Archives quotidiennes : 1 août 2012

La métropole abandonnée

Il y a des Québécois qui s’étonnent. Ils constatent que la ville de Montréal – c’est-à-dire la ville centrale, la vraie ville – est devenue anglaise. Ils pleurent, parce que cet environnement ne leur plait pas; ils ne se sentent pas ‘chez eux’ et dépriment : c’est la faute au maire de Montréal, lancent-ils, c’est la faute ‘aux gouvernements’ et c’est la faute «au destin».

Mais il n’y a rien de surprenant en cette affaire. L’anglicisation de Montréal, qui est en cours et qui bloque le chemin de l’affranchissement des Québécois, était prévue. C’est la société québécoise elle-même – jadis un peu française – qui, par ignorance ou par négligence – par veulerie? – en a décidé ainsi.
Devant la pression – énorme – des forces anglo-américaines qui procédaient à l’intégration des huit millions de Québécois à la société de consommation que l’on sait, il y avait deux attitudes possibles : combattre ou fuir. Les Québécois ont choisi la fuite.

La fuite en banlieue. On ne le dit pas tout haut, mais toutes les familles québécoises (je parle de toute la société francaise du territoire) ont fui dans les champs de patate périphériques. Il y en a même qui sont allées vivre au-delà de Repentigny en allant vers Trois-Rivières et au-delà de Terrebonne pas trop loin des mouches noires!

Si les Québécois avaient choisi de vivre en ville, ils se seraient créé une sorte de civilisation particulière, parfumée de culture francaise et sympathique à ce que l’Europe produit. Car on sait fort bien que la civilisation se crée en ville; pas dans les jardins maraichers! Pour créer une civilisation intéressante et particulière les Québécois auraient donc dû combattre. Et voici comment.

René Lévesque, qui n’était pas bête, l’avait expliqué dans son premier programme politique : celui de 1970 nommé «La solution». Le sol urbain, avait-il proclamé est «un bien commun»; et, ainsi, les pouvoirs publics devront-ils procéder à la «nationalisation progressive du sol en périmètre urbain». On sait que c’est la spéculation sur le prix du sol qui rend l’accès à la propriété inaccessible au commun des mortels. Il aurait fallu combattre!

Ce n’est pas tout. M. Lévesque, que nous aimons tant, avait proposé que les projets de rénovation urbaine se fassent en introduisant «des formules de gestion communautaire où les occupants pourront accéder progressivement à la propriété de leur logement par le versement de loyer mensuel ». Et pour harmoniser tout cela «il aurait fallu «élaborer une véritable politique de l’habitation sous l’initiative première de l’État».

Je n’ai pas besoin de vous expliquer comment les ingénieurs et les spéculateurs ont réussi à bloquer tout ca! Je n’ai pas besoin de vous dire aussi que nous sommes loin, ici, des modestes réclamations relatives à la hausse de certains frais de scolarité! Il aurait fallu combattre!

Car aujourd’hui le territoire est parsemé d’«élites» qui se sont construits des «monster houses» «au milieu de nulle part» ridiculement pompeux ou qui se sont enfermés dans des ghettos pour «upper middle class», au milieu du Saint-Laurent ou dans les rangées de carottes.

Si nous avions suivi le leader Lévesque, il est probable que le pouvoir sur l’aménagement urbain aurait été donné davantage aux bons architectes et moins aux grands ingénieurs des routes. Il y aurait un ministère de l’aménagement ou de la Ville ici, comme dans les pays évolués! Au lieu de cela, nous avons des villes comme Montréal et Québec dont le cœur est transformé en tombolas pour les touristes de… banlieue et pour quelques américains qui s’ennuient.

Alors vous, les banlieusards, arrêtez de pleurnicher s’il vous plait. C’est vous qui avez fui. Et qui avez voté pour mieux consommer. Si nos villes sont éparpillées et… laides c’est que notre société a manqué de combattants!

La métropole, en ce moment, est faite pour les riches, dont ceux qui vivent dans la ville ‘indépendante’ de Westmount, car la richesse, la vraie, est encore anglo-américaine; c’est une société à laquelle la masse des immigrants veut s’associer en envoyant ses enfants dans les gigantesques universités anglaises de la vraie ville d’aujourd’hui. Et qui aura son gigantesque hôpital anglais à elle tout seule.
La fuite c’est un choix permis, mais ce n’est pas toujours bon pour l’âme.

Jean-Pierre Bonhomme

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