Dans cette période échauffée par l’approche d’élections au Québec, à l’orée de frontières prêtes à s’écrouler pour que de plus belles naissent, tout défaire pour tout refaire, est-ce possible, surtout, est-ce nouveau? Quel parti choisir? À qui faire confiance?
Parfois, on pourrait même souhaiter la violence, celle d’une révolution qui nettoierait tout pour purifier l’ardoise.
Il convient de se tenir debout plus que jamais.
Que signifie cette expression dans un univers où corruption et violence et injustice se côtoient trop souvent? D’inégalités sociales de plus en plus insupportables, ici ou ailleurs, qu’importe, c’est la même révolte.
J’aimerais dans ce contexte vous partager quelques extraits d’un grand penseur social et humain, Albert Camus, tirés de son discours en 1957, il y a de cela cinquante-cinq ans, quand il reçut le Prix Nobel de littérature, ainsi que d’autres écrits tirés de ses pièces.
Chaque génération voudrait refaire le monde
Laissons les mots de Camus vibrer dans notre esprit.
«Chaque génération, sans doute, se croit vouée à refaire le monde. La mienne sait pourtant qu’elle ne le refera pas. Mais sa tâche est peut-être plus grande. Elle consiste à empêcher que le monde se défasse.
Héritière d’une histoire corrompue où se mêlent les révolutions déchues, les techniques devenues folles, les dieux morts et les idéologies exténuées, où de médiocres pouvoirs peuvent aujourd’hui tout détruire mais ne savent plus convaincre, où l’intelligence s’est abaissée jusqu’à se faire la servante de la haine et de l’oppression, cette génération a dû, en elle-même et autour d’elle, restaurer, à partir de ses seules négations, un peu de ce qui fait la dignité de vivre ou de mourir.
Devant un monde menacé de désintégration, où nos grands inquisiteurs risquent d’établir pour toujours les royaumes de la mort, elle sait qu’elle devrait, dans une sorte de course folle contre la montre, restaurer entre les nations une paix qui ne soit pas celle de la servitude, réconcilier à nouveau travail et culture, et refaire avec tous les hommes une arche d’alliance …(… )»
Comme Sisyphe, poursuivre l’effort …
Camus écrit : «Comme Sisyphe, notre génération, et celle à venir, aura à poursuivre l’effort, malgré l’atroce constatation que nous marchons sur les talons de la destruction, de la guerre et des fanatismes aux innombrables visages sous toutes les latitudes, tous points cardinaux confondus. Comment devancer les fléaux qui menacent?
Accorder à tous un régime pleinement démocratique
Chaque société, chaque pays mérite le meilleur, ou à tous le moins, un régime pleinement démocratique, si l’on considère que ce dernier représente une forme plus évoluée que celle de la dictature ou du communisme qui, dans son essence transportait de beaux principes, mais qui dans la pratique, a généré d’habiles démocrates amoureux des privilèges.
Albert Camus dit à ce propos «qu’il est propice d’unir au lieu de diviser. J’ai toujours, reprend-il, condamné la terreur. Je condamne aussi tout terrorisme qui s’exerce aveuglément.» Plus loin, il précise : «Je n’approuve pas le terrorisme, la violence qui frappe aveuglément les civils… » Il en arrive à penser, dès l’apparition du terrorisme et de la répression, qu’une certaine façon d’engagement s’impose.
Albert Camus refusera toujours que la revanche puisse tenir lieu de justice, que le mal réponde au mal, que la violence soit encore accoucheuse d’histoire et que même Auschwitz puisse jamais justifier Hiroshima.
Introduire le sentiment d’humanité dans l’acte politique
En vérité, Albert Camus est celui qui refuse l’esprit de synthèse et qui introduit dans l’acte politique le sentiment d’humanité. À ceux qui croient que seule la violence est la grande accoucheuse de l’histoire, il dit que le crime d’hier ne peut autoriser, justifier le crime d’aujourd’hui. Il écrit en janvier 1956 : «Quelles que soient les origines anciennes et profondes, aucune cause ne justifie la mort de l’innocent.»
Dans sa pièce Les Justes, un personnage se confie
Dans Les justes, il fait dire à l’un de ses personnages : «J’ai accepté de tuer pour renverser le despotisme.
Mais derrière ce que tu dis, je vois s’annoncer un despotisme, qui, s’il s’installe jamais, fera de moi un assassin alors que j’essaie d’être un justicier.»
Tous ceux qui veulent le changement aspirent à quelque chose de plus grand
Certes, il ne faut pas baisser les bras. Seulement prendre garde dans l’aspiration au changement à ne pas devenir soi-même le bourreau que l’on dénonce dans les systèmes actuels qui nous apparaissent corrompus.
Merci d’avoir lu les propos d’Albert Camus qui m’apparaissaient d’une grande actualité, malgré le décalage du temps.
Bonne journée, et bon choix!
Carolle Anne Dessureault