Archives quotidiennes : 10 mai 2012

Les singes : un miroir? (3)


Ce texte se nourrit de divers articles sur le sujet, principalement du livre du primatologue Frans de Waal intitulé «Le singe en nous».

 Nous savons que les grands singes sont nos cousins puisque nous avons en commun le même ancêtre, Pan.

Nous avons vu la semaine dernière que les tactiques politiques chères à l’humanité se retrouvent aussi chez les chimpanzés. Alliances deux contre un, coalitions, acrobaties obligées pour se maintenir au pouvoir. Domination, pouvoir, violence et conquête de territoire.

Les hommes et les grands singes n’hésitent pas à tuer leurs semblables. Les chimpanzés se montrent plus violents que les bonobos et n’hésitent pas à tuer les nouveaux-nés, mêmes de leur propre espèce pour conserver leur pouvoir. À côté de ces derniers, les bonobos font preuve de plus d’empathie.

Les bonobos règlent les questions de pouvoir par le sexe. Ils se montrent aussi plus empathiques que les chimpanzés.

Les manières des singes en société : notre miroir

Pourquoi rions-nous ou sommes-nous mal à l’aise devant les primates au zoo? N’est-ce pas un miroir de nous-mêmes qui nous dérange? Sinon, pourquoi des animaux aussi bizarres que les girafes, les ours polaires ou les kangourous ne déclenchent-ils pas la même gêne ou hilarité? Hum…. Sans doute parce que les primates éveillent en nous une certaine nervosité  parce qu’il nous renvoient une image cruelle et sans fard de nous-mêmes.

En société, l’être humain a son code de bonnes manières. Se saluer, échanger une poignée de main, s’embrasser, se sourire, se taper sur l’épaule, prendre congé de nos hôtes, se dire au revoir, etc. Notons que pour saluer quelqu’un, il suffit de manifester du plaisir à la vue d’un visage connu.

Voyons maintenant chez les singes. Beaucoup d’animaux sociaux réagissent ainsi, en manifestant du plaisir à la vue d’une face connue. Les singes, agissent aussi ainsi, en plus de se donner forcer baisers et accolades, et même dire au revoir, non verbalement, mais en saluant le mâle ou la femelle la plus respectée d’un groupe avant de s’éloigner.

Les expressions de notre visage sont typiquement celles des primates : par exemple nous rétractons nos lèvres pour découvrir nos dents et nos gencives lorsque nous avons besoin clarifier notre position sociale. Le sourire humain découle d’un signal d’apaisement, ce qui explique que les femmes sourient en général davantage que les hommes. Notre comportement, même le plus amical, laisse entendre par une infinité de détails que l’agressivité reste toujours possible. Nous apportons des fleurs ou une bouteille de vin  quand nous envahissons le territoire d’autres personnes et nous nous saluons en agitant une main ouverte, geste qui aurait eu pour fonction, à l’origine, de montrer l’absence d’armes. Nous formalisons tant notre organisation hiérarchique  – par la posture du corps et le ton de la voix – qu’il suffit de quelques minutes à un observateur confirmé pour dire qui est en haut de la hiérarchie et qui est en bas. Nous parlons de «lèche-cul»; de «ramper» devant quelqu’un, de se «frapper la poitrine», autant de façons de faire humaines que nous connaissons instinctivement.

Les humains sont aussi fort irrévérencieux. Saint Bonaventure disait : «Plus un singe monte haut, plus on voit son derrière.»

Le pouvoir et le sexe chez le chimpanzé

LE POUVOIR

Chez les chimpanzés, le pouvoir est entre les mains du mâle alpha.

Le chimpanzé qui désire régner en maître devra se battre solidement. Donner des coups bas. Intriguer sournoisement pour augmenter son influence, exploiter les rivalités. Les tensions quotidiennes dans la colonie sont fréquentes. Après une lutte féroce, le nouveau mâle alpha se prendra parfois un bras droit jusqu’à pouvoir dominer seul. Le mâle alpha parvenu à ce terme s’abroge de grands privilèges : domination sur les autres mâles, possession des femelles les plus séduisantes, droit de regard sur la nourriture, autorité absolue sur tout. La hiérarchie est très forte chez les chimpanzés.

Le chimpanzé alpha qui parvient habilement à maintenir son pouvoir est celui qui est apprécié des femelles, celui qui accorde une certaine protection aux faibles (tout en les maintenant hiérarchiquement dans leur faiblesse), celui qui brise avec efficacité les alliances entre rivaux en divisant pour mieux régner, et ce, en vertu d’une tactique commune aux chimpanzés et aux hommes. En apercevant d’autres mâles ensemble, l’alpha a deux choix : se joindre à eux ou charger ostensiblement pour les disperser.

Parfois, un chef est mis en charpie par des rivaux qui s’allient pour l’éliminer. Frans de Waal raconte un incident qui se produisit au zoo d’Arnhem où son chimpanzé préféré – alors mâle alpha – avait été massacré par deux congénères, d’anciens rivaux. Quand Frans de Waal fut appelé d’urgence au zoo, il trouva le chimpanzé alpha assis dans une mare de sang, portant sur tout son corps des traces de morsures acérées (les singes possèdent de puissantes canines), et il lui manquait des doigts et des orteils. Le vétérinaire du zoo vint l’anesthésier sur place et l’animal fut transporté en salle d’opération où il fallut des centaines de points de suture pour le recoudre. Durant l’intervention, ils s’aperçurent que le primate n’avait plus de testicules. Le primate mourut. Malheureusement pour lui, aucune femelle ne s’était trouvée dans la cage cette nuit là pour faire cesser le combat – car il n’est pas rare que les femelles interrompent collectivement les altercations qui dégénèrent entre mâles.

Chez le chimpanzé mâle, le pouvoir est le moteur par excellence : une obsession constante, source d’immenses avantages pour qui l’acquiert, et d’intense amertume pour qui le perd.

Le sort réservé parfois aux singes occupant le sommet de la hiérarchie est une dimension simplement inévitable de la quête de pouvoir. Outre le risque d’être blessé ou tué, jouir d’une position de pouvoir s’avère stressant. On peut le démontrer en mesurant le cortisol, une hormone du stress présente dans le sang.

Comme le stress compromet le système immunitaire, il n’est pas rare d’observer chez ces primates  des ulcères et des crises cardiaques, également courants chez les P-DG de sociétés.

Mais, le rang doit nécessairement offrir d’énormes avantages – autant chez les chimpanzés que chez les êtres humains – sinon l’évolution n’aurait jamais mis en place des ambitions si aventureuses.

Un statut élevé se traduit en général par de la nourriture pour les femelles et, par des compagnes sexuelles pour les mâles.

Mais, il arrive aussi que les mâles rivalisent pour la nourriture et les femelles pour des partenaires sexuels, encore que cette seconde possibilité concerne essentiellement une espèce, COMME LA NÔTRE, où les mâles aident à élever les petits.

Tout dans l’évolution se ramène au bout du compte au succès reproducteur : les orientations différentes des mâles et des femelles s’inscrivent dans une logique parfaite.

Un mâle augmentera sa progéniture en s’accouplant avec de nombreuses femelles tout en tenant les concurrents à distance. Pour la femelle, une telle stratégie est absurde : s’apparier avec des mâles multiples ne lui apporte en général aucun bénéfice.

La femme recherche non pas la QUANTITÉ mais la QUALITÉ.

Chez les animaux, la plupart des femelles ne vivent pas avec leur compagnon, et n’ont donc besoin que de choisir le partenaire sexuel le plus sain et le plus vigoureux. Ainsi, elles assurent de bons gènes à leurs rejetons. Mais les femelles d’une espèce où les partenaires sexuels restent à proximité se trouvent dans une situation différente, qui vont alors préférer des mâles protecteurs, et plus doux.

Les femelles dominantes ont droit à la meilleure nourriture. Elles élèvent donc les petits les plus robustes.

Un aparté au sujet des singes macaques rhésus, où la hiérarchie est si stricte, qu’une femelle dominante n’hésitera pas à attaquer une femelle subordonnée si celle-ci a les bajoues gonflées – ces bajoues gonflées servant à transporter la nourriture en lieu sûr. Le singe dominant maintiendra la tête du singe de rang inférieur et lui ouvrira la bouche, lui faisant les poches en quelque sorte.

Les animaux ne pensent pas en termes de procréation, mais appliquent des stratégies qui contribueront à la  dissémination de leurs gènes.

Le chimpanzé adore exhiber ses parties génitales. Ses testicules affichent une taille impressionnante. Les femelles sont dotées de tumescences spectaculaires quelles exposent aisément aux singes mâles et femelles, et aux gardiens de zoo. Les grands singes ont des pénis d’une longueur et d’une largeur qui doivent sans doute habiter l’inconscient de l’homme.

Le pouvoir et le sexe chez l’homme

Le texte sur le pouvoir chez l’homme sera assez court, finalement.

Car il ressemble assez à celui du chimpanzé.

Toutefois, une question s’impose : sommes-nous prêts pour un monde gouverné par des valeurs différentes, orientées vers le bien du tout?

Ça vous rappelle quelque chose lorsque Madame Thatcher – la dame de fer anglaise – proclamait hautement l’individualisme. «Il n’y a pas de société, affirmait-elle, il y a des individus, des hommes et des femmes, et il y a des familles.»

Qu’arriva-t-il vingt ans plus tard? Quand les scandales financiers monstres ont crevé la bulle boursière, l’individualisme pour et dur a perdu de son attrait. Après le scandale Enron, le public a commencé à prendre conscience que le capitalisme forcené tirait rarement des gens ce qu’ils ont de meilleur. Le président de la Réserve Fédérale, Alan Greenspan, prophète du capitalisme, laissait entendre qu’il serait bon d’appuyer sur la pédale de frein : «Ce n’est pas que les humains soient devenus plus rapaces que dans les générations passées, mais les routes par lesquelles s’exprime la rapacité se sont immensément élargies.»

Des biologistes de l’évolution soulignent que l’heure est venue pour le monde des affaires d’être gouverné non seulement par des règles, mais par des valeurs. La poursuite rationnelle de l’intérêt personnel constitue parfois une stratégie inférieure. Sommes-nous prêts à détourner notre regard du domaine industriel pour nous tourner vers le domaine social? Sommes-nous prêts à nous soucier les uns des autres et à en tirer notre raison d’être?

LE SEXE

Pour le sexe humain, la sagesse populaire veut que les hommes aient appris dès leur plus jeune âge à cacher leur état affectif, mais ces habitudes semblent découler davantage du fait d’être frappés par d’autres à la moindre occasion de faiblesse. Nos lointains ancêtres remarquaient sûrement le moindre relâchement ou la moindre perte de tonus chez les autres. Un mâle de haut rang avait tout intérêt à camoufler ses insuffisances, une tendance qui sera devenue innée.

Le mâle humain a hérité de la même tendance que le singe, à savoir, appliquer des stratégies qui contribueront à la dissémination de leurs gènes. Les rappels de ce lien entre le pouvoir et la sexualité abondent. La plupart des gens considèrent avec réalisme le sex-appeal des dirigeants et ferment les yeux sur leurs liaisons … toutefois, ce lien est porté quelquefois sur la place publique avec bruit et hypocrisie, tel le scandale Monica Lewinsky. Disons malheureusement que cette tolérance ne s’applique qu’aux dirigeants de sexe masculin. En général, les hommes n’apprécient pas beaucoup les partenaires puissantes (plus puissantes qu’eux), ce qui fait dire à Frans de Wall qu’une position élevée ne profite pas aux femmes. D’ailleurs, une éminente femme politique française lui aurait un jour confié qu’elle comparait le pouvoir aux pâtisseries : elle en raffolait mais elle savait que ce n’était pas bon  pour elle.

Les hommes, tout comme les singes, accordent beaucoup d’importance à leur sexe. Certains hommes sont mieux équipés que d’autres, c’est certain. Les hommes donnent parfois l’impression de s’identifier à leur pénis. Ils font beaucoup de blagues sur sa grosseur et sa force. C’est pour rire, se défendent-ils. C’est aussi pour rire qu’ils disent parfois qu’ils ont deux cerveaux, le petit et le grand. Le petit en indiquant la tête du menton, et le grand, en pointant vers leur pénis. Ils répètent que c’est une blague. Ce qui ne les empêche pas de se tortiller sur leur chaise. Là-dessus, ils restent d’éternels adolescents.

Personnellement, je suis agacée par la façon dont des jeunes et moins jeunes s’assoient. Dans le métro ou dans un salon, ou dans une salle de conférence, ou même en entrevue à la télévision. Les cuisses largement écartées, ils occupent le plus d’espace possible sur leur siège, histoire de protéger leur pénis, sans doute. J’ai remarqué que les personnes plus raffinées, ou plus intellectuelles ou occupant de hautes fonctions ne s’assoient pas de cette façon, ils vont plutôt croiser les jambes. Cette position renvoie d’eux une meilleure image.

Les femmes sont souvent en mode de plaire au mâle. C’est instinctif. Je me souviens d’une journée passée au parc avec ma petite-fille qui venait d’avoir six ans. Elle jouait dans le carré de sable avec un garçon plus jeune d’environ quatre ans. Elle était gentille avec lui, mais en bonne camarade. Arriva alors un garçon d’environ huit ou neuf ans, assez bâti, et je ne cesserai de m’étonner de ce que je vis alors, ma petite-fille a rougi en voyant ce garçon plus vieux qui venait se joindre au jeu (le grand frère du petit garçon sans doute). Sa voix prit une intonation différente. Elle était subjuguée! Cette scène m’a beaucoup attendrie. Chez les enfants, il y a des jeux de rôles qui se font et qui seront reproduits plus tard. Tout se passe comme s’ils connaissaient déjà la dimension sensuelle.

Notre société parle beaucoup d’amour et de désir. On confond souvent l’amour avec le désir. Le désir crée souvent l’illusion de l’amour. Ce qui n’a rien à voir. Nous le savons tous.

En comparaison avec les grands singes, la fréquence des rapports sexuels chez les êtres humains est plutôt faible. Nous divergeons des grands singes par une autre caractéristique : notre sexualité est beaucoup plus restreinte.

Les grands singes ont des pratiques sexuelles variées, tel que mentionné dans l’article précédent. Sexualité orale, baiser avec la langue, frictions génito-génitales, la position du missionnaire, et toutes sortes de postures. Enfin, à peu près ce que nous, les humains, pratiquons aussi.

Dans les prochaines semaines, des thèmes tels

  • l’empathie, la sympathie, la cruauté, la gratitude
  • la sélection naturelle, l’hypothèse «l’erreur de Beethoven» (processus et produit)
  • moralité ou centres émotionnels profondément enfouis dans le cerveau?
  • l’intérêt d’étudier les singes et les méthodes utilisées
  • la vie de clan et l’habitat
  • les prophètes, les visionnaires, les saints et les poètes
  • le cerveau et l’intelligence du cœur
  • la conscience et l’évolution
  • le génie humain, quel est-il?
  • Et d’autres

Carolle Anne Dessureault

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