien soldat originaire du Languedoc et Joseph Moreau, fils de Joseph Moreau et d’Anne Gillet de Batiscan.
Ce Joseph Moreau, fervent coureur de bois, part en voyage de traite en 1708 vers Michilimakinac et ne revient jamais. On ne sait trop ce qui lui est arrivé, mais il laisse sa femme et ses trois enfants dans la misère. François Frigon prend en charge les dettes de son gendre pour que sa fille ne soit pas mise à la rue par François Rivard-Montendre (pas si tendre que cela semble-t-il).
Le 19 février 1710 François Frigon, âgé de 60 ans, marie sa dernière fille Jeanne (27 ans). Il est maintenant seul chez lui. Par contre, il est satisfait puisque Jeanne a épousé un membre d’une des familles les plus distinguées de Batiscan, Mathurin Rivard, un autre « voyageur/coureur de bois » (comme son père et son frère aîné), veuf de Françoise Trottier et fils de feu Robert Rivard dit Loranger et Marie-Magdeleine Guillet. Sont présents au mariage, Nicolas Rivard frère, René Rivard frère, Jacques Lemoine, François Frigon frère…et…c’est tout; sa femme n’est toujours pas encore revenue de France depuis 22 ans.
C’est chez son Fils aîné Jean-François que le père veut terminer ses jours. Il lui donne sa terre de 2 arpents de large sur 40 de profondeur à Batiscan avec habitations et bâtiments (maison, grange et étable) et tous les meubles ainsi que deux bœufs, une vache et deux petits taureaux, harnais cheval et charrette. Le fils s’engage à payer les dettes de son père de 1680 livres. Ce n’est pas un héritage très « payant »; mais l’amour filial parle et le fils s’engage à prendre soin de son père jusqu’à sa fin. C’est d’ailleurs une coutume chez les Canayens. On doit ajouter que Jean-François est coureur de bois /voyageur /Marchand de fourrures. Ce qui aide à payer les dettes quoi qu’on dise de la pauvreté des Canayens de l’époque.
Dans cet acte on spécifie que les enfants renoncent à tout héritage de leur mère Marie Claude Chamois. Indication qu’ils ne la considèrent plus comme une « Canayenne ». Elle aurait eu 54 ans à l’époque.
François Frigon décéde le 13 mai 1724 âgé de 75 ans, dans cette paroisse où il a été pionnier et où il a vécu une vie pleine d’imprévus malheureux autant que d’autres plus heureux.
À noter que la plupart des hommes et femmes de l’époque que j’ai pu rencontrer dans mes recherches généalogiques, ont vécu jusqu’à au-delà de 70 ans. Ce n’est que la mortalité infantile qui ramène la statistique à 45 ans dont parlent les « défenseurs de l’augmentation de longévité ». Il me semble que la mort infantile n’a, logiquement, rien à voir avec la longévité des adultes.
Son fils Jean François est celui qui épouse Gertrude Perrot en deuxièmes noces. L’un des fils de ce dernier, Paul-Joseph épouse Ursule Lefebvre fille de Louis-Alexis Lefebvre, coureur de bois/voyageur, et d’Ursule Dubois dit Brisebois, mes ancêtres directs.
Comme on peut le percevoir dans son histoire personnelle, François Frigon, coureur de bois et voyageur, mène sa vie en parallèle de celle décrite par l’histoire officielle; et c’est assurément ce qu’il préfére, comme le prouve le fait que ses fils adoptent le même système de vie ainsi que tous ceux de son entourage qui sont nommés plus haut.
Nos ancêtres n’étaient pas principalement des agriculteurs; du moins pas cette majorité d’entre eux qui ouvrit l’Amérique du Nord, avec dignité, courage et ténacité, à la « civilisation » européenne.
Amicalement
André Lefebvre