Ce que je vais vous raconter ici est une pure fiction. Une spéculation. Je ne connais pas le secret du Juge Delisle et je ne sais même pas s’il a un secret. J’ai pensé à écrire ce texte en lisant la chronique de Yves Boisvert, dans La Presse du vendredi 15.
J’ai hésité à l’écrire. J’y pensais depuis longtemps, mais réserve durant un processus judiciaire en marche, puis, quand ce processus est arrivé à terme, une certaine pudeur, vis-à-vis ceux qui sont personnellement concernés. Ils ont droit à ce que tous et chacun ne prennent pas prétexte de leur malheur pour pondre des lignes agate à se faire de la pub, en prétendant qu’ils ont trouvé quelque chose.
Puis, j’ai senti chez Boisvert, un chroniqueur que je respecte, le même malaise que je ressens depuis le début de cette affaire : le Juge Delisle n’a pas un profil d’assassin. Boisvert est perplexe et je pense que j’ai le droit de l’être aussi. Je pense même que le devoir de réserve et la pudeur ne tiennent pas, si l’on croit qu’on peut dire un mot pour faire avancer la justice.. Alors j’ai choisi de dire ce qui me trotte dans la tête. Ce n’est pas une révélation… mais c’est un scénario qui expliquerait bien des choses.
Imaginez …
… Tout ne va pas bien pour le couple Delisle. Elle est malade, handicapée, souffrante et ça ne peut aller que de mal en pis. Il est vieux, la vie et ses défis sont derrière lui, il n’y a plus de joie pour lui dans les quelques années qui lui reste. Il y a cette affection qu’il partage avec une autre femme, mais, à son âge c’est un sentiment qui n’en mène large que parce que la vie est bien étroite. On ne tue pas à 77 ans pour rejoindre une maîtresse. Je le sais : j’ai 77 ans. La vie n’est pas drôle pour le couple Delisle.
Quand il n’y a plus de joie, la hargne s’installe. L’impatience vient pas vagues. On la regrette, on s’excuse, on recommence… On voudrait que ça finisse. Celle qui souffre dans sa chair, surtout, voudrait que ça finisse. Elle parle de suicide. Elle lui en parle. Un peu pour le culpabiliser… Mais l’idée fait son chemin. Car il n’y a pas d’autre issue et elle le sait. Nous le savons tous, mais quand on est cloué a une chaise on a plus de temps pour y penser. Pour apprivoiser l’idée de simplement en finir…
Elle lui en parle et il culpabilise. Il se sent coupable de même penser qu’il pourrait se sentir soulagé si elle prenait la décision d’en finir. Lui la tuer ? Ridicule. Impensable. Ce serait la contradiction totale de tous ses principes et de toute sa vie. En bonne logique il sait bien que la mort est la seule issue, pour lui comme pour elle, comme pour tout le monde, mais ce n’est pas son affaire. On lui a appris jeune, dans les années « 30 et « 40, que c’est Dieu qui s’en occupait. Mais en bonne lucidité, il doit bien s’admettre que, si elle partait la première, elle n’y perdrait rien , mais que ses dernières années à lui seraient moins pénibles. Cette idée de son suicide à elle peut devenir un non-dit entre eux. Un non-dit bien lourd.
Supposez maintenant un matin plus triste que les autres. Une acrimonie d’autant plus blessante qu’elle est retenue, polie et donc insupportable, puisqu’elle ne donnera jamais lieu a des excuses, à un rapprochement… C’est la désaffection définitive. Supposez que Nicole Rainvile, épouse Délisle, décide que c’est le bout de la route. Imaginez un dialogue que je me sentirais inconvenant de vouloir inventer, mais dont le sens peut être bien clair. ..
» Moi, Nicole, ta femme je veux mourir. Tout de suite. J’ai la ferme volonté, mais ma main n’a pas cette fermeté. Je n’ai pas physiquement la force de mon projet. J’ai besoin de toi. Ne me laisse pas tomber, ne me refuse pas ton aide. Je ne te demande pas de me tuer – je sais que tu ne le pourrais pas – mais seulement de guder ma main, d’affermir mon geste… »
Et le Juge Delisle, qui n’est pas un assassin, peut bien cependant accepter de rendre ce service… Sa main sur celle de Nicole, l’arme à l’envers – qui est la position la plus confortable – et sa main a elle bien sur le canon, solidement, car ce n’est pas lui, mais elle qui va tirer. Son doigt a lui sur son doigt à elle, mais c’est bien son doigt a elle sur la gachette…
En son âme et conscience, le Juge Delisle n’a pas tué sa femme. Elle s’est suicidée. En toute bonne conscience il ne se sent pas tenu de donner les détails aux policiers. Ce sont des détails intimes, personnels, un secret entre elle et lui. Parce que le Juge Delisle ne veut pas dire son secret, il va « simplifier » les faits, faisant le pari que sa réputation pesera plus lourd que les petits détails qui n’ont pas de sens…
Mais ce n’est pas le travail de la police d’aller au fond de la bonne conscience, seulement de voir des faits, de trouver des incohérences… Or, sans les petits détails qu’il a omis, il y en a. Il devient soupçonné, accusé… Parlera-t-il des détails ? De sa main à lui sur sa main à elle… ?
Comme il a cette moralité rigide venue des années « 3o et « 40, il est piégé car il ne voudra jamais avouer un premier mensonge d’omission. Rigidité, amour propre,… dire la vérité lui devient insupportable, impossible… Un parjure lui serait encore plus odieux et, plutôt que de mentir sous serment, il va choisir de ne pas témoigner, ce qui pour les jurés va apparaître comme un aveu.
Il s’ensuit la CONDAMNATION à laquelle il n’a pas cru et qui lui apparaît infiniment injuste. Le résultat ? Le reste de sa vie en prison. Une assistance à suicide, avec toutes les circonstances aggravantes qu’on pourrait y trouver, ne lui vaudrait sans doute que d’être confiné à domicile pour quelque temps.
Chacun, selon ses propres principes, a le droit de trouver où il veut son estime de soi et celui de payer le prix qu’il veut pour la conserver. Chacun a aussi le droit de réévaluer ses principes.
Tout ça, bien sûr, n’est qu’une fiction en forme d’hypothèse…. ou l’inverse.
Pierre JC Allard