Archives quotidiennes : 16 janvier 2012

Après l’État de droit

Cet excellent article de Bruce Fein repris par Irène sur Cent-papiers m’a surpris. Tiens, il y a encore des gens qui s’étonnent de la fin de l’État de droit aux USA ! Aussi bien se demander en novembre pourquoi les arbres sont nus… Le monde est cyclique, on ne le savait pas ? Bien sûr, on peut rester optimiste en se disant que ce n’est pas un retour au point de départ, mais unes spirale et que, même si on semble refaire les mêmes étapes, on a monté d’un palier. On peut…

Je veux le croire aussi, mais je sais que c’est une idée pour se consoler. Dans le cadre d’une vie humaine, ce sont les petits hauts et bas qui se mesurent en années et décennies, pas en siècles, qui touchent l’individu. Ceux qui concernent son pays, sa culture, sa civilisation. Or, à cette échelle, il faut être aveugle pour ne pas voir le déclin, la grande courbe descendante devant nous comme Québécois, Français, Occidental…

Comme Québécois, puisque tout indique que, comme groupe, la simple démographie nous réduira bientôt au statut de sympathique curiosité. Des Québécois, bien sûr, pourront réussir et apporter une contribution significative au monde de demain – comme le pourront des Finlandais, des Suisses, des Ouighours ou des Malgaches – mais ils le feront comme INDIVIDUS. Leur appartenance au clan « Québec » ne sera qu’un handicap à surmonter. Je sais que ce langage amène l’écume aux lèvres des vrais patriotes, mais ce qu’il y répondent est de plus en plus sans pertinence.

Nous somme en déclin aussi, culturellement, comme partie prenante de la culture française, puisque la France a mené depuis trois générations un élégant baroud d’honneur pour garder son rang de grande nation, avec la bombe atomique, des lambeaux d’empire en Afrique et une très habile diplomatie… mais la France c’est moins de 1% de la population du globe. Soyons généreux et disons 2% de Francophones, 3% en trichant un peu… Ce n’est pas beaucoup.

La France, c’est – et hormis miracle ça sera de plus en plus – une division administrative de l’Union Européenne. 70 % des lois de la France sont conçues pour l’Europe à Bruxelles. La moitié des doctorants en Sciences en France choisissent déjà de publier en anglais.

La culture française prend sa place – sa très grande place – dans l’Histoire. Mais l’Histoire n’est pas toute la vie… Combien de Nobel de culture française depuis 20 ans ? Combien dans 20 ans ? Être de culture français, ce sera encore une joie et un plaisir demain, je l‘espère, mais ce ne sera pas la voie facile. Un autre handicap…

Mais être québécois ou de culture française est – relativement – un détail. Essentiellement nous sommes des Occidentaux. La vraie question, c’est combien de temps encore, comme Occidentaux, tiendrons-nous le haut du pavé militaire et culturel que nous avons occupé depuis quelques siècles? L’Occident est en déclin. Une à une à une les marches de l’empire sont abandonnées. Un à un sont abandonnés les symboles qui donnaient la primauté à une « vision du monde » qui parle de liberté, d’exploration, de charité…

Le plus grave, d’ailleurs, n’est pas que cette hégémonie de l’Occident fasèye, mais qu’elle le fasse dans le déshonneur et la confusion, ce qui est un phénomène récent.

Quand les Espagnols ont quitté l’Amérique qu’ils avaient colonisée, on y a gardé leur langue et leur religion. Quand les Britanniques ont quitté l’Inde, il y a environ soixante ans, les Indiens ont choisi volontairement de garder les lois et les institutions du Raj. Mais on n’a rien gardé de la France en Indochine et bien peu en Algérie.

Aujourd’hui, Irakiens et Afghans rejettent tout ce que les Américains y ont apporté et les Libyens vomiront l’apport de l’Occident dès qu’on enlèvera le baillon qu’on a voulu leur mettre. Le signe du déclin de l’Occident, c’est la perte non pas seulement de son pouvoir, mais de son AUTORITÉ, de sa culture.

La culture, c’est aussi la guerre par un autre moyen. Quand l’Égypte ou Bollywood font un cinéma populaire différent – encore plus navrant ! – que celui des Américains, c’est un échec pour l’Occident. Pas parce que notre « art » méritait de s’imposer, mais plus cyniquement parce que c’est un signe de faiblesse fatale que nous n’ayons pas réussi à leur inculquer de façon durable notre vision de l’insignifiance et de la vulgarité.

Ceux que nous avions conquis rejettent désormais les mèmes que nous leur avions inoculés; on ne donne pas sa juste importance à ce rejet. On n’en saisira l’importance, que quand on aura compris que c’est l’image de l’Amérique créée par Hollywood et Madison Avenue et diffusés par Voice of America qui a gagné la Guerre Froide.

Nous n’avons plus cette « supériorité » culturelle: les « Autres » ne veulent plus être comme nous. Or c’était ça, notre arme de persuasion massive qui semait la zizanie chez l’adversaire et nous facilitait la conquête. Nous ne l’avons plus. Au contraire, on nous méprise.

C’est pour ça que nous sommes à perdre la guerre que nous menons sans le dire contre l’Islam, dans les cœurs et dans les cerveaux, avant de la perdre par attrition sur les champs de batailles dont nous faisons des champs de ruines… Et c’est pour ça que nous ne gagnerons certes pas un conflit contre la Chine !

Dans ce contexte, la fin de l’État de droit aux USA est un épiphénomène. Il est plus grossièrement ostensible aux USA qu’ailleurs, mais ce qui arrive est là dans tout l’Occident: il ne reste pas de vrais États de droit parmi nos pseudo démocraties. Partout la justice formelle est devenue impuissante devant les outils d’un vrai pouvoir qui se cache.

Partout, un jeu électoral anodin et des médias parfaitement contrôlés conduisant à la gouvernance officielle des élus qui sont de simples pantins. Partout, un fonctionnariat non pas élu, mais nommé – en fait, coopté – appliquant la politique dont décide le pouvoir financier. Partout une culture universellement acceptée de prévarication et de corruption. Partout le crime organisé travaillant main dans la main avec les services secrets pour une justice qui devient d' »ombre et brouillard »

Nous entrons dans un nouveau moyen-âge. Un état d’anarchie remplaçant progressivement et sans le dire l’État de droit dont nous avons joui comme d’un âge d’or pendant bien peu de temps… De plus en plus, hélas, l’individu devra veiller à ne plus compter sur l’État pour le protéger, mais plutôt à s’en méfier.

En attendant que l’individu ne commence à voir l’État comme son ennemi… et ne passe à l’attaque… et nul ne sait avec certitude où cette évolution nous mènera.

Pierre JC Allard

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