Jean-Pierre Bonhomme
Image Flickr par Leandro2009
C’était dans les années 60. J’étais devenu journaliste à La Presse. Cela était facile car il fallait bien des scribes pour nourrir la «révolution tranquille». En certains moments j’étais responsable des quatre pages que le journal remplissait avec des correspondances de la région du Saguenay. Un certain Lucien Bouchard m’en envoyait plusieurs, de ces relations; elles étaient de facture provinciale, naturellement, mais elles avaient le mérite de la constance.
Depuis ce temps, vu de mes divers pupitres, ce fut une longue ascension de M. Bouchard vers les sommets de la bourgeoisie montréalaise, de la bourgeoisie montréalaise-canadienne plus précisément; avec des passages intermittents dans les hautes sphères des deux parlements du Canada : ceux d’Ottawa et de Québec.
Ces jours derniers M. Bouchard a gravi un autre pic de ces Himalayas, Il est devenu le principal porte-parole de la Quebec Oil and Gas Association. Or cela pose un certain problème de bienséance politique étant donné la dichotomie qui existe entre les fonctions de premier ministre (qu’il a exercées au Québec), celle de ministre de l’environnement – conservateur – dans le gouvernement fédéral d’une part… et les autres fonctions ordinaires subséquentes d’autre part.
Les fonctions de premier ministre, équivalentes, chez nous, à celles d’un président de la République, ont une valeur symbolique pour l’opinion publique. Elles sont des guides pour les collectivités nationales. Elles sont donc glorieuses en un certain sens. Oui mais elles ont des contraintes et le titulaire doit en tenir compte dans l’exercice de ses fonctions ultérieures.
Le président De Gaulle, par exemple, ne se permettait pas, ainsi que l’a fait un premier ministre du Québec d’aller signer des autographes en Alberta, pour le plaisir d’un éditeur. Il se tenait au haut de la scène, distant, comme un dépositaire des projets et des rêves collectifs. Pas plus qu’il ne se permettait, comme un autre premier ministre, d’aller donner des cours dans une université privée anglaise, pour faire plaisir à chacun, surtout quand cette université est de trop! Il y a des clôtures à ne pas franchir si l’on veut donner aux citoyens l’impression qu’il existe une certaine distance objective par rapport aux pressions faites par les intérêts privés.
Dans le cas présent l’ancien premier ministre du Québec, M. Bouchard, est nouvellement employé par l’industrie du pétrole. Elle qui cherche à obtenir le droit de perforer le territoire pour y extraire du gaz, mais sans que le gouvernement n’ait établi de réglementation pour protéger les citoyens et les paysages. Un tel personnage qui a détenu le pouvoir à Québec, à un moment où les citoyens lui confiaient leurs émotions et lui cédaient leur raison peut-il légitimement se transformer en lobbyiste du pétrole et du gaz sans faire naître, chez chacun, un sentiment de cynisme et de démobilisation?
Mais c’est l’ancien ministre de l’environnement qui pose le plus de problèmes. En effet, il n’est pas exagéré de dire que le pétrole et le gaz sont de grands pollueurs. C’est eux qu’un ministre de l’environnement doit affronter ou cajoler pour mettre de l’ordre sur la planète. Or les protecteurs de l’environnement – pas tous barbus – les plus sensés n’ont eu de cesse de vouloir protéger le milieu urbain contre les agressions industrielles. Une des bibles à cet égard est celle de Ian McHarg qui propose de construire ‘avec la nature’. Il s’agirait donc, pour simplifier, de créer des zones industrielles, loin des villes et des villages où des systèmes de traitement de l’eau et de l’air seraient mis en commun pour protéger les citoyens et la nature. Le contraire de ce qui se fait en Gaspésie, justement, où l’industrie installe ses éoliennes pratiquement à côté des clochers.
Les ministres de l’environnement ne nous parlent pas beaucoup de ces solutions rationnelles. Ont-ils la distance qu’il faut par rapport à l’industrie pour veiller au bien commun? Peut-être. Mais pour éviter les tentations et… sauver les apparences ne faudrait-il pas que les anciens ministres de l’environnement et les anciens premiers ministres se tiennent au dessus de la mêlée et respectent ainsi les craintes et les espoirs d’une population qui a longtemps été laissée à elle-même lorsqu’il s’est agi de créer des milieux de vie urbain raisonnablement accueillants?
Cet avis peut paraître dur. Oui mais nous ne pouvons nous empêcher de penser qu’il y a, dans l’exercice du pouvoir, surtout du pouvoir suprême, quelque chose qui relève de l’esprit communautaire, celui qui relie les êtres entre eux et qui ne perd jamais de vue ce principe : ce qui est bon pour chacun est, en définitive, ce qui est bon pour tous! Le pouvoir élu n’est pas un travail comme un autre; il n’est pas un escalier pour gravir le sommet d’une carrière.
Et c’est pourquoi il serait préférable que les premiers ministres, après avoir exécuté leurs fonctions, restent un peu dans l’ombre et n’acceptent que des mandats discrets, d’esprit communautaire par exemple, tels ceux relatifs à la défense des coopératives!
Et qu’ils passent plus de temps à la pêche à la truite.
Nota bene. Un excellent article de The Gazette de Henry Aubin ( 27 janvier) jette de la lumière sur ces propos.