Archives quotidiennes : 31 mai 2012

L’empathie et la cruauté, même chez les singes? (6)

Le père de l’économie, Adam Smith, définissait ainsi l’empathie : «La capacité de se mettre en imagination à la place de la victime.»

Les exemples d’empathie et de cruauté chez les singes sont tirés du livre du primatologue Frans de Vaal intitulé «Le singe en nous.»

Ce dernier croit que l’empathie existe même chez les bébés. Il donne l’exemple suivant. Un nouveau-né d’un jour qui se met à pleurer lorsqu’il entend un autre pleurer serait une manifestation – quoique primaire – d’empathie. Ce nouveau-né, c’est certain, ne cherche pas à impressionner qui que ce soit. Nous naissons avec des pulsions qui nous portent vers les autres. Le comportement de nos parents primates atteste l’ancienneté de ces pulsions.

 Les grand singes sont-ils capables d’empathie?

Les bonobos, en tout cas, démontrent parfois des comportements de pure empathie.

Il est arrivé qu’une femelle bonobo s’occupe d’un étourneau qui avait heurté la vitre de son enclos et avait chuté à l’intérieur, et qu’elle le remette sur ses pattes avec douceur, sans que ce comportement ressemble à ce qu’elle aurait fait pour porter secours à un singe. Au lieu de se conformer à quelque schéma de comportement programmé, elle avait adapté son assistance à un animal entièrement différent d’elle.

Chez les gorilles, une femelle âgée de huit ans, Binti Jua, a, il y a quelques décennies, secouru un gamin de trois ans qui avait fait une chute de six mètres dans l’enclos des primates du Brookfield Zoo à Chicago. La femelle, avant de remettre l’enfant au personnel du zoo pétrifié, l’avait niché au creux de ses bras en lui tapotant gentiment le dos, scène saisie par une vidéo et projetée dans le monde entier! Pour la première fois, on s’interrogea véritablement sur la possibilité d’une humanité non humaine.

Autre exemple contemporain, cette histoire d’un gardien de zoo qui avait reçu une blessure à la nuque, infligée par un babouin acrimonieux. Le babouin vivait avec un petit singe d’Amérique du Sud. Terrifié à mort par son compagnon, le singe vouait une solide affection au gardien du zoo. Il lui sauva la vie lors de l’attaque en détournant l’attention du babouin en le mordant et en hurlant à pleins poumons pour alerter les autres gardiens.

 Cette attitude à comprendre les autres sous-entend aussi que nous savons les faire souffrir

Compassion et cruauté dépendent de la faculté qu’a un individu d’imaginer l’effet de son attitude sur autrui. Peu d’exemples du type d’empathie tels que décrits ci-dessus sont connus chez les animaux, car ils reposent sur la capacité d’imaginer la situation d’autrui.

Les animaux dotés d’un petit cerveau, comme les requins, peuvent en faire pâtir d’autres, mais sans avoir la moindre idée de ce que ceux-ci éprouvent. Le cerveau des singes, en revanche, équivaut à un tiers du nôtre, ce qui les rend suffisamment complexes pour être cruels. Parfois, les singes s’amusent à faire du mal tout comme des gamins jettent des pierres à des canards dans une mare. Pour se désennuyer.

 Dans un de leurs jeux, de jeunes chimpanzés de laboratoires attiraient des poules derrière une clôture avec des miettes de pain. Chaque fois que les crédules volatiles s’approchaient, les chimpanzés les frappaient avec un bâton ou les titillaient avec un morceau de fil de fer pointu. Ce jeu de supplice de Tantale, auquel les poules se prêtaient (il n’y avait sûrement rien de drôle pour elles) avait été inventé par les chimpanzés justement pour combattre l’ennui. Ils en affinèrent les règles en distribuant les rôles, un singe se chargeant d’appâter les poules, un autre de les tourmenter.

Nous savons depuis longtemps que la cruauté existe chez l’homme

Il est inutile ici de s’étendre sur les cruautés que l’homme peut commettre. Le sadisme, la perversion, les tortures, la violence gratuite, les guerres, la dictature, les camps de concentration et les génocides ont toujours fait partie de l’existence humaine.

Ce qui étonne, c’est que la cruauté soit encore aussi présente aujourd’hui à une époque où la paix pourrait régner dans un univers apparemment civilisé. Qu’on pense à ce qui se passe un peu partout dans le monde actuellement, et plus particulièrement, aux cent huit personnes massacrées vendredi dernier à Houla dans le centre de la Syrie, dont une cinquantaine d’enfants. Sans compter les centaines de blessés! Cruauté et pouvoir se rejoignent, que ce soit sur un plan individuel ou collectif.

 L’empathie humaine, une éthique à développer

C’est l’empathie qui permet aux bonobos de comprendre leurs besoins et désirs mutuels, et de contribuer à leur satisfaction.

Pour les humains, c’est aussi l’empathie qui permet de comprendre nos semblables et d’aller vers la collaboration, l’entraide et la solidarité.

Les gestes généreux et gratuits existent chez l’être humain ainsi que les intentions de bienveillance. Ils dépendent de la qualité de l’éthique personnelle.

Chaque fois qu’une personne se met à la place d’une autre personne en essayant de comprendre son point de vue plutôt que d’uniquement défendre le sien, elle crée un espace de paix où l’autre et elle-même peuvent s’épanouir et s’exprimer librement. Cet état d’esprit pousse les personnes à se demander : «Que puis-je offrir?», «Comment puis-je être utile?» au lieu d’aspirer à avoir le dernier mot et à obtenir plus que l’autre. Un état d’esprit qui développe également un sentiment de lien avec l’ensemble des êtres vivants, quelle que soit leur culture.

L’empathie développe le sentiment d’être relié à l’humanité plutôt qu’à en être séparé. Quand une personne se met à la place d’une autre, elle ne cherche pas la discorde mais plutôt une solution.

Dans l’empathie, le soi est le véhicule pour la compréhension d’autrui et il ne perd jamais son identité contrairement à la sympathie qui vise à la communion plus qu’à l’exactitude et où la conscience de soi est réduite plutôt qu’augmentée.

L’objet de l’empathie est le bien-être de l’autre, elle est un mode de connaissance. La sympathie de son côté est un mode de rencontre avec autrui.

 La sympathie ou l’antipathie est un comportement réflexe, de type réactif et affectif, une réaction à l’ensemble de ce qu’est l’autre alors que l’empathie est l’accueil total de l’autre, caractérisée par un effort de compréhension de l’autre sans tenir compte de la sympathie ou de l’antipathie naturelle, sans se laisser parasiter par un état affectif ou émotionnel.

 N’est-ce pas que l’humanité aurait avantage à cultiver l’empathie plutôt que l’agressivité et la violence?

J’aime à m’imaginer que les conflits de toutes sortes, personnels, sociaux, politiques, se résoudraient  plus harmonieusement, et diminueraient les voies de la violence.

L’éthique et l’empathie amènent les personnes à élargir leur propre vision. Personnellement, j’apprécie au plus haut point cette qualité quand je la rencontre.

Carolle Anne Dessureault

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