On pourrait se demander parfois à quoi diable peut bien jouer Jean Charest. Au départ, un climat de favoritisme, de corruption et de gabégie dont il est tenu pour le principal responsable fait que les ¾ des Québécois souhaiteraient qu’il disparaisse. Dans ce contexte, il pourrait coucher le roi ou, sinon, tout faire pour se faire des amis et se rendre sympathique…
Mais surprise ! Au lieu de faire patte de velours, voici le vieux matou qui engage une lutte à finir avec les étudiants, sans doute le seul segment de la population qui semble avoir encore un peu d’intérêt pour les pirouettes du cirque politique ! Pourquoi cette approche qui semble suicidaire ? Pourquoi, surtout, avoir mené cette lutte de façon si ostensiblement provocatrice ?
L’explication que favorisent la plupart des gens est que cette provocation, qui a créé la violence et le chaos, n’a eu d’autre but que de donner au PLQ, tant discrédité et si mal-aimé, le rôle du défenseur de l’Ordre qui le fera aimer…. et réélire. Prenez ce pion que vous ne pouvez pas ne pas voir… Mais peut-on sérieusement croire qu’un piège aussi grossier suffirait à redonner au Gouvernement Charest l’amour du peuple… ? Peut-on croire que le vieux matou tenterait ce « coup du berger » ?
N’y croyez pas un instant. Voyez plutôt qu’il est évident que le gouvernement libéral n’a pas du tout à se faire aimer pour être réélu … Et donc ne le fera pas. Voyez que, paradoxalement, c’est au contraire quand on le déteste le plus passionnément que le Parti Libéral peut jouir de la position électorale la plus favorable . Si on le déteste LÀ OÙ ÇA COMPTE, bien sûr. Ca compte dans les circonscriptions où le vote francophone est dominant.
Là où la minorité anglophone a la balance du pouvoir, en effet, le PLQ est gagnant par défaut. C’est son fief traditionnel… et on remarquera que la crise étudiante n’a pas touché significativement la minorité anglophone. Charest y est plus que jamais en pays conquis.
L’arithmétique d’une victoire du PLQ aux prochaines élections repose donc essentiellement sur un partage équilibré des circonscriptions à dominante francophone entre la CAQ de Legault et le PQ de Marois, sans oublier que, dans une triangulaire, ce partage égal du vote entre CAQ et PQ augmente le nombre des comtés où ce sont les Anglophones qui peuvent devenir dominants !
Rien ne peut mieux « equilibrer » les soutiens à la CAQ et au PQ qu’une haine profonde pour Jean Charest. À défaut de se faire aimer – ce qui serait bien malaisé – Charest peut se faire haïr, s’excluant de facto de la triangulaire et permettant ainsi à la CAQ de battre le PQ dans une majorité des circonscriptions francophones. VOYEZ OÙ GAGNAIT L’ADQ ! Là peut gagner la CAQ.
Que se passe-t-il, en effet, si Charest se rend exécrable ? Un nombre suffisant des Libéraux – que rien ne pourrait rendre majoritaires – peuvent aller vers la CAQ pour que ce dernier monte dans les sondages et devienne une alternative crédible. Quand elle est crédible dans les sondages – on l’a vu il y a quelques mois – la CAQ grimpe en flèche et arrache de grands lambeaux de l’électorat è Madame Marois, dont on ne trahit pas ici de secret en soulignant qu’elle ne suscite pas un enthousiasme populaire délirant.
Il suffit donc à Charest de se faire détester des Francophones, – ce dont il s’acquitte fort bien – et, la clientèle anglophone lui restant totalement acquise, il peut tirer profit d’un split entre CAQ et PQ pour sortir en tête au décompte des circonscriptions. Prenez ma Reine…. puis vous êtes mat.
N’y a-t-il pas un risque d’emballement ? Supposons que TROP de votes aillent vers Legault ? D’abord, quand on contrôle les médias et donc les sondages comme les contrôlent Gesca et Quebecor, un déplacement bien manipulé du vote du PQ vers la CAQ apparaît sans danger. Mais, supposons néanmoins une bavure… La soupape de sécurité est là. Il serait facile pour le PLQ de réajuster alors la situation, en prenant quelques mesures de total aplaventrisme envers la minorité anglophone ou le gouvernement fédéral.
Ces mesures – les plus honteuses le mieux – suffiraient à renvoyer ce qu’il faudrait de nationalistes inquiets vers le PQ, ramenant le soutien de la CAQ sagement en-dessous de celui du Parti Liberal et gardant ce dernier en tête. Une mesure facile et suffisante, mais pourquoi viser si peu ? Avec un peu de travail on aura peut être le temps de faire beaucoup mieux. …
En arrosant la zizanie qui ne manquera pas de naître entre les étudiants et un PQ qui trahit maintenant le Carré Rouge par pur électoralisme, on pourra peut-être faire en sorte que – advenant ce besoin de créer un reflux nationaliste pour contrer Legault – on puisse faire passer les électeurs les plus férocement anti-Charest directement du CAQ à Québec Solidaire, en sautant l’étapisme mou du PQ de Madame Marois. If suffit qu’on deteste assez Jean Charest. Si un ou l’autre des leaders étudiants se retrouve en campagne électorale bras dessus, bras dessous avec les deux chefs de QS pour former un triumvirat, vous saurez qu’ON y aura pensé….
La beauté de cette stratégie de diviser le vote francophone entre CAQ et PQ – tout en moussant une progression de QS qui à court terme est sans danger pour le Systeme – c’est qu’en aucun moment Charest n’a à se rendre sympathique, à justifier ses actions passées, à s’engager pour l’avenir ou à quémander des votes, toutes choses qu’il ferait mal. Il n’a qu’à être lui-même, à distribuer des embûches là où elles feront le plus de mal à ses adversaires les plus menaçants … et à jouer son rôle de politicien astucieux. Ce qu’il fera bien.
Ce faisant, il pourra entrer dans l’Histoire comme encore plus retors que Bourassa, comme le vainqueur d’une corrida à plusieurs, où il n’aura eu qu’à rendre le peuple fou de rage et à esquiver les charges de la grosse bête. ¡Ole toro!
Et je ne vois même pas une façon efficace et réaliste de contrer cette stratégie….
Pierre JC Allard