Pierre Le Moyne d’Iberville
Il fut surnommé : “Le Cid canadien”; probablement par ceux qui « beurrent épais »; mais, reste à savoir au sujet de qui, exactement, « on beurre épais ». Est-ce à propos du Castillan ou du « Canayen »?
Voyons ça:
Pierre Le Moyne commence sa carrière de marin sur le bateau de son père Charles Le Moyne de Longueuil et de Chateauguay. En 1686, il entame sa vie militaire avec ses deux frères Jacques Le Moyne de Ste-Hélène et Paul Le Moyne de Maricourt.
Le Gouverneur Denonville, nomme Pierre de Troyes chef d’une expédition sur la Baie d’Hudson pour y chasser les Anglais. Il qualifiera, plus tard, Pierre de Troyes comme le plus compétent des officiers pour « conduire des Canayens » : «Le sieur de Troyes est le plus intelligent et le plus capable de nos capitaines; il a l’esprit tel qu’il faut pour avoir tous les ménagements nécessaires pour commander aux autres. On ne saurait avoir une meilleure conduite que celle qu’il a eue dans l’entreprise du Nord car il lui a fallu du savoir-faire pour tirer des Canadiens les services qu’il en a eus et pour les mettre dans l’obéissance.»
Pour bien comprendre ce genre d’esprit, « pour commander aux autres », en question, il faut savoir que, comme pour Cavelier de La Salle, Pierre de Troyes évite de justesse une mutinerie durant l’expédition. Trois ans plus tard, il succombe au scorbut, tout juste avant que les survivants de la maladie, au Fort Niagara, ne passent aux actes et l’assassinent pour lui élire un remplaçant. Denonville a certainement raison : Voilà un chef qui sait se faire apprécier de ses hommes!!!
L’expédition vers la Baie d’Hudson, une autre de toutes les victoires « françaises » de notre histoire, se compose de 100 hommes : 30 soldats français et 70 « coureurs de bois ». Les « Le moyne » dirigent chacun un groupe de 30 combattants. Il reste donc, 10 soldats français pour prendre soin de Pierre de Troyes. L’expédition commence avec 35 canots et se poursuit avec 27 traîneaux à chiens. Lorsqu’ils arrivent à la Baie de James, il leur reste 82 combattants. Convenez que ce ne sont certainement pas les « coureurs de bois » qui ont succombé au voyage. On peu déduire qu’il ne reste qu’environ 12 soldats français pour produire la « victoire française » qui s’annonce. Personnellement, je trouve que c’est très peu.
En fait c’est plutôt Pierre Le Moyne d’Iberville qui sera vraiment responsable du succès de l’expédition. Évidemment, Pierre de Troyes le laisse en charge du fort « Moose » avec 15 « coureurs de bois », et revient raconter son fait d’arme à Montréal. On peut penser qu’il le fait à la manière habituelle des autorités françaises. Ce qui explique, naturellement, l’éloge de Denonville que l’on a lu plus haut.
Par contre, en 1688, d’Ibervile, avec ses 15 « coureurs de bois », capture 2 navires anglais comprenant 85 membres à leur bord. Il revient à Montréal avec un tas de fourrures et ces 85 prisonniers anglais. On est, alors, bien obligé de le reconnaître comme un héros.
En 1690, Jacques Le Moyne de Ste-Hélène et Nicolas d’Ailleboust commandent un détachement, envoyé par Frontenac, pour attaquer la Nouvelle-Angleterre. La cible de ce détachement est Corlaer (Schenectady). Pierre Le Moyne d’Iberville est aussi de la partie ainsi que 114 « coureurs de bois » et 96 Amérindiens. Le 18 février, ils attaquent de la même manière que les Iroquois, armés par les anglais, l’avait fait sur Lachine l’année précédente. Ils brûlent tout, tuent 60 habitants et font 25 prisonniers. Ils reprennent la route de Montréal avec 50 chevaux chargés de butin.
Lorsqu’on lit les différents compte-rendus de cette expédition, on constate qu’elle n’est pas menée par des « enfants de coeurs ». Pour être dans la norme d’aujourd’hui, sa lecture comprends des scènes de violence et la supervision des parents est conseillée. Disons que, comme tous les « Canayens » de notre histoire, d’Ailleboust et les Le Moyne ne sont pas là pour faire dans la dentelle ou faire de la chair à canon avec leurs compagnons d’armes. Ils sont là pour gagner des combats et prennent les moyens pour y arriver. Que ceux qui n’apprécient pas, s’abstiennent d’attaquer le Canada tout simplement. Mais… quand celui qui prend les décisions n’est pas celui qui combat… ça donne… comme aujourd’hui.
En 1690 d’Iberville avec 80 hommes, répartis sur 3 bateaux, se présentent devant le fort New Severn de la Baie d’Hudson. À sa vue, le commandant du fort fait sauter tous les édifices et prend la fuite avec ses hommes sans offrir la moindre résistance. On jurerait de l’arrivée des irréductibles gaulois, Astérix à leur tête, devant les Romains.
En 1692, envoyé par Frontenac pour patrouiller les côtes de la Nouvelle-Angleterre, d’Iberville capture 3 navires anglais.
En 1694 Il se présente devant le fort York, à la Baie d’Hudson. Le fort est rempli de soldats, de canons, de munition et de nourriture. Le gouverneur Thomas Walsh capitule sans résister, parce qu’il a oublié de se faire une réserve de bois de chauffage. L’excuse à l’avantage de ne pas se faire donner une bonne raclée. Par contre, serait-ce là, l’époque où les Anglais commencent à « respecter » les combattants « canayens »? Cette crainte des « Canayens » durera jusqu’à bien après la Conquête de 1760.
Rien ne semble plus pouvoir arrêter Pierre Le Moyne d’Iberville. Il est, dorénavant, un héros sur les 2 continents, l’ancien et le nouveau.
En 1696, il quitte la France à la tête d’une petite flotte, vient défendre Joseph Robinau de Villebon, gouverneur d’Acadie, y capture une frégate anglaise et fait fuir les deux autres frégates. Il pousse jusqu’au fort William-Henry, sur la frontière de l’Acadie et du New-England, où le commandant, Pascoe Chubb, capitule avant que d’Iberville passe à l’attaque. Il devait, probablement, manquer de bois de chauffage lui aussi. De toutes façons, d’Iberville détruit le fort et renvoie les 92 soldats anglais à Boston.
Il se rend ensuite à Plaisance, capitale de Terre-Neuve, où, avec le gouverneur Brouillan et leur armée de « coureurs de bois », ils marchent sur St-John qui se rend après un très court siège. Manque de bois ou manque de pot? On ne sait pas. Les « Canayens » mettent le feu à la ville et continuent sur la lancée. Ils pillent et détruisent 36 établissements anglais et font 700 prisonniers.
-Puis-je autre chose pour vous, mon Roy?
-Retourne à la Baie d’Hudson; mon cher d’Iberville.
-Mais, Majesté, je n’ai pas encore fini de conquérir Terre-Neuve!!!
-Disons qu’il ne faut pas exagérer; les Anglais redeviendront, un jour, nos amis. Ouste! À la Baie d’Hudson, tout de suite!
-Oui Majesté.
Sur la route, son bateau se retrouve seul, face à 3 navires anglais. Les Anglais le croyant coincé, se font couler deux bateaux et le troisième prend la fuite. D’Iberville se présente alors devant le fort York qui avait été remis aux Anglais l’année précédente par le roi de France, et où le gouverneur Henry Baley commande. Baley ne capitule pas tout de suite. Lors d’un combat, Louis Le Moyne de Chateauguay, frère de Pierre Le Moyne, est tué. Quatre jours après l’arrivée de d’Iberville, le gouverneur anglais fait preuve d’une grande connaissance de la psychologie militaire. Il s’adresse à ses hommes, en leur promettant que, s’ils combattent bien, il donnera 40 livres « à leurs veuves ». Cela ne fit pas, du tout, exploser d’enthousiasme ses « soldats » et, le lendemain de cet « encouragement » martial, Baley envoie Henry Kelsey pour négocier la capitulation. L’héroïque résistance dura cinq jours.
Les exploits de d’Iberville impressionnent, encore une fois, la royauté française qui le charge d’une expédition au golfe du Mexique, à l’embouchure du Mississippi, avec la mission d’ y établir le fort que Cavelier de La Salle (le Chinois) avait raté.
Avec son frère Joseph Le Moyne de Sérigny, il suit la côte nord du golfe jusqu’au Mississippi. En 1699, ils construisent un fort dans la baie de Biloxi qu’ils appellent le fort Maurepas.
D’Iberville revient en France où il reçoit la croix de St-Louis. Premier « Canayens » à recevoir cet honneur. Il y en aura plusieurs autres qui la mériteront avant la conquête.
Il revient en Louisiane en 1701, fait construire le fort Mississippi et établit des alliances avec les Amérindiens, à la manière des « coureurs de bois », c’est à dire: dans le respect mutuel. Il envoie plusieurs missionnaires et « coureurs de bois » vivre avec ses nouveaux alliés.
1702 : des attaques répétées de malaria le ralentissent quelque peu et il en profite pour écrire ses mémoires dans lesquelles il plaide pour l’établissement d’une colonie importante en Louisiane; ce qui empêcherait les Anglais de traverser les Appalaches vers l’Ouest.
1706 : D’Iberville quitte la France à la tête de 12 vaisseaux vers les établissements anglais des Antilles. Il ravage St-Christopher sans merci. Il fait, ensuite, capituler, en deux jours, Nevis et Charlestown à l’île de la Guadeloupe, où toute la population est faite prisonnière et où il capture 24 vaisseaux anglais dans le port. Tous les biens sont saisis.
Pour des raisons personnelles, il se rend à la Havane, où il meurt subitement dans des circonstances mystérieuses. Il est enterré dans l’Église de San Cristobal. Sur le certificat de décès on découvre l’indication de 4 sépultures, dont celle de Pedro Alvarez de Villarin avec qui d’Iberville venait de souper. Pedro Alvarez avait été empoisonné et meurt sous les soins de ses médecins. D’Iberville meurt à son retour sur son navire, après le même souper.
Comme tous les autres « Canayens », il n’échappe pas à la reconnaissance de la France. Après sa mort, il est accusé de plusieurs fraudes et ses propriétés sont sujettes à de nombreuses enquêtes qui s’échelonnent sur 30 ans. Sa veuve, Marie-Thérèse Pollet, est forcée de payer une large part de son héritage suite à plusieurs poursuites. À la mort de Marie-Thérèse toute la fortune de d’Iberville a été consacrée soit au règlement de sa succession, soit à assurer le train de vie qu’imposait le rang de son second époux, mort « dans la démence » 4 ans auparavant, le comte Louis de Béthune, capitaine de vaisseau et chevalier de St-Louis.
Depuis lors, un grand nombre de « chercheurs » fouillent dans les moindres recoins des archives pour trouver des informations susceptibles d’être interprétées pour dévaloriser ce héros « Canayens ». Ils ont beaucoup de difficultés; mais y parviendront sûrement avec certains « accommodements raisonnables ».
Ceux qui voudraient lire le journal de d’Iberville décrivant sa mission au Mississippi, peuvent le faire ici:
http://books.google.ca/books?id=w3HAgvcNUbUC&printsec=frontcover&hl=fr#v=onepage&q&f=false
Mais la partie de la page 38 à 194 n’est pas consultable et pourtant, ce sont les écrits de d’Iberville lui-même.
Vous pouvez également consulter:
où on semble « choisir » les évènements selon ce qui est acceptable.
Pierre Le Moyne d’Iberville est le seul grand héros « canayen » dont on n’a pas pu caché l’héroïsme en l’attribuant à un « personnage » de France, et, le seul qu’il fut impossible de « peindre » comme étant un Français. Il est indiscutable qu’il était un « Canayen » coureur de bois qui ne refusait pas de « courir la mer » lorsque nécessaire.
André Lefebvre