Vous ne devez pas penser que l’establishment financier ne sait pas que le système économique capitaliste est en faillite. Vous ne devez pas croire que les énarques de «l’économie de marché» vont lâcher la « pôle-position », s’avouer vaincus et prendre leur retraite laissant la gestion des affaires aux prolétaires. Ces parangons du système d’exploitation vont s’accrocher avant de cramer, et leurs alliés dans les rangs ouvriers – les opportunistes, les réformistes, les sociaux-démocrates, les altermondialistes, les verts et les pseudos gauches – sont déjà à l’œuvre pour propager leurs ‘nouvelles solutions’ à la présente crise afférente (1).
Imaginons un instant un magnat de la banque; un PDG de holding; un conseiller financier réputé pavanant sa limocar sur les boulevards; un nonce que l’on pontifie à Davos; un oligarque que l’on s’arrache pour obtenir un conseil avisé chèrement payé et dont le «mainstream» médiatique, à la solde, reproduit les moindres soupirs; imaginons tous ces gens juchés sur leur perchoir à Times Square et qui s’aperçoivent que leurs thuriféraires ne font que braire et refaire les antiques faillites, comment réagiraient-ils selon-vous ? Ils descendraient de leur Olympe pour semoncer ces esbroufes.
C’est la tâche que s’est assignée le journal Financial Times cette année (2). Ses éditorialistes ont patiemment commencé à expliquer à leurs commettants que si hier il fallait prêcher le libre-échange, l’économie de marché et le non- interventionnisme étatique dans le but de détruire l’État-providence – pour les pauvres, les travailleurs et les bobos – cette année il faut prêcher le renforçant de l’État providentiel – pour les banquiers et les entrepreneurs –
Maintenant, que tout a été privatisé, et que l’État bourgeois a terminé de gager le patrimoine bancal, mis aux enchères la richesse familiale et dilapidé la fortune nationale, il est temps d’expliquer à l’analyste économique de bas étage et au sous-fifre provincial, au petit requin de la finance locale et au petit bourgeois paupérisé qu’il n’est plus approprié de psalmodier les mêmes billevesées sur le monde nouveau qui aurait ‘changé’. Les propos usés sur l’ère post-industrielle technocentrique, sur la dérèglementation vivifiante, et la puissance des lois du ‘libre marché’ autorégulant, la fin de l’histoire, la mort de Marx et le triomphe du Capital, fini ces insignifiances, mais c’est qu’ils y croiraient si on les laissait piailler ces papagayos médiatiques.
Fini ce brouhaha cacophonique déclare l’éditorialiste en chef du Financial Times, la réglementation et la régulation des marchés sont redevenues nécessaires pour se protéger des déviants qui tentent de tromper le système capitaliste bienséant. Il faut protéger le pauvre du petit profiteur et le riche de l’affamé révolté. L’État doit intervenir et sévir contre la petite criminalité mais de façon plus intelligente et opérante qu’auparavant et ne racheter – ou ‘nationaliser’ – que ce qui a déjà été pillé, saccagé, et complètement vidé de sa substance (mines éloignées, banques endettées comme en Islande la ‘révolutionnaire’, routes éventrées, pont risqués, usines fermées) afin d’y réinvestir les fonds publics vivifiants et d’en refaire un pactole attractif que l’on privatisera à nouveau par la suite.
Il s’agit de revamper la devanture de l’étal et de réinvestir les deniers publics là où certains promoteurs privés irresponsables – il y a toujours quelques pommes pourries dans un panier fleuri – ont laissé s’étioler et s’éroder les services indispensables à la bonne marche des profits « justes et raisonnables » (les routes et le transport ferroviaire par exemple). Au demeurant, ce qui a été privatisé et payant devrait rester entre les mains des propriétaires privés bienveillants, ces gens de bonne gouvernance.
L’État doit redevenir un acteur conscient – réfléchi – pingre de ses ressources pour ceux d’en bas et prodigue de son capital pour ceux d’en haut qui créent de l’emploi supposément. Évidemment, la vente de ces boniments demande de l’entregent, de l’illusionnisme et de l’équilibrisme. La série d’articles publiés par le Financial Times vise justement à éduquer ses lecteurs financiers à cette nouvelle approche ou il faudra imaginer une nouvelle façon de ramener le balancier pour continuer à piller les coffres de l’État et revamper la crédibilité des politiciens vilipendés et des journalistes disgraciés. Avec presque 20 % de chômage aux États-Unis depuis plus de deux ans et alors que le dégrèvement d’impôt pour les riches bat son plein, comment faire gober aux électeurs que davantage de congés fiscaux et plus de fonds publics aux «investisseurs» créateurs d’emplois produiront enfin l’effet escompté ? Comment former les ‘bobos’ et les éditorialistes des publications provinciales pour qu’ils relaient ce message du Cénacle financier ?
D’abord, journalistes, reporters et éditorialistes ne doivent pas craindre de critiquer le système capitaliste. Ce système est le meilleur au monde parce que justement il accepte et intègre la critique sans broncher et sans changer.
Pour améliorer et réformer il faut d’abord savoir critiquer. Si vous ne souhaitez pas être renversé, acceptez d’être rabroué. De toute façon, les aristocrates ouvriers qui souhaitent s’en tirer sans rien briser ni rien violenter apprécieront les réformes modérées. Prenez cet ex-assistant du secrétaire au trésor sous l’administration Reagan, Monsieur Paul Craig Roberts, reconverti en progressiste-révolutionnaire, et qui attaque Barack Obama par sa gauche, en voilà un qui illustre parfaitement la nouvelle stratégie que propose le Financial Times (3). Ce crooner reaganien sur le retour – de l’époque où la crise actuelle a pris son courre – propose aujourd’hui de reconstruire l’État occidental fort et protectionniste contre l’impérialisme chinois, brésilien, indien, maintenant que ceux-ci poursuivent leurs propres ambitions impérialistes et grappille sur les marchés américains et le capital européen (4).
Les lois du marché sont excellentes mais de mauvais serviteurs les ont détournées de leurs fonctions innovantes déclare l’éditorialiste de la revue The Economist. Il faut donc réglementer pour surveiller les mauvais bookmakers, en fait pour s’assurer, comme en Grèce, que les politiciens et les fonctionnaires nationaux véreux appliquent les ordres du FMI, de la BM et de l’OMC et ne tentent pas de s’en échapper comme des lâches. Ils doivent frapper leurs commettants du plein poids des restrictions et des privations.
Il faut aussi souligner, recommande le Financial Times dans cette série d’articles, que s’il n’y avait pas eu des investisseurs intéressés et motivés, la situation serait bien pire que constatée. Une affirmation gratuite mais payante puisque personne ne peut savoir ce que serait cette situation hypothétique sans capitaliste. Les capitalistes ne sont pas responsables des pots cassés et ce sont eux qui vont tout rafistoler dans la justice et l’équité. Parlant d’équité, le politicologue Norman Ornstein signalait que «Depuis 1980, le 1 % d’Américains les plus riches ont vu leur richesse s’accroître de 300 %. (…) en trente ans, le revenu médian d’un homme aux États-Unis n’a connu aucune progression.» (5).
Plus le mensonge est gros plus il risque de passer croient ces effrontés. Et si le mensonge ne passe pas, qu’à cela ne tienne, de toute façon les ouvriers ne sont pas en mesure de répliquer, endettés qu’ils sont jusqu’à la pauvreté.
Les ouvriers comprennent de mieux en mieux la façon qu’ils se font flouer, et savent mieux que quiconque que les Dieux de la peste de la finance, de la bourse et des banques ne peuvent les réchapper et pourtant ils ne se révoltent pas. Prenez la Grèce, la pauvreté est partout, le chômage est catastrophique, les soupes populaires sont débordées, les mendiants omniprésents, les gens migrent et fuient le pays comme il en fut toujours pendant les siècles passés et pourtant la révolte sourde des ouvriers n’éclate pas au grand jour…Pourquoi ?
Parce que l’État corporatiste grec en construction là-bas joue les croques mitaines et le père fouettard, paie suffisamment ses policiers et son armée (6) et compte sur eux pour réprimer toute velléité des indignés. Les ouvriers attendent de voir ce que les autres entreprendront et comment réagiront les travailleurs européens frappés et enlisés. Dans de telles conditions à tout moment une étincelle internationale peut mettre le feu à leur maison État-national (7).
Robert Bibeau
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(1) Douze propositions pour limiter les excès du système financier et des banques. http://www.centpapiers.com/12-propositions-pour-limiter-les-exces-du-systeme-financier-et-des-banques/93582
(2) Le ‘FT’ ou la critique du capitalisme pur. http://www.lemonde.fr/idees/article/2012/01/26/le-ft-ou-la-critique-du-capitalisme-pur_1635087_3232.html
(3) Dr. Paul Craig Roberts économiste, il était l’assistant secrétaire au trésor de l’administration Reagan (secrétaire d’état aux finances chez nous), éditeur associé au Wall Street Journal, Senior Research Fellow de la Hoover Institution, Stanford University, il tint la chaire William E. Simon Chair de Politique Economique, Center for Strategic and International Studies, Georgetown University. Il est l’auteur et le co-auteur de neuf livres et a témoigné devant des commissions d’enquête du congrès américain en trente différentes occasions.
(4) http://www.legrandsoir.info/libre-echange-et-mondialisation-decadente.html
(5) « Dans cette forme-là, l’économie de marché doit être abandonnée. « Elle s’est avérée non seulement instable mais, et de manière importante, aussi injuste », dit l’éditorial lançant la série. Aux Etats-Unis, pays censé incarner sa réussite la plus accomplie, le capitalisme, relève Lawrence Summers, ancien secrétaire au Trésor, perd la confiance du public : seuls 50 % des Américains en auraient une idée positive». http://www.lemonde.fr/idees/article/2012/01/26/le-ft-ou-la-critique-du-capitalisme-pur_1635087_3232.html et http://www.centpapiers.com/equite-et-justice-version-de-%c2%ab-gauche-%c2%bb/93525
(6) http://www.agoravox.fr/actualites/europe/article/le-peuple-grec-spolie-et-ranconne-102820
(7) http://www.mondialisation.ca/index.php?context=va&aid=28907
Robert Bibeau