Ce texte se nourrit du livre du primatologue Frans de Waal intitulé «Le singe en nous».
Les méthodes utilisées pour l’étude des singes
Pour évaluer l’intelligence des singes, il ne suffit pas de les observer superficiellement, car une grande part de leur intelligence échappe au regard. L’étude des singes en captivité revêt une grande importance. L’étude des facultés cognitives du singe exige un contact direct, tout comme un être humain ne se limitera pas simplement à regarder courir un enfant aux quatre coins de la cour d’école pour mesurer son intelligence.
Les primatologues vont présenter aux singes des problèmes pour voir comment ils les résolvent. L’observation des singes en captivité dans un environnement d’espaces ouverts permet de suivre leur comportement de beaucoup plus près que sur le terrain dans la nature, où ils ont tendance à s’éclipser dans les fourrés aux moments critiques.
L’observation se fait à partir d’un observatoire à très grandes fenêtres – et à l’aide de jumelles – qui permet de les voir en tout temps. Les singes ne peuvent rien faire en cachette. Cette observation continue permet de découvrir les politiques de pouvoir, les réconciliations après les bagarres, l’utilisation d’outils. Les activités sociales des primates sont consignées à l’ordinateur, l’entrée des données est faite en continu. Lorsqu’une situation se complique (bagarre ou autre), le spécialiste filme la scène, ou la commente en direct au magnétophone. Les données observées et entrées à l’ordinateur sont ensuite triées par un programme spécial.
Pour motiver les singes à participer aux tests préparés par les experts scientifiques, on leur présente des joysticks, des sucreries, des gorgées de jus de fruits comme récompenses lorsqu’ils obtiennent une bonne réponse.
Des tests sur la reconnaissance des visages ont été pratiqués. Par exemple, dans une expérience, une primatologue, Lisa Parr, présentait aux chimpanzés de Yerkes des centaines de photos prises au préalable au Zoo d’Arnhem de Hollande, les deux zoos étant séparés par un océan, ce qui assurait que les chimpanzés de Yerkes ne les avaient jamais vues auparavant. Un visage apparaissait sur l’écran de l’ordinateur, puis deux autres, dont l’un correspondait au premier. Chaque fois que le chimpanzé déplaçait le curseur sur la bonne image, il avait droit à une gorgée de jus de fruits ou autre friandise. Des expériences antérieures avaient utilisé des visages humains, car on croyait qu’il était plus facile pour eux de les distinguer des visages des chimpanzés, ce qui s’est avéra faux au cours des expériences. Lisa Parr démontra que les chimpanzés ne voyaient pas seulement les similitudes entre différentes images du même visage, mais aussi entre des images de la mère et de son petit – tout comme nous feuilletons un album de photos de famille et faisons facilement la différence entre notre famille et notre belle-famille. Les chimpanzés reconnaissaient les signes de parenté, ils semblaient tout aussi sensibles aux visages de leur espèce que nous le sommes à ceux de la nôtre.
Notons aussi que les singes connaissent non seulement leurs noms, mais ceux de leurs semblables qu’ils côtoient. Ainsi, un gardien ou un expert peut demander à A d’aller chercher B ou C, ce qui rend le jeu encore plus intéressant et dynamique entre eux.
Désigner intentionnellement des choses aux autres fut une expérience enrichissante. De la nourriture fut cachée par un gardien du zoo tôt en soirée dans un buisson proche de la cage d’un singe qui observait la scène derrière les barreaux. Le lendemain matin, le gardien du jour qui n’était pas au courant de l’emplacement où était cachée la nourriture recevait l’information du singe qui par gestes, halètements, et mouvements répétitifs de la tête en direction de l’endroit de la cachette, furent clairement compris par le gardien. Cette expérience fut pratiquée, il va sans dire, avec plusieurs singes. Chaque fois qu’une faculté remarquable est démontrée en laboratoire, les experts s’interrogent sur les bénéfices que les chimpanzés ou les bonobos en retirent. Ce qui amène au concept de l’évolution. Pourquoi cette faculté est-elle apparue?
Le plus important de ces recherches N’EST PAS ce que les grands singes révèlent de nos composantes instinctuelles. Ce que les experts comparent, c’est la façon dont les humains et les singes négocient les problèmes en combinant tendances naturelles, intelligence et expérience vécue. Il semble impossible, sinon ardu, de faire la part de l’inné et de l’acquis dans ce mélange.
La sélection naturelle
La sélection naturelle favorise les organismes qui survivent et se reproduisent. Tout organisme qui peut mieux réussir en devenant plus ou moins agressif par rapport aux autres; plus ou moins coopératif ou plus ou moins altruiste propagera ses gènes. Le processus ne précise pas davantage la voie du succès que l’intérieur d’un appartement montréalais ne nous dit quelles mélodies s’échapperont de sa fenêtre.
L’HYPOTHÈSE NOMMÉE «L’ERREUR DE BEETHOVEN»
«L’erreur de Beethoven» est une hypothèse selon laquelle processus et produit doivent se ressembler.
Quand on écoute la musique parfaitement architecturée de Beethoven, on ne peut deviner l’état dans lequel se trouvait son appartement si mal chauffé, un endroit désordonné et sale, nauséabond (dont ses invités se plaignaient), jonché de débris de nourriture, de pots de chambre non vidés et de linge sale, les pianos eux-mêmes recouverts de poussière et de papiers, bref une véritable porcherie, disait-on. CONCLUSION : le sublime peut naître dans des circonstances atroces. Le processus et le produit sont deux choses distinctes.
La confusion entre les deux (processus et produit) a conduit certains experts à croire que, puisqu’elle est un processus d’élimination cruel et sans pitié, la sélection naturelle doit produire des créatures cruelles et sans pitié. On raisonnait ainsi; un processus brutal engendre un comportement brutal. Mais la nature a créé à la fois des poissons qui foncent sur tout ce qui bouge (y compris leurs rejetons) et les globicéphales, des baleines si attachées les unes aux autres qu’elles s’échouent ensemble si l’un d’entre elles perd le sens de l’orientation.
La vie de clan et son habitat
LES BONOBOS
Les bonobos vivent en groupes qui peuvent compter jusqu’à une centaine d’individus dans les forêts équatoriales de la République démocratique du Congo. Il est essentiellement végétarien, se nourrit de fruits mûrs, de plantes, et tout comme le chimpanzé, consomme aussi de petits mammifères (écureuils).
Sa bipédie plus fréquente – le bonobo se tient deux fois plus souvent sur ses jambes que le chimpanzé – lui donnant une apparence plus proche de l’être humain. Chez la plupart des animaux, le déplacement d’un mâle dans un autre zoo à des fins de reproduction ne pose pas de problème, mais elle est catastrophique dans le cas des bonobos mâles.
Dans la nature, ce sont les femelles qui migrent abandonnant leur groupe d’origine à la puberté. Les mâles, eux, ne bougent pas, bénéficiant de la compagnie et de la protection de leurs mères. Chouchoutés par leurs mères, les mâles s’en sortent mieux dans le groupe où ils naissent.
LES CHIMPANZÉS
Les chimpanzés se regroupent en plusieurs dizaines d’individus, dirigés par un mâle dominant. La recherche de nourriture s’effectue en sous-groupes et occupe une bonne partie de la journée. Le chimpanzé habite en Afrique équatoriale dans les forêts pluvieuses. C’est maintenant un espace protégé.
Chaque clan occupe un territoire qu’il défend avec vigueur et à grands bruits. Le chimpanzé est reconnu pour sa grande intelligence et pour ses facultés d’apprentissage de langage et de comportements complexes qui ne sont pas sans rappeler ceux des humains. Il est particulièrement inventif dans la résolution des problèmes. Il sait choisir l’outil qui convient pour extraire des fourmis d’un trou ou pour briser l’écorce d’une noix ou d’un fruit.
Son espace est souvent dans les arbres, il a une grande facilité à grimper dans les arbres. Ce sont les mâles qui construisent le soir les nids en utilisant de feuilles et de branches. Ils vivent en bandes de deux à quatre-vingt. Quelquefois, la femelle change de bande tandis que le mâle reste toute sa vie dans le même. Il est grégaire. La famille s’accouple avec n’importe qui dans la bande.
L’empathie
L’empathie existe-t-elle chez les grands singes?
C’est ce que nous verrons la semaine prochaine.
Carolle Anne Dessureault