Archives quotidiennes : 28 mai 2012

Education: la reine des vaches sacrées (2/3)


 »

La volonté populaire est-elle bien que 15,5 milliards de dollars soient dépensés chaque année au Québec pour l’éducation ?… Probablement.  Mais La volonté populaire n’est-elle pas une peu… disons, désinformée ?

Au départ – lire, ecrire, compter, savoir résoudre un problème et autres compétences de base, c’est une même formation pour tous. Puisque tout le monde doit en profiter également, il est normal que tout le monde absorbe le coût de ce tronc commun de préliminaires. C’est ce qui se passe quand l’État offre gratuitement une formation générale. Souvenez-vous, cependant, que « gratuit » ne veut pas dire que cette formation de prérequis et des préliminaires ne coûte rien ; seulement que  vous et moi et  tout le monde la paye au prorata de sa contribution fiscale.

La sagesse conventionnelle, aujourd’hui, est qu’il est bon pour une société de donner autant de cette formation générale que ses moyens le lui permettent. Mais il y a éducation… et éducation. Il y a une éducation professionnelle qui sert à  produire des biens et des services.  Tout  le monde, dans une société, devrait collaborer à la production des biens et services: c’est ce qu’on appelle travailler. ..

Pour le faire efficacement, dans une société technique, il faut une formation dite PROFESSIONNELLE . On veut plus d’éducation professionnelle, c’est la clef de l’abondance.  On se dit que ça fera des travailleurs avec une base professionnelle polyvalente et que ça pourra toujours servir …. Alors on en ajoute

Mais il y a un piège.  Plus une société est complexe, plus il y a de connaissance professionnelles spécifiques à acquérir qui doivent être complémentaires. Si on met ces connaissances spécifiques au tronc commun, celui-ci s’allonge – ce qui coûte plus cher – et s’alourdit, ce qui entraîne plus d’échecs et d’abandons. IL EST NEFASTE D’AJOUTER AU TRONC COMMUN DES CONNAISSANCES QUI NE SERONT PAS UTILES A UNE TRES VASTE MAJORITÉ DES APPRENANTS.

Il saute aux yeux qu’il faut plus de formation pour satisfaire les besoins d’une société en évolution technique accélérée, mais ce n’est pas au tronc commun professionnel qu’il faut en ajouter ; c’est aux paliers des diverses options, qui doivent être  de plus en plus finement ramifiées si on veut que puisse être transmise la masse des connaissances qui doit l’être.  Est-ce à dire que l’éducation générale doive s’arrêter là où se termine le tronc commun des connaissances professionnelles utiles ?

Nenni…  Car depuis le Rapport Robbins en Grande Bretagne, il y a près de 50 ans, on a compris qu’il y avait une demande sociale pour l’éducation indépendante de l’activité de production à laquelle elle donne accès. Cette demande peut être satisfaite par l’éducation que nous avons dite « CULTURELLE ».  Cette éducation culturelle, qui est essentiellement pour le plaisir de l’individu, peut néanmoins avoir un impact social positif si elle est dispensée au palier de l’éducation de tronc commun, en permettant un nivellement des schemes de développement personnels générateur d’un sentiment d’appartenance et donc de cohésion identitaire.

Va donc pour la formation culturelle de masse, mais il faut aussi dire à la population puritaine qui boude son plaisir que cette formation est indispensable…  L’est-elle vraiment ?   À défaut de transmettre des connaissances spécifiques utiles, peut-on transmettre une métacompétence qui permettrait d »acquérir les autres ? Un art d’apprendre qui serait une source de pouvoir ?

« La connaissance est le pouvoir », disait déjà Hobbes.  Une connaissance scientifique ou technique qui permet un contrôle de la nature est bien utile, mais en quoi une formation « culturelle » apporte-elle du pouvoir ?  C’est que, dans une société complexe d’interdépendance et de complémentarité, il est parfois moins important de connaître et contrôler les lois de la nature ou les techniques que les  « règles du jeu » qui régissent la production (Économie) et les rapports sociaux (Politique) …

Or, ces règles qui nous font une société ne sont pas « naturelles », mais humaines et semblent donc bien arbitraires. Le rapport entre savoir et pouvoir, au palier de leur contrôle, n’a pas la rigidité ni la  rigueur de cause à effet d’un plan de travail à son exécution…   Elles intègrent des hypothèses sur le comportement humain; les disciplines « professionnelle» qui veulent nous les expliquer sont donc contestées.

Mais ce n’est pas parce que ces règles ne sont pas  parfaitement connues qu’elles n’existent pas…  L’éducation dite « culturelle » a pour but premier de nous donner  cette connaissance – qui est devenu le plus important des apprentissages – en s’appuyant non pas sur des disciplines « soft » – contestables – mais sur un non-dit transcendant – la culture –  qui en laisserait supposer la maîtrise.

La culture est pour une bonne part discrétionnaire dans sa forme. Elle rend chacun différent, identifie l’individu et détermine ses appartenances, lesquelles lui font un destin.  La culture, sous ces diverses formes, devient ainsi un discriminant au sens strict.  Que cette qualité protéenne  ait, sous tous ses voiles, la faculté  d’aider à contrôler les « règles du jeu » n’est pas évident, mais n’est pas absurde non plus: c’est l’hypothèse de la « tête bien faite ».  Le rapport de cause à effet entre une formation culturelle et une aptitude à contrôler les « règles du jeu » n’a pas la rigueur de celui d’une analyse de tâches à l’acquisition d’une compétence, mais, tout comme la formation professionnelle, l’éducation dite culturelle peut conférer un pouvoir.

Un pouvoir et, surtout, une aura de pouvoir qui impose le respect. En effet, au-delà de son efficacité factuelle qui reste sujette à caution pour permettre un meilleur contrôle des jeux économiques et politiques, la culture a son aura dont l’impact est indubitable qui résulte du consensus quant à cette efficacité. Ceux qui ont été adoubés, ayant reçu la culture comme on reçoit la grâce, jouissent d’un préjugé favorable.

Ceux qui profitent de ce respect  en tirent le pouvoir de faire en sorte qu’il ne s’estompe pas, mais grandisse.  On a donc ici un de ces feedbacks positifs dont on ne sait jamais trop comment sortir…

Tout a commencé par une stratégie inopportune, il y a deux générations, au temps du rapport Robbins, quand les bons pasteurs de l’éducation qui avaient les bons diplômes au départ se sont servi du préjugé favorable à l’éducation pour faire de celle-ci un passage obligé vers n’importe quoi.

Dans un premier temps, on a mis en marche une machine infernale, faisant augmenter constamment les exigences académiques pour TOUTE activité professionnelle, indépendamment des exigences réelles de ses tâches constituantes. On voulait une promotions sociale, mais c’était une évolution perverse, puisque, si l’exigence professionnelle demeure inchangée, ce n’est que le volet culturel de chaque formation qui peut augmenter…  Il est clair que, s’il faut un bac pour le faire et une maîtrise pour coiffer, ce n’est pas demain qu’on rasera grato !

On voulait que l’individu se réalise à tout prix par l’éducation; en fait, on a biaisé l’équilibre du pouvoir en faveur de ceux qui n’ont pas la compétence de produire ou d’offrir des services que veut vraiment la société, mais seulement l’habileté de se coller au processus de production pour en tirer prétexte à un revenu. Ils sont donc devenus de en plus nombreux à traire la vache et de moins en moins nombreux à la nourrir.

C’est dans ce contexte et cet esprit, d’une éducation qui n’a pas à apporter autre chose qu’une satisfaction à l’individu, qu’on a dû affronter la conséquence inéluctable  de l’industrialisation puis de l’automation de la production des biens qui a été de rendre superflue une part croissante  de la main-d’œuvre.

La solution aurait été de donner plus d’une formation professionnelle ciblée permettant offrir les services haut de gamme  pour lesquels il existait une intarissable demande.  En augmentant le nombre de ces professionnels dont la compétence était requise, on aurait satisfait un vrai besoin et l’on aurait pu réduire peu à peu l’écart entre leur rémunération et celle des autres travailleurs, ce qui est la SEULE façon d’améliorer à terme la qualité de vie de tous.

Mais la plus grande partie de l’éducation offerte n’ayant plus de liens directs avec  la production de quoi que ce soit, on n’a pas résisté à la réticence corporatiste de ceux qui contrôlent les professions en grande demande, médecins, ingénieurs, etc et voulaient qu’on en limite les effectifs.  On a choisi la solution de facilité de former des « logues ».   Ainsi sont nées dans la société des confréries de « logues » à préfixes innombrables, souvent sceptiques les unes envers les autres, mais s’accordant un respect mutuel devant les péquenots sans « culture ».

Ces confréries ont formé ainsi un bloc solide pour que se développe indéfiniment une éducation « culturelle », engendrant des « logues» dont le seul plan de carrière, pour beaucoup, ne peut être que d’en former d’autres ….  L’éducation est devenue ainsi une « génisse gestante sacrée »… que demain on ne pourra même plus traire, tout occupée qu’elle sera à allaiter la super vache sacrée que sera éducation future dont elle aura mis bas.

La semaine prochaine :  «  Pour en finir avec l’éducation : comment abattre une vache sacrée, sans lui faire mal ni en avoir du chagrin… »

Pierre JC Allard

11 Commentaires

Classé dans Actualité, Pierre JC Allard