Pierre-Esprit »Radisson.
Ses mauvaises expériences, avec les autorités françaises tout autant qu’anglaises, sont connues par tous les « Canayens » de son époque. De ce fait, chacun d’eux se comportera alors de façon à ne pas subir le même sort. On fait comme il avait fait lui-même, mais on ne divulgue jamais les « profits » pour ne pas être « saisi » ou « taxé » par les vrais voleurs. Son histoire influence énormément le caractère « Canayen ». En exemple, je peux citer mes ancêtres qui ont toujours été « coureurs de bois » et qui ont réussi à ne jamais être inquiétés par les autorités. Ils sont tous considérés comme des gens « honorables », parmi la population canayenne, en faisant la traite des fourrures… illégalement.
Voici donc son histoire :
Le premier vrai découvreur de l’Ouest fut Pierre Esprit Radisson.
Il nait vers 1636 en France et décède en 1710 en Angleterre. Sa demi-sœur, Marguerite Hayet, épouse Jean Véron de Grandmesnil à Québec en 1646. Il est possible que Pierre-Esprit Radisson soit déjà en Nouvelle France à cette date. Il serait âgé de 10 ans.
La première mention officielle que nous avons de Radisson est lorsqu’il est capturé par des Iroquois en 1652. Âgé de 16 ans, il demeure chez sa demi-sœur. La même année, le 19 août, Jean Veron, son beau-frère et défricheur de l’une des îles de Trois-Rivières, est tué par les Iroquois.
Un peu auparavant, Radisson et deux jeunes amis partent à la chasse un matin de printemps 1652. Ils ont du culot car tout le monde sait que les Iroquois sont presque toujours embusqués autour de Trois-Rivières pour piller et tuer. Après quelques heures, les deux amis de Radisson disent vouloir retourner au village. Celui-ci se moque d’eux les traitants de « pissoux » et continue sa route en chassant.
Ayant déjà plus de gibier qu’il n’en peut porter, il en cache une partie dans un arbre creux, « endosse » le reste et prend le chemin du retour.
Décidant de se reposer, presque là où ses deux amis l’avaient quitté, il se rend compte que ses pistolets sont mouillés. Il les recharge et, entendant des canards sur une petite rivière non loin, se déplace avec précaution entre les arbres et pénètre les fourrés après avoir aperçu plusieurs canards sur le cours d’eau. Regardant où mettre les pieds pour ne pas faire de bruits, il trébuche sur les cadavres de ses deux amis, tués et scalpés, rejetés dans ces fourrés. Une cinquantaine d’Iroquois l’encerclent. Il se met à courir vers la rivière projetant de plonger et s’échapper, mais ils l’attrapent et le font prisonnier.
Ils l’amènent à leurs canots et prennent le temps d’un repas avant de partir. Pierre est pieds et poings liés. Durant le repas, un éclaireur du groupe vient les avertir de l’approche d’une troupe de Français et d’Algonquins. Vingt des guerriers Iroquois retournent faire face à l’ennemi. Lorsqu’ils reviennent, on termine le repas et, après avoir habillé Pierre-Esprit en Iroquois et maquillé son visage de peinture de guerre on s’installe pour dormir. Dans la relation de son aventure, Radisson nous dit qu’il a très bien dormi, étendu entre deux guerriers, mais que les « sauvages » le réveillent très tôt au lever du jour. Ce qui semble l’énerver quelque peu. Avouez qu’on le serait à moins.
Ils partent tous ensemble dans 37 canots, avec 2 Iroquois dans chacun des canots. La vie d’aventure de Pierre-Esprit Radisson vient de commencer.
Le lendemain, au départ, il n’est plus attaché dans le canot. À l’arrêt suivant, on lui coupe les cheveux en laissant une crête sur le dessus de la tête selon la mode Mohawk. Radisson devient Iroquois. Il s’empresse d’apprendre tout ce qu’il peut de ses geôliers et de gagner leur confiance. Peut-être pourra t-il ainsi s’enfuir à la première occasion. Arrivé au village indien, il est adopté par une Huronne, elle-même adoptée par les Iroquois et épouse de l’un des chefs guerriers de la tribu. Coïncidence, on lui donne le nom de « Orimha » qui signifie « pierre ». C’était le nom du fils perdu par ses nouveaux « parents ».
À l’automne, lors d’une partie de chasse, Radisson et trois compagnons Iroquois rencontrent un algonquin, esclave de la tribu. Celui-ci dit à Pierre qu’il veut s’échapper. La même nuit, Pierre et l’Algonquin tuent les trois Iroquois et prennent la fuite.
Quatorze jours plus tard, à quatre heures du matin, ils arrivent sur le lac St-Pierre, à une journée de Trois-Rivières. Le danger y est encore plus grand que sur le lac Champlain, car il y a des Iroquois embusqués partout autour du village.
L’Algonquin, ne voulant pas attendre, entraîne Pierre à traverser le lac vers le village en plein jour. Au milieu du lac, Radisson aperçoit des Iroquois qui les ont repéré et s’élancent vers eux. Virant le canot, une course commence sur le lac. Arrivés près du rivage une volée de plomb atteint leur canot. L’Algonquin reçoit deux balles dans le dos et le canot se remplit d’eau. Radisson est saisit et le corps de l’Algonquin est jeté au fond de l’un des canots Iroquois.
Pierre-Esprit est ramené sur la rive sud du lac où se trouvent 150 Iroquois avec plusieurs prisonniers dont 2 français, une femme blanche et 17 Hurons.
Lorsqu’ils arrivent au village Mohawk, plus d’une semaine plus tard, la fête s’annonce assez « éprouvante » pour les prisonniers. Radisson n’est pas le plus épargné. Ses parents adoptifs font tout en leur pouvoir pour qu’il ne soit pas tué. On lui arrache un ongle, on lui brule un pouce dans une pipe et on lui brule la plante des pieds. Le lendemain, on l’amène devant le grand conseil avec 7 autres captifs. Il est le seul qu’on garde attaché.
Chacun des chefs, l’un après l’autre, donne son opinion sur le sort des prisonniers. L’un d’eux, à un moment donné, se lève et tue 3 des prisonnier d’un coup de tomahawk chacun. Convenons que le problème est grandement simplifié. Ceux qui sont encore debout sont alors condamnés à l’esclavage. Reste à décider le destin de notre Orimha-Esprit Radisson.
Son père adoptif se lève et livre un discours sur ses propres exploits de grand guerrier. Son discours terminé, il jette un wampum par terre, en place un autre autour du cou de Radisson et sort avec lui, pour laisser le conseil délibérer.
Un peu plus tard, certains membres du conseil, amis du grand chef reviennent à la réunion avec la « famille » de Radisson. Encore une fois, le Chef discoure. Ensuite, il enlève le wampum qu’il avait placé autour du cou de Pierre-Esprit, le jette aux pieds du plus vieux des sachems présents et coupe les liens de son fils adoptif, lui rendant ainsi sa liberté.
À partir de ce moment-là, Pierre-Esprit Radisson n’est plus un immigrant Français venu en Nouvelle-France; il devient un amalgame Français/ Amérindien qu’on appellera, plus tard, un Canayen. Un homme amoureux de son pays, de sa nationalité et de ses semblables. Un homme libre de toute obligation sauf envers lui-même et son pays. Il n’est pas le seul de son époque; mais la plupart ne parviendront pas à devenir aussi connu que lui. Plusieurs de ces autres décideront de ne plus jamais quitter la vie libre des « sauvages ».
En 1653, le 24 août, Marguerite, demi-sœur de Pierre-Esprit, épouse Médard Chouart des Groseillers. Quelques disputes surviennent au sujet d’Étienne, âgé de 5 ans, fils de Jean Veron et de Marguerite. On place l’enfant Étienne sous la tutelle d’Étienne Seigneuret au coût de 20 livres par année. Étienne Veron de Grandmesnil sera ensuite instruit par les Jésuites.
À l’automne 1653, toujours chez les Iroquois, Pierre-Esprit Radisson se lève un bon matin, prend une hache et se dirige vers la forêt comme s’il allait chercher du bois. Arrivé là où on ne peut plus le voir du village, il se met à courir. Il a décidé de s’évader. Il cour jusqu’au lendemain après-midi sans s’arrêter. À 16 heures, il est à 2 milles du village d’Orange (Albany) et se réfugie chez un colon. Celui-ci envoie chercher des soldats et ils raccompagnent Radisson jusqu’au village où on le cache pendant 3 jours. On le transfère à New York pour ensuite l’envoyer à Amsterdam. De là, Pierre-Esprit Radisson se rend en France. Mais il ne s’y sent plus chez lui; les gens lui paraissent étrangers. Il revient en Nouvelle France, en 1654, sur un bateau de pêcheur se rendant à Percée.
Au mois de mai, il est à Québec. Arrivé à Trois-Rivières il retrouve sa sœur Marguerite qui a épousé Médard Chouart des Groseillers.
En 1656, aucun explorateur ne s’est encore aventuré au-delà des Grand Lacs; mais plusieurs jeunes hommes de la Nouvelle France se font amis avec les indiens et partent faire la traite dans la région de l’Outaouais jusqu’au grands Lacs. C’est à cette époque qu’on entend parler de tribus amérindiennes vivant dans les grandes prairies de l’Ouest; les Crees, les Sioux et les Assiniboines. Radisson et Desgroseillers ne sont pas étrangers à ces descriptions de tribus nomades. Le missionnaire Gabriel Druillettes dénombre et situe les diverses tribus en questions selon les informations fournies pas Radisson et Desgroseillers. Il est donc assez probable que ces 2 aventuriers ont déjà visité ces régions officieusement.
Lorsqu’officiellement, ils s’apprêtent à se rendre dans les Grandes Prairies, 30 jeunes « canayens » rêvant de prouesses et d’aventures ainsi que 2 missionnaires veulent les accompagner. Voulant éviter les bruits inutiles, Radisson et Desgroseillers quittent Trois-Rivières une certaine nuit de juin avec un groupe d’Algonquin. Voyageant de nuit, ils arrivent à Montréal trois jours plus tard. Ils y attendent les 30 canayens et les 2 missionnaires. Soixante canots prennent le départ de Montréal et s’élancent sur le lac St-Louis. Peu à peu, les canots s’éloignent les uns de autres. Certains s’arrêtent pour chasser, d’autres trainent doucement en admirant le paysage, de sorte que rendu au premier portage, certains canots sont séparés de plusieurs milles les uns des autres. Radisson et Desgroseillers veulent bien leur faire comprendre le danger de se répandre ainsi, mais ils sont qualifiés de « squaws peureuses » par les indiens pourvus illégalement de leurs nouvelles armes à feu qui, croient-ils, les rendent invincibles.
Attendus en embuscade par des Iroquois, toute la troupe prend la fuite et les jeunes canayens retournent à Montréal. Seuls Radisson et Desgroseillers continuent leur voyage. Ils réussissent à se rendre jusqu’à la Baie Verte. Ils se retrouvent maintenant au seuil des régions officiellement encore inexplorées. Radisson n’attend pas longtemps et offre de conduire un groupe pour se débarrasser des maraudeurs Iroquois encore dans la région. Après 3 jours de recherche. Ils trouvent les Iroquois non préparés et les écrasent.
Ils passent l’hiver à la Baie Verte, reçus triomphalement et célébrés par les différents camps indiens. Ceux-ci acceptent de les guider vers les prairies. Dès 1659, Ils se retrouvent dans le Wisconsin et se rendent jusqu’au Haut Mississippi où ils rencontrent la tribu des « hommes du feu » (les Mascoutins) membre de la grande famille des Sioux. Ils parviennent aux Grandes Prairies 10 ans avant Marquette et Joliette, 20 ans avant La Salle et une centaine d’années avant Lavérendrye. Ils entendent parler de d’autres tribus étonnantes : les Assiniboines, les Mandans, Omahas et Iowas du Missouri.
Pourquoi cette découverte n’est-elle pas reconnue officiellement? Simplement parce que Radisson est un homme libre sans aucune attache à aucun pays d’Europe. Il est un « Canayen »; et l’histoire est écrite par les autorités française de l’époque qui exigent qu’on fasse des découvertes « en leur nom ». Seuls leurs subordonnés, qu’ils soient ceux de France ou d’Angleterre, Catholiques ou Huguenots, peuvent s’attribuer la « découverte » de nouvelles régions. Radisson est un « indépendant »; un simple aventurier, habitant de Trois-Rivières.
Ces découvertes sont toutefois, d’une importance capitale; donc les annales des missionnaires en parlent nécessairement. Par contre, on fait très attention de ne pas mentionner le nom de Radisson, même si on y parle 2 fois de Desgroseillers. À cause de cet esprit d’indépendance, il sera affublés de plusieurs qualificatifs comme ceux de « traître », de « vendu » etc…
Radisson et Desgroseillers, malgré le refus des « hommes du feu » de les guider plus loin, décident de continuer seuls. Ils explorent la région du Missouri où ils rencontrent de nouvelles tribus. Ils entendent parler des Espagnols installés plus au Sud. Radisson raconte qu’au loin, il voit des montagnes et que les « sauvages » de la région où il se trouvait, emploit une sorte de « charbon » ramassé dans la plaine, pour leur feu, parce que le bois y est très rare. Après cette virée vers l’Ouest, ils reviennent vers le Nord et atteignent le lac Supérieur.
Suite à l’exploration du Sud-Ouest, ils décident de voir le Nord-Ouest. On connait leurs aventures à la Baie d’ Hudson qui est reconnue officiellement à cause des problèmes que nos 2 découvreurs créent à la France et à l’Angleterre.
À l’Automne de 1659, Desgroseillers dont la santé périclite, s’occupe de traite et laisse Radisson continuer seul les explorations. Avec 150 guerriers Crees, il s’élance à la découverte du Nord-Ouest. Au printemps, il sait que la Baie d’Hudson se trouve beaucoup plus éloignée que ce que Drouillettes et Desgroseillers ont dit. Il revient à la Baie Verte où l’attend Médard.
On est alors en 1660. Lors du départ vers Montréal, ils apprennent que 1000 guerriers Iroquois les attendent et ont juré de « tuer les Français ». Les 500 guerriers, qui doivent voyager avec eux, sont effrayés et refusent d’accompagner les explorateurs. Ceux-ci, après plusieurs jours de débat, parviennent à les secouer de leur torpeur. Sur le chemin du retour, Radisson déloge les 150 Iroquois qui occupent encore le fort où Dollard Desormeaux vient d’être battu avec ses 16 compagnons, 4 Algonquins et 40 hurons (dont 30 qui ont déserté). Le combat de Desormeaux dura 7 jours. Radisson arrive 8 jours trop tard et ne peut que découvrir les corps calcinés et les arbres à l’intérieur et autour du fort criblés de balles.
Les explorateurs arrivent finalement à Québec et sauve la colonie avec les pelleteries qu’ils apportent. Car, avec la pression des Iroquois durant ces 2 dernières années, la traite est tombée à zéro et les bateaux, partant pour la France, n’ont rien à transporter.
La découverte des prairies de l’Ouest ne suffit pas à Radisson. Il décide d’explorer plus à fond le Nord-Ouest. La nouvelle se répand et les autorités organisent une expédition vers la Baie d’Hudson. Ils demandent à Radisson de les guider; mais celui-ci, n’étant pas intéressé à être « deuxième violon », refuse. Il demande une licence pour la traite que le gouverneur veut bien émettre à la condition de participer à 50% des profits de l’aventure et à l’inclusion de 2 de ses serviteurs parmi les membres de l’expédition. Radisson et Desgroseillers, après avoir sauvé le commerce des fourrures l’année auparavant, doivent maintenant se soumettre à la cupidité du gouverneur. Doit-on se surprendre de leur réaction? C’est eux qui risquent leur peau et il faut en plus, donner la moitié du résultat de leur travail ? Ils répondent au gouverneur qu’ils seraient heureux de voyager en sa compagnie, mais que lors d’un voyage de la sorte, chacun devient et maître et serviteur. Pierre Dubois d’Avaugour, furieux, leur défend de quitter Trois-Rivières.
Tout à coup, 7 canots indiens, venant du Nord, arrivent à Trois-Rivières et demandent à Radisson et Desgroseillers de les accompagner. Les 2 explorateurs avertissent le Gouverneur de leur désir de partir. D’Avaugour s’entête et ordonne aux indiens d’attendre le retour des traiteurs qu’il avait envoyé au Saguenay. Les indiens partent se cacher sur le lac St-Pierre. Desgroseillers, qui était capitaine de milice et avait les clefs du portail du fort, s’éclipse avec Radisson durant la nuit et rejoignent les indiens. Un des compagnons nommé Larivière, ayant eut peur des Iroquois, s’enfuie dans la forêt. Ne pouvant le retrouver, Radisson repart avec son groupe. Une semaine plus tard Larivière est retrouvé presque mourant de faim et est ramené à Trois-Rivières où d’Avaugour l’emprisonne. C’est trop injuste et la population révoltée attaque la prison et délivre Larivière.
Lors d’une agression d’Iroquois, dans un portage, Radisson se rend compte que ces Iroquois sont dirigés par quelques Français. Il se questionne sur qui avait envoyé ces Français pour intercepter son excursion? Enragé, il fait attaquer le fort des Iroquois qui capitulent aussitôt. Au matin, après avoir accepté la reddition, il trouve le fort vide. Les Français se sont enfuis durant la nuit avec leurs Iroquois.
À chaque fois que Radisson rencontre des Iroquois qui l’attaquent, il réplique pour s’assurer qu’aucun d’eux ne les suive pour les affaiblir en agressant leurs arrières.
À la fin novembre ils sont dans la partie Ouest du lac Supérieur et se dirigent vers le Nord-Ouest. Ils construisent une cabane, la première dans cette région au Sud-ouest de l’Ontario, près du Minnesota. Personne ne s’était encore aventuré jusque là.
Les Crees guident nos explorateurs jusqu’à la Baie James où ils restent quelque temps. Au printemps de 1663, ils sont de retour au « Lac des bois » accompagnés de 700 sauvages du Nord. Ils emplissent 360 canots de pelleteries. Rendus au Sault, 400 Crees font demi-tour. Arrivés au Lac Nipissing, ils empruntent la rivière Outaouais et n’ont plus aucun problème à arriver à Montréal. On les y reçoit avec ferveur parce que, encore une fois, la Nouvelle France frôle la faillite par manque de fourrures.
Un autre genre d’accueil les attend à Québec. D’Avaugour se préparait à partir pour la France Leur arrivée sauve l’honneur du Gouverneur qui n’a encore rien récolté au niveau de la traite. Aussitôt leur arrivée, d’Avaugour fait emprisonner Desgroseillers. Il leur impose une amende de 20,000 livres pour construire un fort à Trois-Rivières. Puis, une autre de 30,000 livres pour le trésor public de Nouvelle-France et saisit 70,000 livres sonnantes et trébuchantes de taxe sur leurs fourrures. Sur une valeur, aujourd’hui de 300,000 dollars, il reste à Radisson et Desgroseillers, environ 20,000 dollars.
Si d’Avaugour et ses successeurs avaient encouragé Radisson au lieu de le piller, la France aurait hérité de toute l’Amérique du Nord; mais leurs aveuglement fait entrer en lice l’Angleterre que Radisson et Desgroseillers approchent.
Deux fois, ils ont sauvé la Nouvelle France de la faillite et tout ce qu’ils en tirent est un pillage systématique de leurs possessions. Qu’ils prennent la décision de s’adresser, par la suite, à des Anglais n’a rien de surprenant, à moins d’être complètement débile.
Desgroseillers, après avoir perdu six mois en France pour récupérer ses biens, revient à Trois-Rivières où l’attend Radisson. La promesse faite à Desgroseillers est rompue. On lui a fait cette promesse pour se débarrasser de son insistance. La colonie les avait traités outrageusement et la France se permet de se moquer d’eux. Ils quittent la Nouvelle France.
Ils se rendent à Boston, où leur projet d’aller à la Baie d’Hudson par bateau échoue. On leur conseille de se rendre en Angleterre. Ce qu’ils font en 1665. Attaqué par un vaisseau Hollandais. Les prisonniers sont livrés en Espagne. Ils parviennent en Angleterre au début de l’année 1666. Charles II, finalement, les reçois en audience. À cause de la guerre, 2 autres années sont perdues. En fin de compte, c’est le prince Rupert qui entre en contact avec nos héros et organise l’expédition de 2 navires vers la Baie d’Hudson en 1668. Le bateau emportant Radisson doit revenir à Londres tandis que celui de Desgroseillers arrive au fond de la Baie James, à la rivière Nemisco, le 29 septembre. C’était là où Radisson s’était rendu cinq ans auparavant.
Desgroseillers appelle la région « Terre de Rupert » en l’honneur du prince qui l’avait aidé. Cette « Terre de Rupert » fut, jusqu’en 1870, un territoire « privé » appartenant à la Cie de la Baie d’Hudson.
Voilà le territoire qu’a coûté à la France l’imbécilité et la cupidité de d’Avaugour. Il y eut bien d’Iberville qui s’empara de ces territoires mais la France dû les remettre à l’Angleterre lors de transactions de paix.
En juin 1669 le vaisseau transportant Desgroseillers vogue vers l’Angleterre, chargé de fourrures. Desgroseillers est nommé « Chevalier de la Jarretière », honneur réservé aux princes royaux et reçoit conjointement une somme d’argent. Pendant ce temps Radisson et le prince Rupert ont mis sur pieds une compagnie à charte royale nommée la Hudson Bay Company qui est confirmée en 1770. Entretemps Radisson épouse Mary Kirke de la famille des frères Kirke qui avait déjà conquis Québec.
Un nouveau voyage s’organise en 1771 durant lequel Radisson construit le fort Nelson qui deviendra la capitale du Nord de la fourrure.
Durant la troisième année, Radisson et Desgroseillers constatent un changement dans le nombre d’indiens qui viennent traiter avec eux. Les Français s’étaient avancés plus loin dans le Nord et échangeaient avec les sauvages avant qu’ils ne parviennent à la Baie James. Ils payent les fourrures beaucoup plus chères que les traiteurs anglais. Desgroseillers propose de se rendre à l’intérieur des terres pour en chasser les Français. C’est refusé. Desgroseillers est même soupçonné de déloyauté envers l’Angleterre. La vraie raison est que les Anglais craignent les « canayens ».
À leur retour à la rivière Rupert, ils découvrent le drapeau Français flottant sur les installations de la compagnie. Frontenac avait envoyé le père Charles Chabanel et 2 Canayens, St-Simon et Couture, avec une lettre les recommandant au chef de l’expédition anglaise, le gouverneur Bayly. De plus, les voyageurs canayens apportent des missives aux 2 explorateurs Radisson et Desgroseillers.
La Nouvelle France s’aperçoit finalement du coût de son attitude envers Radisson et Desgroseillers. Elle encourage maintenant les expéditions de traite, enlève les restrictions des permis et installe des postes de traite partout où elle le peut. Mais il est trop tard, l’Angleterre venait de découvrir la richesse de l’Amérique du Nord.
Les deux explorateurs n’eurent pas longtemps à attendre avant que le Gouverneur Bayly les accuse de « double-jeu ». Sentant la soupe chaude, les deux beaux-frères désertent les anglais. Bayly envoie des accusations en Angleterre contre eux. Le capitaine du navire revenant en 1674 demande à Radisson de se rapporter en Angleterre; ce qu’il fait tout de suite et est disculpé des charges contre lui. Il reçoit même une rente de 100 livres par ans pour services rendus. À cause des inimitiés avec les employés de la Baie d’Hudson, il ne peut retourner là-bas. Il apprend que la France a besoin de ses services. Colbert lui offre de payer toutes ses dettes et lui présente un poste dans la marine française. En 1676, il bénéficie de privilèges pour la pêche à l’île d’Anticosti; mais il préfère la traite des fourrures. Il est rappelé à Québec par l’intendant Jacques Duchesneau, pour participer à une réunion avec Louis Joliet, Robert Cavelier de La Salle, Charles Lemoyne d’Iberville et Desgroseillers. Tous des noms de Canayens qui feront l’histoire et deviendront immortels en tant que Français.
La position de Radisson est la suivante : Les Anglais doutent de lui parce qu’ils le disent Français, les Français s’en méfient parce qu’il a épousé une Anglaise. Quant à lui, dans son esprit, il n’est ni Français, ni Anglais, mais bien « Canayens » avant même l’existence du Canada. Il n’est pas le seul de l’histoire; Étienne Brulé fut le premier d’entre eux. Pierre Lefebvre de Trois-Rivières en fut un autre. En fait tous ces jeunes de Nouvelle France côtoyant les amérindiens deviennent aussitôt « Canayens » avant que le pays lui-même ne prenne naissance. On parle donc ici de la majorité de la jeunesse de la Nouvelle France. Cette majorité dont se plaignent les autorités françaises parce qu’ils choisissent la « vie des bois » au lieu de celle de « censitaires ».
En 1676 Desgroseillers décide de se retirer chez lui à Trois-Rivières et prend sa retraite; mais c’est trop demander à Radisson qui voit d’autres récolter ce qu’il a semé. Radisson vit également des problèmes matrimoniaux parce que son beau-père refuse catégoriquement qu’il amène son épouse en Nouvelle France. Il dit qu’avant qu’il la laisse partir, la France doit payer les 40,000 livres dû à la famille Kirke depuis 1633.
En 1681 Radisson, rendu à Québec, y rencontre le Sieur de La Chenaye pour organiser une expédition. On fait appel à Desgroseillers et les 3 se présentent au Gouverneur pour proposer leur plan. Ayant rétablit les permis de traite, Frontenac ne peut pas passer outre le monopole de la compagnie du Nord pour la région de la Baie d’Hudson; mais il leur donne des passeports, ce qui leur ouvre la porte. Les 3 associés sont accompagnés de Jean Baptiste fils de Desgroseillers, Pierre Allemand et Jean Godefroy, un interprète. Ils partent avec 2 bateaux; le St-Pierre et le Ste-Anne.
À leur retour à Québec, après des aventures avec les Anglais de Nouvelle Angleterre et la Cie de la Baie d’Hudson; les autorités, encore une fois, décident de saisir la cargaison. La Chenaye parvient à en transférer une partie vers la France avant d’être saisie. Ensuite s’échelonne une série de poursuites judiciaires qui coûtera les profits du voyage. La Barre avait succédé à Frontenac. Il refuse à Radisson l’argent dû à la prise du vaisseau de contrebande de la Nouvelle Angleterre et il remet le vaisseau à son propriétaire lui permettant de retourner à Boston. Ainsi s’achève la dernière expédition de Radisson au nom de la France. Colbert invite Desgroseillers et Radisson à Paris pour lui raconter leurs actions; mais lorsqu’ils arrivent le 15 janvier 1684, Colbert est décédé. Lord Preston, en Angleterre, avait déjà logé des plaintes contre eux à cause de la défaite des Anglais à la Baie d’Hudson, de sorte que la France ne reconnu pas les services des deux explorateurs.
Desgroseillers, étant trop vieux, se retire à Trois-Rivières. Les 2 hommes ont rapporté à la France la valeur actuelle d’un demi-million de dollars en fourrures en 4 ans et un autre demi-million à l’Angleterre en 10 ans. Et pourtant tous les deux vivent dans la pauvreté. De la dernière expédition, de Lachenaye a sauvé sa moitié du profit mais Québec a saisit la moitié de Radisson et Desgroseillers.
Radisson ayant 4 enfants et une épouse ne cesse de réclamer les fourrures confisquées. La réponse est qu’il avait offensé le Roi de France en attaquant le poste d’un roi ami, sous sa protection. Toute cette histoire était devenue une farce. Le plus drôle est que si Radisson avait simplement voulu s’enrichir, il aurait pu tout simplement s’accoquiner avec les autorités véreuses de Québec.
Approchant la cinquantaine, il se doit d’améliorer son sort. Il reçoit une lettre d’Angleterre, pleine de promesses, le suppliant de revenir à la compagnie de la Baie d’Hudson. D’un autre côté, la France lui propose un deuxième voyage rémunéré comme celui de 1682-83 sans aucune participation aux profits. Considérant ses options, il esquisse un sourire qui en dit assez long. Il confirme son acceptation à la marine française et demande que le départ soit retardé au 24 avril. Les autorités enchantées de l’entente et comptant déjà ses profits, mit sur pieds l’expédition avec des navires. Radisson reste sur place pour tout organiser et lorsque le moment du départ approche, il demande une permission pour aller dire adieu à sa famille. On la lui accorde, évidemment et lui, prend aussitôt la direction de l’Angleterre où il est reçu à bras ouvert. Le roi Charles et le duc d’York le font venir pour lui donner des présents. Il fait serment d’allégeance à l’Angleterre. Il ne signe, par contre, aucun engagement précis avec la compagnie de la Baie d’Hudson.
Le 17 mai 1684, 3 navires partent pour la Baie d’Hudson. Radisson craignant des problèmes avec le fils de Desgroseillers, s’embarque avec 7 hommes dans une chaloupe pour se rendre au fort de Hayes river pour les précéder. Là, il discute avec le jeune Desgroseillers qui lui remet toutes les fourrures françaises du fort. Radisson se rembourse de ce qui lui avait été volé. Il livre ces fourrures à la Baie d’Hudson et ensuite négocie un traité de paix entre les indiens et les Anglais. Traité qui a tenu jusqu’au vingtième siècle. La compagnie de la baie d’Hudson devait rester en Amérique jusqu’à aujourd’hui.
Pendant les 5 années subséquentes, la compagnie de la Baie d’Hudson garde confiance en Radisson; puis la guerre éclate entre la France et l’Angleterre. Les héros canayens de la Nouvelle France accomplissent des exploits à la Baie d’Hudson et les profits de la compagnie chutent. On commence à se méfier de Radisson « le Français ». En Nouvelle France, sa tête est mise à prix et le marquis de Denonville ordonne son arrestation à vue, où qu’on le rencontre. Jamais son salaire avec la Baie d’Hudson n’a dépassé 100 livres et avec l’arrivée de la guerre il entre dans la pauvreté. Il parvient à s’assurer un revenu annuel de 50 livres jusqu’en 1710. Puis les paiements s’arrêtent. Est-ce la date de son décès? Personne ne sait.
Il glisse dans l’incognito historique tout comme la moitié des ses explorations du continent. Tous ceux qu’il a aidé se sont tout simplement servi de lui jusqu’à ce qu’il ne soit plus utile à quiconque. On s’assura, ensuite, de salir son nom.
Les seuls qui continuèrent de le vénérer à sa juste valeur sont les Amérindiens qui reconnaissent toujours le courage et la sincérité. Radisson est un autre découvreur courageux de la région de Trois-Rivières qui a œuvré pour son pays en n’acceptant pas le statu de colonisé ni par la France, ni par l’Angleterre. Il n’a toujours fait qu’à sa tête entouré des deux plus importantes puissances mondiales de l’époque. Il est un « Canayen » pur sang.
Il est malheureux qu’il soit l’un des rares canayens à avoir rédigé ses aventures. Combien de nos « coureurs de bois » auraient eu d’autres histoires extraordinaires à nous raconter?
Amicalement
André Lefebvre