Il y a une ou deux lunes, à l’occasion de je ne sais plus quelle commémoration de l’histoire de Montréal – et de la Nouvelle-France – des groupes de pression ont proposé que Jeanne Mance, la fondatrice de la communauté féminine des Hospitalières de Saint-Joseph et de notre Hôtel-Dieu, soit nommée «cofondatrice» de la métropole du Québec – notre chère Ville-Marie – pour la mettre sur un pied d’égalité avec Pierre de Chomedey sieur de Maisonneuve.
Toujours aussi «bien-pensant» et accommodant le maire de Montréal, M. Trembay, en a tremblé de compassion et il a fait montre de sa légendaire largesse. Jeanne Mance, nous a-t-il fait découvrir, a de grands mérites – ce qui n’est pas faux. Il a même poussé sa souplesse, au cours d’une entrevue, jusqu’à laisser entendre qu’il raserait ce monument à De Maisonneuve qui était jusqu’à aujourd’hui le fondateur de Montréal; on élèverait ainsi Mlle Mance au rang de «fondatrice» officielle la Ville de Montréal. La place d’Armes d’aujourd’hui serait donc éventuellement transformée, (elle qui vient de subir une grande cure de jouvence) et le chef d’œuvre du sculpteur Louis-Philippe Hébert devra dorénavant avoir deux têtes et quatre bras.
Cela devra poser certains problèmes de créativité comme on dit, et cela devra en poser d’autres, des problèmes – encore plus inextricables – du simple point de vue du symbolisme.
Tout le monde sait que le symbolisme est l’expression de l’âme. L’âme de nos prédécesseurs disait les choses comme elles étaient. Le sieur de Maisonneuve était gouverneur de Montréal. Cela ne fait pas de doute. L’historien de Montréal, Robert de Rumilly l’a bien expliqué : «Le choix de Maisonneuve, fait par Jérôme de la Dauversière, à la suggestion du Père Lallemant, (comme gouverneur de Montréal) se trouve ratifié en suivant la voie hiérarchique DEPUIS L’AUTORITÉ ROYALE». C’était lui, Maisonneuve, le chef et le responsable devant l’État.
Mais oui, de Maisonneuve, un militaire au talent reconnu, n’a eu cesse de représenter l’État français à Montréal. Il a manœuvré toute sa vie durant pour la défense des idéaux de la Société de Montréal, l’administratrice de ce difficile avant-poste ouvert en 1642. Son activité comprend les périlleux voyages qu’il a entrepris à trois reprises pour aller chercher des recrues et ses efforts pour protéger ses alliés algonquins et tenter d’établir une paix avec les adversaires iroquois armés par les Hollandais d’Albany et les Anglais de la côte atlantique. C’est une histoire remarquable et impressionnante. Il a combattu et il a gagné, ce qui n’arrive pas souvent en terre québécoise. Cela avec son mandat officiel. Il n’a pas été un flibustier.
Le monument que nos prédécesseurs ont choisi d’ériger, sur la Place d’armes de Montréal (oui d’armes) représente une réalité historique qui ne fait pas de doute. Elle nous montre un M. de Maisonneuve qui porte le drapeau de la victoire et une épée, elle-même victorieuse. Et puis en contrebas, les quatre autres réalités du récit de la fondation, celles de l’agriculture, des Indiens, des combattants et… de Jeanne Mance.
Oui Jeanne Mance est la contrepartie féminine de notre réalité, de par sa bienveillance, de sa solidité et de son amour pour l’humanité. Et elle est là sur la place, comme il se doit.
C’est elle, lit-on partout, qui soignait «les sauvages et les colons». Et c’est bien pourquoi, nos prédécesseurs ont nommé une rue pour reconnaître sa valeur; et c’est pourquoi l’Hôtel-Dieu existe, cet hôpital sur les bases duquel notre État actuel du Québec aurait dû construire le méga-hôpital nouveau (le français). La communauté des hospitalières, ne l’oublions pas, vit encore là, 400 ans après la fondation! Et ses mérites ne sont pas discutables; elle a rendu service à notre communauté nationale. Jeanne Mance, jadis, portait son drapeau devant l’Hôtel-Dieu d’aujourd’hui, avant que nos bons médecins ne s’accaparent du jardin pour y stationner leurs Mercedes! Il faudrait le lui redonner. Et cela suffirait.
Mais le monument de Louis-Philippe Hébert, sur la Place d’armes, nous dit tout cela, et encore. Il nous le dit suffisamment. Il est la synthèse de notre histoire montréalaise. Il a été réalisé par un grand artiste (dont les 25 grandes œuvres remarquables ont une valeur internationale). L’hommage que le sculpteur Hébert a rendu à de Maisonneuve est sans contredit son plus grand chef d’œuvre. La raison de cette beauté réelle est suffisante pour que nous proposions le statu quo intégral en la matière.
S’il advenait que des maires complaisants ou des militants en robe ou pas s’avisent de vouloir infléchir l’histoire pour promouvoir des intérêts particuliers passagers il est certain que ceux-là trouveront beaucoup de monde pour se mettre en travers, y compris votre serviteur. «Over my dead body» comme disent les anglais! La beauté, faut-il le rappeler, même en matière de monuments, ne se trouve pas en surabondance à Montréal. Aussi faut-il lui rendre hommage quand on la voit, quand elle a été répandue par un génie comme Louis-Philippe Hébert.
Jean-Pierre Bonhomme