Archives quotidiennes : 1 avril 2012

LE PROPHÈTE ET LE GRAND-PRÊTRE

 

Serait-il possible que le Prophète et le Grand Prêtre se soient mutuellement reconnus dans la vérité d’une mission qui les dépasse, mais qui pour se réaliser doit passer par eux?

Le prophète, de par sa nature, ne réponde qu’à un maitre et dispose de toute la liberté pour dire et écrire ce que la voix de sa conscience lui dicte. Le Grand Prêtre, pour sa part, doit composer avec son environnement idéologique et ses solidarités institutionnelles. S’il prend la parole, elle aura été préalablement écrite, et comme il n’écrit pas tous ses textes, d’autres le font souvent à sa place. Ces derniers s’assurent que l’orthodoxie soit bien respectée et que les messages à passer aux interlocuteurs soient conformes aux attentes des solidarités institutionnelles. Il n’y a pas de place pour l’improvisation.

Par le passé, le prophète n’était pas un personnage recherché  par les puissances religieuses et civiles. Il leur rabattait leur hypocrisie, leur manipulation, leur corruption de quoi les inciter à s’en débarrasser au plus vite. Nombreux sont ceux qui ont été persécutés et tués. Même Jésus, peu de temps avant qu’il connaisse un sort semblable, s’en était pris en des termes non équivoques aux docteurs de la loi et aux grand-prêtres qui mettent sur les épaules des autres des fardeaux qu’ils ne peuvent porter eux-mêmes, qu’ils font penser à des sépulcres blanchis dont l’intérieur est rempli de pourriture… (Mt. 23)

Aujourd’hui, le prophète n’a pas tellement changé, mais le grand-prêtre a comme raffiné l’usage des mots et les techniques du silence pour ne pas décevoir son environnement de solidarité institutionnelle et, en même temps, laisser entrevoir au prophète que son message est entendu.

À sa descente d’avion, à son arrivée à Mexico, un petit bout de phrase est glissé dans le texte de Benoît XVI, sans trop que l’on sache ce qu’il vient y faire et qui l’y a mis:  « le marxisme est dépassé« . En effet, s’il avait à parler de marxisme, c’est à Cuba qu’il fallait le faire. Au Mexique, il était plus approprié de parler de  capitalisme. Or, ce petit bout de phrase, qui n’est plus revenu de tout le voyage, a servi à alimenter les nouvelles de nos médias occidentaux pendant quelques jours.

Parlant de ses silences, il faut signaler qu’à aucune occasion il n’a été mentionné que le capitalisme est à bout souffle et qu’il conduit le monde dans le gouffre.  Pourtant, il sait ce qu’est le capitalisme pour en avoir donné, lui-même, une description percutante dans le tome 1 de son livre sur Jésus de Nazareth, publié en 2007 :

« Face aux abus du pouvoir économique, face aux actes de cruauté d’un capitalisme qui ravale les hommes au rang de marchandise, nos yeux se sont ouverts sur les dangers que recèle la richesse, et nous comprenons de manière renouvelée ce que Jésus voulait dire quand il mettait en garde contre la richesse, contre le dieu Mammon qui détruit l’homme et qui étrangle, entre ses horribles serres de rapace, une grande partie du monde. » (p.120)

Il n’est pas possible qu’il n’ait pas eu à l’esprit ce passage de son livre ainsi que l’idée d’en diffuser la réalité au monde. Surtout que le monde est entré, depuis, dans la pire crise économique de son histoire et que le Mexique en est un fleuron. Le système capitalisme mondial n’est-il pas en chute libre et n’ entraine-t-il pas le monde dans un chaos mondial? Les caméras du monde étant à sa portée, l’occasion pour se faire entendre, ne pouvait être mieux, Il n’en fut rien au Mexique, tout comme à Cuba, pourtant féroce adversaire de ce capitalisme, ce dieu Mammon, qui détruit l’homme. Encore n’eut-il pas donné un signal d’encouragement à ces héros qui ont lutté pour que ce capitalisme ne s’impose pas à leur peuple ?Ne  sont-ils pas en mesure de comprendre sa grande désillusion ? Malheureusement, pas un mot du capitalisme, ni du socialisme à visage humain qui monte à l’horizon des peuples émergents de l’Amérique latine pour s’y substituer. 

Avec Benoît XVI,  les phrases et les mots utilisés peuvent toujours être pris dans deux ou trois sens, laissant ainsi aux journalistes de propagande et de désinformation de les utiliser comme bon leur semble.

Dans le même ouvrage, cité plus haut, Benoît XVI parle aussi de l’aliénation et de la description qu’en a donnée K, Marx. Même si plusieurs ont déjà lu ces textes, je pense important de les répéter, parce que ce ne sont pas nos analystes politiques et religieux qui vont le faire. Et si Benoît XVI a pu les glisser dans son livre couvrant 416 pages, il avait de bonne chance qu’ils ne soient relevés, par ces journalistes du système, mais que d’autres s’en emparent pour les citer et les analyser.

« N’est-il pas vrai que l’homme, cette créature appelée homme, tout au long de son histoire, est aliéné, brutalisé, exploité? L’humanité dans sa grande masse a presque toujours vécu sous l’oppression. Et inversement, les oppresseurs sont-ils la vraie image de l’homme, ou n’en donnent-ils pas plutôt une image dénaturée, avilissante? Karl Marx a décrit de façon drastique « l’aliénation » de l’homme. […] Il a livré une image très concrète de l’homme qui tombe aux mains de bandits » (p.224) 

C’est évident que ces convictions profondes de Benoît XVI étaient connues de Cuba. Elles font parties de celles qu’il ne sauraient être dites publiquement, solidarité institutionnelle oblige.. Sans doute, par délicatesse, les autorités cubaines se sont abstenues d’y faire référence pour éviter de le mettre dans l’embarras.

Cette visite du pape à Cuba ne semble pas avoir plu beaucoup au grand voisin du nord. D’abord, la couverture des médias qui sont à sa dispositions, dont Radio-Canada, a été plutôt sobre,  retenant ici et là des phrases, des mots pouvant s’interpréter dans différents sens. Telesur.tv  a connu de nombreux problèmes avec son serveur, surtout  aux moments des discours et des échanges civilisés et chaleureux entre les principaux dignitaires. Heureusement qu’on pouvait les rattraper par les enregistrements du studio.

Je pense qu’un « courant » est  passé du « Prophète » au « Grand-Prêtre » et que le monde découvrira toujours mieux et toujours plus ce peuple de Cuba, courageux, digne et ouvert au monde. Reste à voir, maintenant, si ce Grand-Prêtre  aura le courage de certains redressements d’orientation de l’Église en Amérique latine. Il faut reconnaître qu’il s’est  permis quelques propos positifs au sujet de la théologie de libération qu’il avait ravalé au rang de pure idéologie sans importance lors de son voyage au Brésil, en 2007.

Au moment de son départ de Cuba, il  aurait pu nous donner un signe de cette étincelle de vie entre lui et Fidel  en invitant  le monde à s’ouvrir sur ce peuple où des choses exceptionnelles se passent.  Il faut croire qu’on ne lui aurait jamais pardonné.

Raoul Castro s’est révélé être un chef d’État à la hauteur des qualités de son peuple. Il m’a vraiment impressionné.

Oscar Fortin

Québec, le 1er avril, 2012

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