Archives quotidiennes : 3 mai 2012

Les singes et nous (2)

Ce texte se nourrit de divers articles sur le sujet, principalement du livre du primatologue Frans de Waal intitulé «Le singe en nous».

 Nous avons vu la semaine dernière que les grands singes sont nos cousins puisque nous avons en commun le même ancêtre, Pan.

Les scientifiques dans leurs observations ont à cœur de cibler leurs recherches sur le singe qui s’est le moins modifié au fil du temps. Selon Takayoshi, éminent spécialiste des bonobos sauvages, ceux-ci n’ayant jamais quitté la jungle humide, auraient sans doute été exposés à moins de pressions, sources de changements et pourraient de ce fait ressembler davantage au singe de la forêt dont nous descendons tous.

Disons tout de suite que nous partageons 98,4 % de notre ADN avec les chimpanzés et les bonobos.

Qu’ont le chimpanzé, le bonobo et l’homo en commun?

  • le pouvoir et la politique
  • le sexe
  • la violence
  • la conquête du territoire
  • la vie de clan et son habitat
  • la hiérarchie
  • l’empathie et la cruauté
  • la solidarité
  • des comportements socialement appris

Une image valant mille mots, voici comment Frans de Waal résume la prise de pouvoir et le sexe chez le chimpanzé et le bonobo.

On peut dire que les batailles entre les grands singes tournent en dernier ressort autour des femelles. La différence fondamentale entre les chimpanzés et les bonobos?

LES CHIMPANZÉS RÉSOLVENT LES QUESTIONS DE SEXE PAR LE POUVOIR, ALORS QUE LES BONOBOS RÈGLENT LES QUESTIONS DE POUVOIR PAR LE SEXE.

 Les tactiques politiques, pouvoir et violence, chez les chimpanzés et les hommes

Il y a une similitude gênante entre les coutumes des grands singes de se balancer de branche en branche … créant ainsi une obsession pour la vie en petit groupe, ET notre façon d’être subjugués par nos hommes politiques qui se martèlent la poitrine devant les caméras, des vedettes de feuilletons qui sautent d’un rendez-vous à l’autre, ainsi que de la fascination et de l’adulation que nous avons pour  les plus forts de notre société, et toutes les catégories de stars qui déambulent sur les tapis rouges ….

Chez les chimpanzés, les alliances deux contre un engendrent les dangers de luttes de pouvoir. Les coalitions sont essentielles, car aucun mâle ne peut régner seul longtemps, car le groupe pris dans son ensemble, peut abattre n’importe qui. Ils s’associent avec tant d’habileté qu’un chef a besoin d’alliés pour renforcer sa position. Se maintenir au sommet oblige à un travail d’équilibriste entre la nécessité d’affirmer sa domination, satisfaire ses partisans et éviter les révoltes massives.

LA POLITIQUE DES HOMMES FONCTIONNE EXACTEMENT SUR LE MÊME MODÈLE. L’assassinat politique n’est plus une exception dans notre propre espèce : John Kennedy, Martin Luther King, Salvadore Allende, Rabin, Gandhi …

Même aux Pays-Bas – nation plutôt sereine politiquement – il y eut il y a quelques années l’assassinat de Pim Fortuya, candidat aux élections. En des temps plus lointains, raconte M. Wall, un hollandais, la société fut témoin d’un assassinat politique horrible entre tous. Ameutée par les adversaires de Johan de Witt, la populace s’empara de l’homme d’État et de Cornelius, son frère. Elle les acheva tous les deux à coups d’épée et de mousquet, pendit leurs cadavres par les pieds et les éventra comme des porcs à l’abattoir. La foule excitée préleva les cœurs et les entrailles, les grilla sur le feu et prit le temps de les déguster. C’était en 1672.

Pour conserver le pouvoir, les chimpanzés n’hésitent pas à éliminer eux qui menacent leur autorité.  Les vaincus se soumettent, baissent la tête devant eux, s’accroupissent à leurs pieds. L’éternelle saga de la société des chimpanzés est au cœur de la politique de pouvoir des mâles.

L’abus de pouvoir chez l’homme, l’utilisation du sexe à des fins perverses, le vol d’organes humains, la torture, l’exploitation sauvage de l’humain par les dirigeants de ce monde … l’acquisition de grandes fortunes à côté de gens qui mangent à peine pour survivre, tous ces faits ne sont pas créés par le destin ou de quelconques hasards. Ils sont créés par l’homme, ce bipède primate qui prend du temps à évoluer en conscience.

 Notre nature humaine est la turbulente alliance du chimpanzé et du bonobo, et met douloureusement en évidence notre face cachée : quelques 160 millions d’individus au cours du seul 20e siècle ont perdu la vie du fait de guerres, de génocides, et de répression politique – le tout dû à notre propension à la férocité et au pouvoir. Et en ce début du 21e siècle, cette première décennie écoulée n’est guère plus pacifique. Guerres, tortures, abus de pouvoir, corruption … des faits de tous les jours souvent banalisés.

Les traits communs que nous partageons avec les grands singes sont le POUVOIR ET LE SEXE d’un côté, et L’EMPATHIE ET LA SYMPATHIE de l’autre côté.  L’envers d’une même médaille avec deux faces différentes.

L’homo sapiens, un sauvage conquérant

Plusieurs chercheurs croient que l’humanité est parvenue là où elle se trouve aujourd’hui par voie de génocide. En migrant d’Afrique, il y a de cela fort longtemps, des bandes d’homo sapiens s’ouvrirent un chemin en Eurasie en assassinant tus les grands singes bipèdes qu’ils rencontraient sur leur passage, parmi lesquels l’espèce la plus proche de la leur, l’homme de Néendental.

Plusieurs siècles plus tard, au XXe siècle, La Seconde Guerre mondiale révèle ce qu’il y  a de pire dans le comportement humain, avec ses chambres à gaz, ses exécutions de masses et destructions délibérées. Quand l’Occident dressa l’état de la situation, il fut impossible d’ignorer  les actes de sauvagerie commis au cœur de l’Europe par des individus qu’on croyait civilisés. Les comparaisons avec les animaux étaient omniprésentes. On disait que les animaux n’ont ni inhibition ni culture. On parlait chez l’homme d’une composante animale, ou un trait dans sa constitution génétique qui brisa le mythe du vernis de la dignité de l’homme.

Une théorie développée énonçant la question d’une agressivité irrépressible qui cherche une exutoire dans la guerre, la violence ou le sport. Une autre théorie mettait l’accent sur l’agressivité qui ferait l’originalité de l’être humain, car on croyait à ce moment que les humains étaient les seuls primates à tuer des membres de leur propre espèce.

À l’âge de l’après-guerre, l’agressivité humaine se plaçait en première ligne et au centre de tous les débats sur la violence et la destruction.

L’homme est capable de sauvagerie gratuite, certes. Peut-être est-ce dû à notre aptitude à imaginer ce que ressent l’autre? Mais associée à une attitude positive, cette même aptitude nous incite à envoyer de la nourriture aux populations qui meurent de faim, à nous porter avec courage au secours de parfaits inconnus (les incendies, les tremblements de terre, et bien d’autres).

Les hommes sont-ils les seuls primates à tuer leurs semblables?

Tuer un membre de sa propre espèce se retrouve chez un bon nombre d’animaux, non seulement sur les chimpanzés, mais sur les hyènes, les lions, et bien d’autres.  Chez les petits animaux également, telles les fourmis, un groupe d’insectes qui effectue des raids et tue à une échelle massive. Le sociobiologiste Ed Wilson déclare : «À côté des fourmis pour qui assassinats, escarmouches et batailles rangées appartiennent à la routine, les hommes sont des pacifistes sous tranquilisants.»

 Les chimpanzés ne sont pas toujours violents, ils peuvent aussi avoir de la compassion, bien qu’il soit difficile de le concevoir. Nous verrons ce point dans un prochain article.

Dans les années 19760, en Tanzanie, entre autres, des spécialistes des chimpanzés – dont Jane Goodall continuaient à faire des chimpanzés de «bons sauvages à la Rousseau»; des solitaires vivant en autarcie et n’ayant aucun besoin de rapports sociaux. Cette vision fut rectifiée en 1970 – comme on ajuste un poste de radio sur la bonne onde – par des scientifiques japonais qui travaillaient au sud de Gombe dans les montagnes de Mahale.  Ils découvrirent que les chimpanzés appartenaient tous à une communauté unique, distincte des autres. Puis, la réputation pacifique des chimpanzés vivant en liberté vola en éclats. Pacifique le chimpanzé?

Pas vraiment pacifique les chimpanzés! Ils pourchassent les petits singes, leur fracassent le crâne et les mangent vivants. En fait, ils sont carnivores. En 1979, la National Geographic rapportait que ces grands singes s’entre-tuaient aussi, consommaient parfoisleur victime. Ce qui faisait d’eux des assassins et des cannibales. Ils chassent pour tuer et vivent dans des communautés qui se font la guerre. Le monde découvrait alors avec consternation la vérité : que la brutalité faisait partie de la constitution naturelle du singe.

Rien n’oblige les chimpanzés à être violents. Tuer un membre de sa propre espèce est une réalité peu fréquente mais largement répandue.

 L’assassinat des nouveaux-nés – une façon de garder le pouvoir?

Dans la nature, les chimpanzés, qui ont un sale caractère, tuent parfois des nouveaux-nés de leur propre espèce. Certains biologistes attribuent ce fait à la compétition entre les mâles pour féconder leurs femelles. Elle expliquerait leurs perpétuelles manœuvres pour occuper le pouvoir ainsi que l’infanticide de petits qui ne sont pas d’eux.

Les chimpanzés vivent avec la menace de la violence en permanence au-dessus de leur tête, et l’infanticide représente la principale cause de mortalité dans les zoos comme dans la nature.

Sexe et contrôle des femelles par la solidarité chez les bonobos

Mâles ou femelles, les bonobos ignorent toute ligne de partage entre la sexualité et l’affection.

Si dans notre société, les jeunes et belles femmes ont du pouvoir sur les hommes et font ombrage au plus mûres, il n’en va pas de même dans le clan des bonobos.  Les vieilles matriarches bonobos gouvernent fermement les clans. Surprenant, n’est-ce pas? D’autant plus que le poids moyen de la femelle bonobo représente 85 % de celui du mâle. Et que le mâle est pourvu de canines acérées féroces dont la femelle est totalement dépourvue!

D’autre part, dans un groupe de mâles installé dans un zoo, s’il n’y a qu’une seule femelle, elle vivra sous la domination du mâle en pouvoir. Toutefois, cette autorité sera renversée dès l’arrivée d’une deuxième femelle. Alors, comment cette solidarité est-elle exercée par elles? Simplement par un contact sexuel, généralement un frottement génito-génital (ou GG) ainsi qualifié par les observateurs, ou parfois par un acte plus pittoresque, nommé le «hoka-hoka». Une des femelles enveloppe l’autre des ses bras et de ses jambes, s’agrippe à elle comme un bébé au ventre de sa mère; ainsi, face à face, elles mettent en contact leurs vulves et leurs clitoris leur imprimant un frottement latéral. Par la suite, les femelles répètent leur contact sexuel, si bien qu’à l’heure des repas, elles affirment ENSEMBLE leurs droits sur la nourriture. Cela se passe au zoo? En liberté aussi, les femelles gardent la main haute sur les rations. Nous semblons loin, ici, de l’image de nos lointains aïeux en hommes des cavernes traînant les femmes par les cheveux.

Chez les bonobos, les relations sexuelles, feintes ou réelles, sont plus souvent utilisées comme mode de résolution de conflits, à côté des mécanismes de domination. Les études suggèrent que les ¾ des rapports sexuels entre bonobos n’ont pas des fins reproductives, mais sociales, et que presque tous les bonobos sont bisexuels. Ces actes sexuels sont utilisés dans le but de plaire à un autre membre ou pour réduire les tensions sociales – par exemple, un individu subordonné peut utiliser des actes sexuels pour calmer un autre individu plus fort ou plus agressif. Mais si la fréquence des rapports est exceptionnelle dans le règne animal, et supérieure à celle de tous les primates, les accouplements sont rapides et furtifs, sans aucun geste préparatoire, et ne durent en moyenne qu’une quinzaine de secondes. Leur seul tabou sexuel serait l’inceste. Les relations sexuelles incluent aussi les juvéniles.

Les pratiques sexuelles sont variées : sexualité orale, baiser avec la langue, rapports homosexuels. Frans de Waal préfère parler de «pansexualité» et non homosexualité, insistant sur le fait que la sexualité du bonobo est ouverte à toutes les relations, et n’est pas orientée vers un seul sexe, un seul genre.

Une étrange particularité dans leur organisation sociale est la paix du groupe maintenue par l’existence d’un bouc émissaire. Un groupe de chercheurs ayant retiré du groupe un bonobo blessé et frappé par les autres membres,  ont remarqué une accentuation de la violence et une baisse de la sexualité – lorsque ce dernier fut ré-intégré au groupe, la paix du groupe fut retrouvée.

Takayoshi Kano, de l’Institut de primatologie de Kyoto, oppose sans cesse dans son livre «Le Dernier Grand Singe» le chimpanzé brutal et jaloux au bonobo pacifique et libertin. Waal parle d’une espèce qui «fait l’amour, pas la guerre».

Que se passe-t-il pendant ce temps chez les chimpanzés?

Comment la solidarité se manifeste-t-elle chez les chimpanzés? Difficile de parler de solidarité, parlons plutôt de force brutale et de domination mâle.

Chez le chimpanzé, le pouvoir est entre les mains du mâle alpha, qui ne se gêne pas de donner des coups au-dessous de la ceinture infligeant des blessures à ses victimes à des endroits inhabituels comme le ventre ou le scrotum.

Le chimpanzé a été bien doté par la nature. Il aime s’exhiber. Il a facilement des érections. Il suffira par exemple qu’un gardien au zoo le caresse sur le ventre pour qu’une impressionnante érection surgisse tout de suite. Étant donné que la hiérarchie est très forte chez les chimpanzés, il peut arriver que des singes de rang moins élevé aillent se cacher dans des buissons pour ne pas exciter la jalousie des autres.

La brutalité est souvent au cœur du sexe.

SUITE LA SEMAINE PROCHAINE sur les habitudes de vie sexuelle du chimpanzé, et celles de l’homme.

La vie en clan, l’empathie et la cruauté seront aussi traités.

Carolle Anne Dessureault

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