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À propos de yanbarcelo

Yan Barcelo est journaliste économique et financier de carrière pour nombre de publications d'affaires au Québec et au Canada, dont Les Affaires, Finance et Investissement, Investment Executive, CA Magazine et d'autres. Il détient un doctorat en philosophie de l'Université de Montréal en plus d'avoir complété une formation complète en théâtre (son premier métier est comédien) et, plus tard, une formation en composition musicale.

L’univers des produits financiers dérivés se stabilise-t-il? (1/2)

 

 

 Le monde des produits financiers dérivés est aussi astronomiquement vaste qu’en ses jours de gloire avant la crise financière. Plusieurs changements oeuvrent à en stabiliser les immenses échafaudages. Mais certains indices laissent croire que le secteur pourrait encore une fois être ébranlé par de puissantes secousses, dont le point d’origine se trouve en Europe.

Selon le plus récent rapport de la Banque des règlements internationaux, la valeur notionnelle totale des dérivés, en juin 2011, s’élevait à 708 billions $US (trillion en anglais, ou 708 mille milliards, soit environ 12 fois le PIB mondial). Suite à une hausse de 18% en six mois, on se retrouve avec un nouveau sommet historique qui dépasse celui de 683 billions atteint au seuil de la crise financière en juin 2008.

La plus grande catégorie dans cette masse de dettes est celle des contrats sur taux d’intérêt (swaps, contrat à terme, options), qui accapare 554 billions $US, soit 78% du total.  Suivent après cela les contrats sur taux de change (swaps et contrats à terme) avec un total de 65 billions $US. Puis viennent les swaps sur défaillance (les fameux CDS, ou credit default swaps) à hauteur de 32 billions $US. Une dernière catégorie dite « non-assignée » (parce qu’elle tient aux transactions d’institutions qui ne font pas rapport) s’élève à 47 billions $US, où tous les types de dérivés sont mêlés sans ventilation aucune.

Pour tous ces dérivés, on parle d’un niveau d’exposition brut de 3 billions $US (3 mille milliards $US, deux fois le PIB du Canada), soit à peine 0,04% du total. Notons que juste avant la crise, on calculait ce niveau d’exposition à 3,2 billions $US.

Chiffres américains

Du côté des États-Unis, les chiffres du Comptroller of the Currency fournissent des détails dont on ne dispose  pas pour l’Europe. Ainsi, on découvre que le total notionnel de 248 billions $US en dérivés financiers en septembre 2011 a augmenté chez l’Oncle Sam de 36% depuis juin 2008. Quatre banques accaparent 94% de ce montant, soit JP Morgan Chase (78 Billion $US), Citibank (56 B), Bank of America (53 B) et Goldman Sachs (48 B). Bien qu’ils ne retiennent que 35% des dérivés financiers de la planète, les États-Unis ont la part du lion des swaps sur défaillance, soit 15,5 billions $US, ou 48% du total mondial, encore une fois concentrés dans les mêmes quatre banques.

Si plusieurs des grands chiffres agrégés ont peu bougé depuis la crise financière, certains aspects ont changé sensiblement. Par exemple, en 2008, la BRI faisait état de 82 billions $US dans la grande catégorie des dérivés de crédit, où on trouvait notamment tous ces produits délétères comme les CDO, PCAA et autres MBS de ce monde qui ont agi comme de puissants amplificateurs de la crise immobilière. Les CDS y occupaient une part substantielle de 58 B $US. Le BRI ne rapporte plus que les transactions de CDS, dont la valeur notionnelle, on l’a vu, a chuté depuis de près de 50% à 32 B $US. Étonnamment, aux États-Unis, le niveau des CDS n’a pratiquement pas bougé depuis la crise, oscillant toujours autour de 16 B $US.

Changements et obstacles

Une grande différence depuis la crise tient au fait qu’une part croissante des dérivés financiers se transige maintenant via des chambres de compensation. Selon l’International Swaps and Derivatives Association, à Washington, le London Clearing House compense maintenant plus de 300 B $US en swaps sur taux d’intérêt. L’Intercontinental Exchange (ICE), pour sa part, compense 5 B $US de CDS. Toutefois, ces chambres de compensation ne sont pas des parquets publics, mais des organisations privées qui appartiennent aux grandes banques qui y transigent. Cela rend leurs transactions opaques aux yeux du public, mais sont accessibles aux divers organismes de réglementation.

Dans ces chambres de compensation, nombre d’avancées se font pour stabiliser et raffermir le secteur des dérivés financiers. En tout premier lieu, les positions des joueurs sont maintenant connues. Ensuite, ils sont appelés à déposer des biens en garantie (collateral en anglais) et des appels de marge sont faits dès que la position d’un joueur se détériore. Ce sont toutes de choses qui n’avaient pas cours avant la crise, une époque où la quasi-totalité des transactions se faisaient gré à gré et dans l’opacité la plus totale.

Ce travail de stabilisation ne fait que commencer, cependant. Et il souffre de plusieurs maux. Un des principaux tient à la chambre des représentants américaine, dominée par les Républicains, qui bloque le financement des réformes exigées par la loi  Dodd-Franck et la nomination des directeurs des nouvelles agences (créées par cette même loi).

C’est sans compter la multiplicité de changements exigés simultanément par les autorités réglementaires partout aux États-Unis et en Europe, ce qui pourrait créer des risques accrus dans les réseaux de dérivés. « Nous nous demandons si trop de choses ne sont pas en train d’être faites par trop de gens dans trop de pays », s’inquiètait récemment Connie Voldstad, chef de la direction sortant de la puissante International Swaps and Derivatives Association, que certains grands investisseurs considèrent comme une des plus puissantes institutions de la planète.

L’assurance qui assure de moins en moins

La section la plus instable de l’édifice des dérivés financiers demeure celle des CDS, ces contrats d’assurance qui sont maintenant fragilisés par les problèmes de dette souveraine en Europe. Alors qu’en 2008 le système financier était mis en danger par des dérivés liés au marché immobilier, il l’est maintenant par les dérivés liés aux prêts souverains, disait récemment au Ellis Martin Report Jim Sinclair, un trader en produits de base au statut de légende aux États-Unis.

Par exemple, les banques américaines sont peu exposées aux dettes des pays européens à risque. Toutefois, elles leur sont fortement exposées par la voie des CDS, ayant soit vendu ou acheté des contrats d’assurance à l’endroit des prêts gouvernementaux.

Un article du magazine Fortune (4 janvier 2012) nous apprend, par exemple, que l’exposition de six banques américaines de premier plan à des CDS sur la dette italienne s’élève à plus de 200 milliards $US. « Au total, indique l’article de Fortune, les banques américaines détiennent probablement les deux tiers des CDS d’euro-dette en circulation. »

« Volontaire »? Et alors?

Or, la coupe de 70% négociée avec la Grèce sur la valeur de ses obligations n’a pas été déclarée « événement de crédit » par l’ISDA, car ce haircut est jugé « volontaire ». Cela signifie que les banques américaines qui seraient appelées à dédommager des contreparties à leurs contrats de CDS sont sauves, pour l’instant (la ISDA est revenue depuis sur sa position et déclaré la coupe de 70% comme étant un événement de crédit- mais seulement un mois après l’événement). On peut soupçonner que la ISDA a donné aux banques qui garantissaient ces CDS le temps de couvrir leurs engagements, sinon tout l’édifice financier aurait été ébranlé.

Par contre, les joueurs exposés à la dette grecque ont été heurtés de plein fouet. C’était notamment le cas de MF Global, qui a été entraîné à la faillite par la dévalorisation de la dette grecque.

Mais il n’y a pas seulement l’exposition à la dette grecque, italienne ou espagnole qui est en jeu. Il y a l’exposition des banques américaines aux banques européennes fragilisées par l’endettement de la zone euro – sans compter l’exposition d’autres banques européennes! Car, comme le notait le dernier rapport semestriel de la Banque centrale européenne, la probabilité qu’une ou plusieurs grandes banques européennes fassent défaut est à un sommet de 25%.

Solides, vraiment?

L’ISDA affirme que les CDS américains sont plus solides que jamais. Par exemple, un défaut de paiement de la part de la Grèce ne déclencherait pas une obligation de paiement massive d’assurance de la part des vendeurs de ces assurances. Pourquoi? Pour trois raisons, explique l’ISDA  : l’exposition nette des joueurs qui ont vendu de l’assurance face à la dette grecque n’est que de 3,7 milliards $US; cette exposition est atténuée par la valeur de recouvrement des obligations sous-jacentes; enfin, 70% à 90% de cette exposition est couverte par des biens offerts en garantie.

Bien sûr, la coupe de 70% de la dette grecque ayant été jugée « volontaire » de la part de ses créditeurs, les vendeurs d’assurance n’ont pas eu à dédommager leurs assurés – au départ. Mais cela n’a guère arrangé ceux qui avaient acheté cette assurance.

D’autant plus que la décision de l’ISDA crée un dangereux précédent. Décider que les vendeurs de CDS n’ont pas à payer « a essentiellement ruiné les CDS à titre de véhicule d’assurance et nuit à la capacité qu’ont les investisseurs de se couvrir », disait à Fortune Bob Gelfond, chef de la direction du fonds de couverture MQS Asset Management.

Mais il y a plus : l’émission de CDS s’avère un geste qui ajoute encore à l’extraordinaire irresponsabilité qui prévaut au sein de ces instruments. « On est à un terme ultime d’irresponsabilité », disait Peter Tchir, chef de la direction du fonds de couverture TF Market Advisors dans le même article de Fortune. « Si un pays fait défaut sur ses dettes, les banques européennes domiciliées dans le même pays vont aussi faire défaut sur leurs dettes et ne paieront pas; alors, pourquoi ne pas vendre de la protection maintenant et faire bien de l’argent? »  Et l’article de Fortune de demander : advenant un défaut de pays comme le Portugal, l’Espagne ou l’Italie, « qu’arrive-t-il alors à tous ces papiers que les banques américaines ont acheté de leurs amis européens? »

Un tel jour surviendra-t-il? Plusieurs spécialistes ne le croient pas, jugeant que la Banque centrale européenne (BCE) va couvrir les dettes gouvernementales pour lesquelles des CDS ont été signés, établissant un plancher à n’importe quelle perte. Mais les ressources de ces « banques de dernier recours » comme la BCE ou la Réserve Fédérale américaine ne sont pas infinies. Et tandis qu’elles volent au secours de leurs banques avec l’argent des payeurs de taxes (car ce sont ultimement les contribuables qui payent la note de ces prêts interminables), ces vénérables institutions contribuent à dévaloriser les monnaies et alimentent les feux d’une inflation future.

Les gageures sont ouvertes, car c’est une page de l’histoire financière qu’il reste à écrire.

YAN BARCELO

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Alerte aux échecs de transaction


Vous venez d’acheter des actions auprès de votre courtier. Normalement, vous attendriez à ce que vos actions aient été déposées dans votre compte  dès le moment que vous payez. Pour bien des investisseurs, surtout aux États-Unis, c’est de moins en moins le cas. Le nombre d’actions fictives, semble-t-il, dépasse de beaucoup le nombre d’actions réelles. Et c’est un problème qui pourrait devenir un jour particulièrement troublant.

Entre le 1er novembre 2010 et le 30 avril 2011, les actions de Barker Minerals Ltd, de Colombie Britannique, ont connu 4,2 millions d’échecs de transaction ou de retards de règlement. Au 31 août, 1,8 million de transactions n’avaient toujours pas été fermées. Certains mois, les échecs représentaient entre 50% et 70% des actions émises. Par exemple, en avril 2011, alors que 4,22 millions de ventes et d’achats d’actions avaient supposément été fermées sur le parquet du TSX, seulement 1,36 million avaient effectivement été réglées à la chambre de compensation CDS, un taux d’échec de 69%.

Aux États-Unis, le président d’une entreprise loge auprès de son courtier une commande d’un million $ pour 50 000 actions de sa propre compagnie. Trois jours plus tard, comme c’est pratique courante, on retire l’argent de son compte pour régler la transaction. Mais les actions ne sont pas déposées à son compte. Deux semaines plus tard, elles ne le sont toujours pas, ce que son courtier lui confirme par écrit. Plus encore, dans une deuxième lettre, celui-ci avoue sans ambages : « Après discussion avec mes négociateurs, nous sommes incapables de trouver les actions demandées, que ce soit pour les emprunter ou les acheter ».

 150 milliards $US par jour

De tels échecs de transaction ne sont pas une exception occasionnelle, selon Fred Sommers, président de Basis Point Group, à Toronto, un spécialiste des systèmes de règlement et de compensation. Celui-ci a colligé un ensemble de chiffres à partir de divers rapports produits par la Réserve Fédérale américaine, la Securities Exchange Commission et l’Organisme canadien de réglementation du commerce des valeurs mobilières (OCRCVM).

Selon ses compilations, les échecs de transaction, aux États-Unis surtout, atteignent depuis quelques années des niveaux alarmants, tout particulièrement dans le secteur des fonds négociés en bourse (FNB), un secteur qui a connu une faveur fiévreuse au cours des dernières années. À la fin d’août 2011, les transactions échouées représentaient 7,5% de la valeur totale des transactions, les FNB concentrant depuis l’été 2011 75% de tous les échecs de transactions, tous secteurs confondus. Deux FNB accaparent, à eux seuls, 20,9% de tous les échecs. Il s’agit du SPDR S&P 500 ETF (15,3%) et du iShares Russell 2000 Index (5,6%).

Au Canada, nous ne disposons pas du nombre d’échecs relatifs aux FNB, mais les chiffres de Fred Sommers indiquent que dans le domaine des actions, ils représentaient, en avril 2010, environ 1,6% de la valeur totale des transactions d’actions.

Un chiffre est particulièrement troublant. Fred Sommers constate que chez les 21 négociants de premier plan (Goldman Sachs, JP Morgan Chase, Citicorp, etc.), les échecs de transaction quotidiens s’élevaient de juillet 2010 à juillet 2011 à environ 150 milliards $US. Or, note M. Sommers, « c’est plus que la capitalisation totale de ces joueurs qui, elle, s’élève à environ 90 milliards $US ».

 Jeux de marge et de fiction

Pourquoi tant de transactions échouent-elles? Personne ne le sait vraiment, mais il est urgent d’y voir. Car ces 21 négociants comptent parmi les entreprises les plus sophistiquées au monde et disposent des systèmes informatiques les plus performants, fait-il ressortir. Comment peuvent-ils échouer autant chaque jour?  Soit qu’ils disposent des systèmes opérationnels les plus amochés au monde, juge M. Sommers, bien qu’il n’en croit rien, ou alors ils le font exprès.

Robert Pouliot, associé du programme FidRisk et chargé de cours en finance à l’UQAM, croit que les actifs dont le règlement échoue servent aux négociateurs à une foule d’activités de prêt de titres. Les négociateurs, dit-il « gagnent plus d’argent en prêtant les titres que par l’exercice de courtage et les commissions qu’ils engrangent. » Voilà un incitatif très fort de ne pas livrer les titres promis.

Fred Sommers, souscrit à cette idée, mais il y a plus, selon lui. Aux États-Unis, le paiement qu’effectue un investisseur pour sa commande de titre n’est pas simultané à la livraison des titres. Pendant trois ou quatre jours, pendant quelques semaines même, le courtier et les négociateurs ont le loisir de courir non seulement avec les titres des investisseurs, mais aussi avec leur argent.

Or, si M. Sommers a raison, entre les mains de négociateurs avisés, les 150 milliards $ de valeur de transactions échouées peuvent être vite augmentés par effet de levier de deux à dix fois cette valeur initiale. Pour faire quoi? Mille et une opérations de swaps, de futures ou de hedging, dont on récolte profits ou pertes.

En fait, il n’est même pas nécessaire qu’une transaction soit avortée pour que les joueurs du marché puissent profiter de cet argent « libre ». Au Canada, selon un porte-parole de CDS Clearing and Depository Services, le système de compensation interdit un tel flottement monétaire. « Notre système opère de façon telle que l’argent n’est émis que contre la livraison des valeurs. »

Mais aux États-Unis, confirme Susanne Trimbath, présidente de STP Advisory Services, le paiement et la livraison de valeurs ne sont pas contemporains. Souvent, l’argent est retiré du compte d’un investisseur dès le premier jour, assurément au troisième jour.

Or, Mme Trimbath est une experte en règlement et compensation, ayant fait carrière dans les applications d’arrière-guichet, dont six ans à l’emploi de Depository Trust Company, l’équivalent américain de CDS. Selon elle, la situation est bien pire que ce que laissent soupçonner les chiffres de Fred Sommers. Si tant de transactions échouent, juge-t-elle, c’est tout simplement parce que les valeurs n’existent pas. Elles circulent comme autant de titres fictifs qui servent à mener des foules d’opérations spéculatives, comme par exemple vendre à découvert le titre de Barker Minerals, auprès de qui Mme Trimbath agit à titre de consultante.

« C’est une situation extrêmement difficile, dit-elle, parce que personne dans les mécanismes de compensation de capital ne veut admettre que le système est à court de quelques billions de dollars (le PIB canadien est d’environ 1,5 billion $). Les investisseurs se font avoir et ils n’en savent rien.»

Or, non seulement les investisseurs se font-ils avoir, mais ce déficit démesuré pose un risque systémique qui croît de jour en jour.

Ian Barcelo

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L’athée fidèle 2

Yan Barcelo, 2 octobre 2011

(Je poursuis cette semaine avec une critique, entreprise la semaine dernière, du livre L’esprit de l’athéisme, Introduction à une spiritualité sans Dieu, du philosophe français Albert Comte-Sponville. A titre de principale critique, j’exprimais l’opinion que Comte-Sponville se méprend sur l’impulsion humaine fondamentale qui donne naissance à la religion et à la spiritualité.)

L’espérance et la foi que dénonce Comte-Sponville sont inhérentes à toutes les religions. Dans le christianisme, ces vertus théologales se fixent sur la volonté de Dieu et de son royaume, dans le bouddhisme, sur les infinies sagesses du Dharma et du lieu de repos final, le Nirvana. Peu importent les formes exaltées que prennent la projection de l’espérance et de la foi humaine, cette espérance et cette foi expriment une réalité et une interrogation fondamentales, que voici : nous sommes aux prises avec un monde difficile et extrêmement laborieux dans lequel nous sentons l’appel de devoirs moraux et d’exigences spirituelles. Ces devoirs et exigences nous imposent souvent beaucoup d’efforts, de sacrifices, de souffrances. Tout cela est-il en vain? La loi morale et l’appel de l’esprit qui nous hantent ne sont-ils que des leurres? Des illusions? Ou existe-t-il – et c’est ici la question essentielle – existe-t-il un ordre universel, cosmique, final qui « charpente » et justifie ultimement cette loi et cet appel. Et sommes-nous tenus d’harmoniser nos vies avec les exigences de cet ordre universel? Nous ne le savons pas. Nous pouvons seulement y croire, y investir notre foi. Et, y posant notre foi, cela nous donne l’appui nécessaire pour poursuivre notre laborieux et difficile chemin.

Comte-Sponville croit aussi à la valeur intrinsèque de la loi morale, mais en lui retirant l’appui des échafaudages d’arrière-monde. Pour un individu, cela peut passer. Mais pour une culture et une civilisation, c’est un jeu dangereux. Car, enlever ces échafaudages et ces points d’ancrage dans l’invisible métaphysique d’un monde divin (ou d’un monde nirvanique), c’est ouvrir la morale et l’ordre social aux menaces du relativisme, de la sophistique et du nihilisme. Comte-Sponville reconnaît volontiers la présence mortifère des deux derniers ennemis, mais il s’accommode volontiers du relativisme, reconnaissant que l’ordre moral est dépendant des sociétés et de l’éducation. C’est un terrain où aucune tradition spirituelle ne va le suivre. Toutes considèrent la loi morale comme étant universelle, intrinsèque à l’humain et non conditionnée.

Or, qu’est-ce que Dieu? (Question que me posait la semaine dernière un lecteur de mes chroniques.) Je ne sais pas. Personne ne le sait, bien que certains, parmi les plus grands mystiques, disent en avoir eu la vision. Mais quant à moi, et pour le commun des mortels, Dieu est la figure qui, en Occident, « incarne » cette justification du labeur d’une vie. Certains appellent ce point Allah, d’autres lui donnent le nom de Brahman, ou encore du Grand Manitou ou de Bouddha. Quel que soit le nom qu’on lui donne, ce point est le lieu d’accueil et de repos ultime et final où l’odyssée de l’individu moralement constitué et spirituellement troublé trouve son point d’aboutissement. Mais ce point d’accueil n’agit pas seulement comme un havre où on va finalement mettre son navire en quille, il est aussi un impératif qui appelle et exige la conformité à Sa Loi et Sa Volonté.

Le christianisme a développé un « modèle » de Dieu comme étant personnel et créateur. Pour l’hindouisme, il est impersonnel et non créateur. Pour le bouddhisme, il n’y a pas Dieu; son rôle est toutefois tenu dans par les notions de Dharma et de Nirvana.

Au fond, peu importent les attributs spécifiques qu’on donne à Dieu, à Brahman ou à Dharma. Ce qui importe, c’est le rôle que ces notions sublimes jouent dans l’orientation et l’engagement du destin individuel de chaque humain en chemin vers l’Absolu.

Cependant, la façon dont on définit l’Absolu est loin d’être sans conséquences au niveau des civilisations. La tradition judéo-chrétienne a défini Dieu comme s’inscrivant dans l’histoire et animant celle-ci d’un souffle d’amour. Et cet amour embrasse dans son déploiement tout le monde matériel et entraîne le service actif à l’endroit du prochain. Cette notion sublime est absente des autres grandes religions et spiritualités. Si elle y a fait son apparition, ce n’est que dans les 150 dernières années, au contact justement du christianisme. Mais pour ces traditions, le monde est une vallée de larmes et de souffrances dont il s’agit de s’évader, un point c’est tout. Il ne s’agit pas d’y contribuer, d’y faire œuvre scientifique, politique, éducationnel ou autre. Il faut s’en éjecter : tel est le rôle assigné à la pratique spirituelle.

Or, la spiritualité que propose Comte-Sponville est à cheval sur deux bases instables. D’un côté, il adhère aux acquis des valeurs et de la morale chrétienne, ce qui entraîne un engagement volontaire dans les œuvres de ce monde. Et il se montre à la mesure de cet engagement. De l’autre, il souscrit à une spiritualité héritée de l’Orient, tout axée sur la sortie du monde. D’un côté – le côté chrétien – il ne retient rien des arrières-mondes métaphysiques et divins qui ont accouché de l’héritage chrétien, auquel il souscrit pourtant. C’est une position bien fragile. Car enlevez les bases à un édifice, que va-t-il lui arriver?

Mais sa position est tout aussi fragile du côté spirituel. Car il ne retient pas des traditions orientales les arrières-monde du Dharma et de la métempsychose (ou les cycles de réincarnation) qui sous-tendent et structurent le labeur de cette vie humaine. D’un côté comme de l’autre, il suspend les individus et les cultures au-dessus du néant. Position très inconfortable et susceptible de créer plus de désespoir et de dépressions que d’enthousiasme et de vitalité.

Finalement, la faille essentielle du credo athée de Comte-Sponville tient à sa position héritée du relativisme nietzschéen et de la pensée de l’absurde , deux positions pratiquement incontournables pour quiconque se définit en tant qu’athée en Occident. Pour lui, l’impératif moral, auquel il souscrit par ailleurs, est sans fondement universel. À ce chapitre, il est un relativiste « soft ». Mais il y a plus : ce qu’il appelle le mal de la nature, cette prévalence omniprésente de la violence, de la brutalité et de la souffrance dans le monde animal et dans l’humanité, un « mal » sans justification aucune. Si l’esprit humain, dans ses activités de pointe de l’art, de la philosophie et de la mystique, réussit à s’élever au-dessus de ce gouffre sans fond de violence, ce n’est pas parce que l’œuvre spirituel s’inscrit dans une vaste économie cosmique où des formes de vie moins avancées font péniblement leur chemin vers la lumière divine. Non, cela tient d’une sorte de hasard évolutionniste de type darwinien lié à une quelconque mutation aléatoire.

Finalement, je salue le travail de Comte-Sponville et je crois qu’il part « d’un bon naturel » comme dit le chêne dans la fable de La Fontaine. Mais le résultat auquel il arrive est une sorte de créature inachevée de laboratoire, un monstre conceptuel en éprouvette. Il y a encore du travail à faire sur cet organisme philosophique avant qu’il puisse vivre et prospérer à la pleine lumière du jour. Je fais le pari que, lorsque ce jour arrivera, cet organisme ressemblera beaucoup à la sublime sculpture spirituelle et morale que le christianisme nous a léguée.

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L’athée fidèle 1

Yan Barcelo, 25 septembre 2011

Après avoir lu le brûlot de Michel Onfray, son Traité d’athéologie, j’ai entrepris la lecture d’un autre livre « athéologique », L’Esprit de l’athéisme, Introduction à une spiritualité sans Dieu, d’Albert Comte-Sponville.

Voilà un ouvrage beaucoup plus substantiel que celui d’Onfray (dont j’ai été fort déçu). Mais je lui trouve des failles importantes.

Comte-Sponville propose un « athéisme fidèle », c’est-à-dire la position d’un homme qui, ayant perdu la foi dans les propositions religieuses et spirituelles chrétiennes, n’en demeure pas moins fidèle aux valeurs et vertus héritées de ces propositions. Comme il l’écrit, « la fidélité, c’est ce qui reste de la foi quand on l’a perdue ».En bref, il s’agit d’une sorte de christianisme, mais sans Dieu et, surtout, sans l’Église.

Il ne se contente toutefois pas de faire table rase, ce que fait Onfray. Il propose un autre chemin, une « spiritualité athée » aux accents fort authentiques et qui s’apparente à la spiritualité zen bouddhiste. Il appuie son propos sur quelques expériences « mystiques » qu’il a connues et qui ont le même caractère que l’expérience du kensho, véhiculée dans le zen. C’est-à-dire un moment d’illumination où l’être du monde se dévoile dans sa totale ainsité immédiate, où les frontières de l’ego se dissolvent pour laisser place à la vision de notre unité totale et indissoluble avec tout. À un tel moment de dévoilement se greffent des perceptions  très fortes de plénitude, de sérénité, de présence immédiate de l’éternité, de lien à l’absolu.

En un mot, c’est tout le programme bouddhiste de l’illumination que propose Comte-Sponville, mais en faisant l’économie de tout le corpus religieux et métaphysique que le bouddhisme traîne forcément. Le vocabulaire demeure occidental et résolument tourné vers l’héritage philosophique et religieux chrétien : on ne parle pas de compassion, mais bien d’amour ; on ne parle pas de dharma, mais de loi morale; on ne parle pas de l’illusion de la réalité, mais de justice sociale.

Son livre s’article en trois grands moments. Dans le premier, il remet en question le bien-fondé des religions; dans le second, il remet en question la croyance en Dieu; dans le troisième, il propose son programme spirituel et mystique.

Il y a dans tout cela quelques failles fondamentales. La plus importante, à mon sens, est de se méprendre sur l’impulsion essentielle de la religion et de la spiritualité. Il croit que cette impulsion est fondée dans la figure illusoire de Dieu et dans l’espérance, tout aussi illusoire, que porte cette figure, c’est-à-dire l’attente d’un monde meilleur et parfait qui va nous consoler des brutalités et de l’imperfection de celui-ci.

Tel n’est pas, je crois, l’impulsion originelle des religions. Cette impulsion, elle provient de la simple station de l’homme dans l’existence, dénué d’orientation claire, et surtout, nu et totalement ignorant devant le grand inconnu de la mort. La question fondamentale des religions n’est pas Dieu ou non-Dieu; la question fondamentale est la mort ou l’immortalité.

S’il y a la mort, si celle-ci est radicale et définitive, alors tout le sens de la vie, de sa valeur morale et spirituelle, sont remis en question. Plus encore, se dissolvent. Or, toutes les religions et spiritualités ont répondu que la mort n’est pas la fin. Que « les choses » continuent au-delà, pour le meilleur et pour le pire. Toutes les religions ne croient pas en Dieu. Comte-Sponville indique à juste titre que le bouddhisme, le confucianisme et le taoisme en sont trois exemples évidents. Cependant, toutes les religions croient que la mort n’est pas définitive, que « quelque chose » (âme, esprit, nœuds karmiques) se poursuit, et que cette continuation se fait en réponse aux actions et aux attitudes bonnes ou mauvaises que nous avons manifestées dans notre vie. Dans le christianisme, cette continuité se fait dans les après-mondes du purgatoire et de l’enfer; dans le bouddhisme et l’hindouisme, elle peut se faire dans des après-mondes de dieux ou de démons, ou dans d’autres incarnations sur Terre.

(Suite la semaine prochaine.)

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Lecture athéologique 3

Yan Barcelo, 18 septembre 2011

 (J’ai entamé la semaine dernière une critique du Traité d’athéologie, du philosophe Michel Onfray, dont je poursuis ici le troisième volet).

Ce que Michel Onfray et ses acolytes athéologues d’obédience matérialiste manquent de comprendre, c’est qu’un des premiers attributs du plaisir est son impatience, car il est dominé par la pulsion. L’appel du plaisir exige sa pitance, et vite. Et c’est la tragédie fondamentale du credo athée (ou est-ce une myopie voulue) : l’exigence immédiate du plaisir exercée par une minorité contribue à miner la possibilité de plaisir pour la majorité.

La crise financière et économique qui sévit depuis 2007 en est l’illustration exaltée. L’avidité grotesque de Wall Street et de presque tout le monde financier s’affiche comme la fable morale de notre époque athée. Le frein de la conscience morale est grippé et ne fonctionne plus. À quoi avons-nous alors affaire? À une bande d’adolescents attardés incapables de retenir leur pulsion de plaisir et prêts à toutes les contorsions intellectuelles et morales pour le satisfaire. Et quelle est le garant ultime et « sacré » de la satisfaction du plaisir? L’ARGENT. Voilà l’« impensé impensable » d’une morale athée.

Lisez bien les écrits de Nietzsche, à la fois Christ et Saint-Paul de l’athéisme contemporain. Nous avons affaire là à une pensée foncièrement élitiste, une idéologie qui se rattache au vieux monde païen et pré-chrétien où la vertu première était la force. Et comme par hasard, c’est la vertu cardinale à laquelle souscrit Nietzsche. Ce dictat de la force appelle un ordre simple et cohérent : le faible doit être tout en bas de la pyramide sociale et surtout ne pas troubler les élites qui, elles, se donnent les moyens de leurs plaisirs en accaparant avidement tous les moyens de production de l’argent.

Consciemment – et plus probablement inconsciemment – le programme athéologue d’Onfray est celui d’élites oligarchiques qui ne veulent plus s’encombrer de freins moraux ou religieux, qui veulent être auto-justifiés de s’emparer de tout ce qui leur passe sous la main.

Entretemps, les fondements de notre civilisation s’émiettent et celle-ci s’enfonce imperceptiblement, inexorablement. Pour ma part, c’est dans les traits de caractère et les vertus des citoyens eux-mêmes que je vois les signes de cette lente destruction.

Aucune civilisation ne s’est construite sur des visions à court terme. Les « arrière-mondes » que tente de démanteler Onfray peuplaient l’horizon et justifiaient les efforts à long terme des peuples. On était prêt à sacrifier le plaisir immédiat pour un plus grand bien : l’éducation des enfants, la recherche d’un médicament, la mise en place d’un système politique plus juste, etc. Cette multitude d’actions, fruit d’un labeur patient et dévoué, trouvait son point d’ancrage dans un horizon très lointain, un ciel promis, qui justifiait ultimement tous les sacrifices et les douleurs du parcours. La culture privilégiait forcément les vertus de la longue durée : la persévérance, l’effort, l’endurance, la patience, l’humilité, la tempérance, le stoïcisme, la charité.

Enlevez cet horizon, il reste quoi? Le présent? Ce serait formidable, mais très-très peu de gens ont la force et l’endurance du réel présent. Non, ce qui reste, c’est le court terme, la revendication du plaisir ici et maintenant, et avec cela, toutes les nouvelles « vertus » que les cultures traditionnelles voyaient comme des faiblesses : le refus de l’effort, le mépris de l’intellectualité, la mollesse, l’obésité, l’indécision, l’indignation revendicatrice, l’avidité et la compulsion.

Le programme athéologique d’Onfray est un leurre. Il ne fait finalement rien de plus que saccager les monuments du passé en se réclamant de nouvelles valeurs et de nouvelles vertus qui n’en sont pas, ou qui sont d’autant plus illusoires qu’elles sont, dans ses propres termes, « impensées et impensables ». Voici déjà 100 ans que l’Occident s’est engagé sur la voie athéologique tracée par d’autres, dont Onfray n’est qu’un arpenteur tardif, et elle nous mène à la ruine.

Le salut ne repose pas dans cette stratégie de terre brûlée qui ne dit pas son nom. Il est dans la redécouverte de Dieu et de notre héritage chrétien, qui demeure l’héritage le plus original et le plus unique à avoir surgi dans toute l’histoire humaine.

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Lecture athéologique 2

Yan Barcelo, 11 septembre 2011

(J’ai entamé la semaine dernière une critique du Traité d’athéologie, du philosophe Michel Onfray, dont je poursuis ici le deuxième volet).

Au fin fond, le livre d’Onfray n’est qu’un autre brulot anticlérical. Avec la différence qu’il n’hésite pas à jeter le bébé avec l’eau du bain : l’Église et la Synagogue, certes, mais Dieu, Christ et Yahweh tout en même temps. Il appelle ardemment de ses vœux une société laïque résolument post-chrétienne, c’est-à-dire lavée et essorée du moindre vestige chrétien.

Pour mettre quoi à la place? Le voici en résumé, en opposant les termes de l’ancien – conspué – et du nouveau –ardemment désiré :

De quoi travailler ensuite à une nouvelle donne éthique et produire en Occident les conditions d’une véritable morale post-chrétienne où le corps cesse d’être une punition, la terre une vallée de larmes, la vie une catastrophe, le plaisir un péché, les femmes une malédiction, l’intelligence une présomption, la volupté une damnation.

Quelle est la valeur cardinale sous laquelle se pose ce nouvel arsenal « moral »? Tenez-vous bien, la révélation est proche : le plaisir. C’est fulgurant comme dévoilement. Évidemment, on sait combien les humains ont tendance à prendre leur plaisir aux dépens de leurs prochains, ce qui tend, à son tour,  à réduire d’autant le plaisir de ces derniers. C’est sans compter les simples conditions fondamentales de la vie qui ne sont pas génératrices de tant de plaisir que ça : le boulot, les rêves et les ambitions amputés, la maladie, la mort… Devant ces éteignoirs de plaisir, que faire? Onfray n’est pas très clair là-dessus. Il nous dit que nous devons apprendre à regarder la dure et tragique réalité en face et de… de quoi, donc? Ben, de serrer les dents, que diable! Il faut être fait fort et dur, prendre virilement les flagellations de la vie, et la célébrer quand même, en récoltant avidement les plaisirs qu’elle nous propose parcimonieusement, tous ces petits plaisirs du quotidien, peut-être même de l’annuel, mais généralement ténus et sans joie.

Je dois admettre que j’élabore à partir du propos d’Onfray. Mais je plaide l’innocence : comme chez Nietzsche et tant d’autres chantres de la « sainteté » de la vie sous un ciel vidé, les propositions concrètes, chez Onfray, visant à meubler la société de la « célébration de la vie » sont très courtes. Reproduisant pourtant ce qu’il reproche aux vieilles religions, il préfère détruire et saccager l’héritage reçu. Après, on verra.

Bien sûr, Onfray tente d’ouvrir quelques portes, mais elles demeurent essentiellement obscures. « L’athéisme, écrit-il, ne doit pas fonctionner comme une fin seulement. Supprimer Dieu, certes, mais pour quoi faire? Une autre morale, une nouvelle éthique, des valeurs inédites, impensées car impensables, voila ce que permettent la réalisation et le dépassement de l’athéisme. »

Je dois dire que je répugne instinctivement à un programme qui propose une éthique « impensée car impensable ». Bien sûr, quand il dit « impensable », il signifie que les nouvelles valeurs d’une société nietzschéenne ne peuvent pas être pensées encore, car nos vieux schémas monothéistes persistent et nous aveuglent face à l’avenir radieux qui, bien qu’impensable, se profile pourtant dans un lointain firmament post-chrétien.

En attendant la formulation de cet « impensé impensable », la valeur dominante et presque unique de nos sociétés de plus en plus athées et laïques demeure le plaisir. Au niveau plus primaire, l’univers du commerce et de la publicité nous vend constamment l’attrait des plaisirs de premier niveau : sensations fortes, narcissisme triomphant, affirmation de la puissance individuelle. À un niveau épuré, surtout dans les élites intellectuelles, on parle de « plaisir de l’intellect », «plaisir des arts », « plaisir de la lecture ».

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Lecture athéologique 1

Yan Barcelo, 4 septembre 2011

J’ai entrepris depuis quelques jours une lecture du Traité d’athéologie, du philosophe français Michel Onfray. Il est intéressant de trouver là, condensé en quelque 300 pages, l’essentiel de l’idéologie athée qui prévaut dans les milieux intellectuels d’aujourd’hui.

Comme le souligne Onfray, l’athéisme pur est rare. On rencontre toutes sortes d’athées soft, qui n’ont pas vraiment réfléchi à leur affaire, ou des athées chrétiens, qui adoptent une grande partie de la morale et des valeurs chrétiennes, qui saluent par exemple la figure de référence du Christ, messager de l’amour d’autrui – Dieu en moins.

Chez Onfray, c’est un athéisme pur et dur qu’on trouve. Ici, toutes les constructions religieuses fondées sur des arrières-mondes invisibles, toute la morale et toutes les valeurs héritées de la Bible et des Évangiles, Jésus, Dieu, Abraham, Mahomet – Fini ! Mort! Enterré!

Cependant, le titre du livre d’Onfray est trompeur. Dans les traités théologiques, on discourait sur Dieu et sur ce qu’Il implique pour l’existence humaine. Thomas d’Aquin le fait pendant des milliers de pages. Chez Onfray, on manque d’avoir un discours équivalent de ce qu’un monde sans Dieu et sans religions implique. Quelques phrases de-ci de-là, quelques suggestions, mais rien de substantiel. Car le livre n’est pas un traité, mais un pamphlet où il tire à boulets rouges sur les trois monothéismes (chrétien, judaïque et musulman).

L’argument est simple, pour ne pas dire simpliste (quoique très bien écrit) : les trois monothéismes n’ont strictement rien contribué à l’humanité. Rien-rien du tout. Ils n’ont traversé les siècles qu’en exaltant l’instinct de mort, en ridiculisant la raison, en obstruant systématique la science, en dévitalisant les corps, en niant et méprisant la matière, en amenuisant et asservissant les femmes. Bref, ils ont systématiquement colonisé, asservi, tué, massacré, irrémédiablement tenté de rapetisser et d’étouffer le monde matériel au nom de l’idéal inatteignable d’un Paradis. La rengaine est bien connue. Si l’argument d’Onfray avait été un tantinet plus nuancé, il aurait gagné en crédibilité. Mais la hargne et le ressentiment se lisent à chaque page, chaque paragraphe, chaque ligne.

Il est ironique qu’Onfray cite en ouverture le saint patron de l’athéisme radical, le philosophe allemand Friedrich Nietzsche. La citation, tirée de Ecce Homo, se lit comme suit :

La notion d’« au-delà », de «monde vrai » n’a été inventée que pour déprécier le seul monde qu’il y ait – pour ne plus conserver à notre réalité terrestre aucun but, aucune raison, aucune tâche. La notion d’« âme », d’« esprit » a été inventée … pour apporter à toutes choses qui méritent le sérieux dans la vie – les questions d’alimentation, de logement, de régime intellectuel, les soins à donner aux malades, la propreté, le temps qu’il fait – la plus épouvantable insouciance.

S’il avait un peu mieux lu son histoire universelle et religieuse, Onfray aurait constaté que plusieurs de ces « choses sérieuses » ont été mises à l’honneur en premier lieu par les grandes religions monothéiste, tout particulièrement la chrétienne. Je donne quelques exemples, parmi les plus évidents. Les soins à donner aux malades et la mise en place d’hôpitaux et d’orphelinats sont le fait du christianisme; dans aucune autre religion ne trouve-t-on l’équivalent, loin s’en faut. Les questions d’alimentation ont été des préoccupations constantes des abbayes du Moyen-Âge et c’est sur leurs vastes propriétés qu’ont été appliquées les avancées majeures du collier de cheval appuyé sur le torse de l’animal et du soc de charrue à labourage profond, des technologies qui ont permis la première révolution verte et l’émergence des villes. La propreté? C’est une obsession des religions, tout particulièrement en Islam. Bien sûr, le christianisme a longtemps négligé la propreté du corps, ce qui est une cause probable des grandes épidémies comme la peste noire; mais c’est une erreur qui a été rattrapée. Quant au régime intellectuel, les premières universités du monde sont nées en Europe, pourtant chrétienne – certainement pas dans les mondes hindouistes et bouddhistes – et les plus grands penseurs de l’Occident ont systématiquement été éduqués chez les « curés », qui ont détenu pendant longtemps le monopole de l’éducation.

Est-ce une raison pour blanchir totalement les monothéismes des accusations que leur porte Onfray et tant d’athéologues à sa suite? Pas du tout. Ils ont été sanguinaires, répressifs, destructeurs, réducteurs, obscurantistes, mais guère plus que ne l’ont été les royaumes et empires avant eux et autour d’eux : invasions des Grecs, des Macédoniens, des Romains, des Mongols, des Chinois, des Japonais, et j’en passe. Évidemment, ces peuples, pour justifier leurs guerres, les ont toujours drapées d’oripeaux religieux en s’assurant que les consultations des esprits avant les combats leur étaient toujours favorables.

Le drame pour les monothéismes, c’est qu’ils sont en contradiction flagrante avec plusieurs de leurs dogmes religieux qui interdisent le meurtre et proclament l’amour du prochain. C’est tout particulièrement le cas du christianisme, pour qui le message d’amour du Christ est fondateur. Mais on peut reconnaître cette vertu, au moins au christianisme: tout en contredisant dans nombre de ses actions le message du Christ, il a néanmoins porté ce message et, malgré les carences d’une majorité de ses messagers, plusieurs l’ont souvent incarné. Un exemple entre mille : si l’institution de l’esclavage a été finalement abolie en Occident, c’est grâce au substrat intellectuel du christianisme. Certes, il a fallu pour assurer ce triomphe plus de 1800 ans, mais malheureusement l’histoire nous montre que les plus grandes idées mettent des millénaires à prendre racine. Et encore, l’abolition de l’esclavage n’est qu’une première victoire, presque dérisoire face à d’autres qu’il faut encore remporter.

Finalement, c’est cette contradiction de fond qu’on ne pardonne pas au christianisme tout particulièrement, Onfray n’y faisant pas exception. On est impatient, à l’image de toute notre époque. On voudrait que le message du Christ s’incarne illico presto. Mais la dureté du cœur humain y oppose un profond et durable obstacle.

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Nos viaducs et nous

Yan Barcelo, 28 août 2011

La décomposition de nos infrastructures est un salut à l’esprit de notre génération. Nos viaducs s’écroulent, comme c’est le cas partout en Amérique du Nord; nos instatallations d’eau coulent de partout et perdent de 20 à 40% de l’eau qu’elles sont supposées transporter, comme c’est le cas ici et en Europe.

Notre « génération lyrique » du baby-boom et celle qui a suivi, la génération X, n’avaient pas la tête à ces choses prosaïques, pour ne pas dire basses et grossières. Des ponts et chaussées, pouah! De la plomberie municipale, pouah! Nous n’en avions que pour de la « valeur ajoutée », surtout de « la valeur ajoutée aux actionnaires ». Tout ce qui était bon pour faire saliver l’imagination des gens et en tirer une piastre, nous nous y sommes précipités avec un irrépressible enthousiasme : les bidules technos à la mode, les savants montages financiers, les jeux vidéos qui entraînent les jeunes à devenir des assassins et des criminels, les rutilants festivals de musique rock, et alouette. Rien dans tout cela de valeur fondamentale.

Mais au fait, y a-t-il une telle chose que de la valeur « vraie »? Je me souviens une conférence donnée au milieu des années 1980 par Kimon Valaskakis, un émérite économiste de l’Université de Montréal qui avait l’art de se mettre à toutes les modes du jour. Quelqu’un lui avait demandé s’il n’y avait pas certaines choses qui avaient plus de valeur économique que d’autres. Par exemple, on lui demandait si le fait de construire une automobile n’avait pas une valeur économique supérieure à réalisation d’un film. À ce moment-là, Valaskakis fonctionnaire à la mode des sophismes monétaristes. Il a répondu à son interlocuteur par une question de son cru : « Frank Sinatra qui chante l’hymne américain à l’ouverture du Super Bowl et qui gagne 10 millions $ pour le faire ne produit-il pas autant « valeur », sinon plus, que n’importe quel fabricant industriel. » En d’autres termes, ce qui a de la valeur n’est pas la transaction économique qui a cours entre deux partis, c’est le signe de dollar qui recouvre l’échange. C’est le mensonge intellectuel sur lequel nous avons érigé au cours des 30 dernières années les tours chancelantes de notre économie.

Aujourd’hui, la notion de valeur avec laquelle nous avons perverti notre économie fait en sorte qu’un jeune est capable de filer à bicyclette en écoutant son iPod et en chattant sur son iPhone, mais il est incapable de réparer sa bicyclette si elle casse et il risque de se retrouver à l’hôpital en heurtant un nid de poule gros comme un cratère. Nous savons comment faire venir le monde à l’écran de notre ordinateur par Internet, mais la tuyauterie qui amène l’eau jusqu’à notre robinet coule de partout. Et faire un voyage de Montréal à New York ressemble à une expédition au tiers monde.

Est-ce à dire qu’il ne faut avoir ni iPod, ni iPhone, ni Internet, et qu’il faut s’occuper uniquement de ponts et chaussées, de patates et de choux. Ne soyons pas absurdes. Mais il est certain que trois générations se partagent le monde aujourd’hui qui ont perdu le sens des valeurs économiques fondamentales, sans compter nombre d’autres valeurs humaines et sociales tout aussi fondamentales.

Comme je le disais dans les pages de mon essai SIDA de civilisation, nous en sommes venus à boucher tout l’horizon intellectuel qui donnait appui et justifiait les vertus et les valeurs de longue durée. Par exemple, les vertus de persévérance, de méticulosité au travail, de civisme, de projet éducatif à long terme, de création de prospérité collective. Notre engloutissement dans le plaisir de l’instantanéité nous pousse à chercher la gratification la plus immédiate et nous emprisonne dans le court terme. On ne cultive plus la persévérance, mais plutôt l’impatience chronique devant le prix de Loto qu’on veut gagner. On ne cherche plus à créer de la prospérité collective, on veut seulement empocher le magot au plus sacrant en inventant mille stratagèmes financiers pour y parvenir.

Et cela fait en sorte nous avons bien du fun à écouter une « toune » rock, enfermés dans la bulle sonore de notre iPod, et pendant ce temps-là le viaduc sous lequel on passe nous tombe dessus.

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Le capitalisme intellectuel – 3

Yan Barcelo, 21 août 2011

Les entreprises les plus sophistiquées ne voient plus les brevets comme de simples instruments défensifs, ce qui était le cas il y a encore 10 ans, mais comme des armes offensives.

Les exemples abondent. Au moment de son grand chambardement stratégique au début des années 1990, IBM a revu de fond en comble son coffre au trésor de brevets. A ce moment-là, la multinationale ne réalisait des revenus que de 30 millions US de dollars liés à des licenses sur ses brevets. Une radicale mise en valeur a fait en sorte qu’en 1999, Big Blue avait rehaussé ces revenus à plus d’un milliard de dollars $US, des revenus nets de toute dépense représentant près d’un cinquième de ses profits avant impôts.

Gillette, au moment de développer son nouveau rasoir Sensor, s’est assurée de se découper un territoire de propriété intellectuelle exclusif, pour ne pas dire monopolistique. La firme a obtenu 22 brevets pour des choses aussi pointues que l’angle des lames, le positionnement des ressorts, la composition du manche. Elle est allée aussi loin que de breveter la boîte, conçue pour émettre le son masculin approprié quand le consommateur l’ouvre.

L’entrepriseAvery Denison a fait la démonstration d’une campagne en mode offensif. Avant de se lancer dans le domaine des étiquettes transparentes pour produits de consommation, comme celles qu’on applique sur des bouteilles de shampoing, elle mena une enquête de brevets qui lui révéla que Dow Chemicals disposait d’un portefeuille important de brevets, indiquant que cette compagnie avait l’intention de pénétrer dans ce marché.

Avery investit les sommes nécessaires en R-D pour monter un portefeuille supérieur et inattaquable de brevets. Ainsi armée, elle demanda une rencontre avec la direction de Dow pour lui suggérer d’abandonner le secteur, ce que Dow se résigna à faire. Elle démonta son usine, congédia son personnel et mit la clé dans une division à laquelle elle avait déjà consacré des dizaines de millions de dollars.

Mais la guerre du capitalisme intellectuel ne se déroule pas seulement sur le terrain des brevets. L’autre territoire aussi important, sinon davantage, est celui des marques de commerce. C’est avec ces marques que les compagnies se découpent dans l’esprit des consommateurs l’ultime exclusivité avec laquelle ils peuvent verrouiller l’enclos de leurs brevets. C’est un tel coup de maître qu’a réussi Intel en investissant 500 millions de dollars dans sa campagne Intel Inside. Les premières générations de processeurs d’Intel portaient des noms génériques Intel 386 ou Intel 486 que n’importe quel concurrent pouvait reprendre. Intel réagit en se dotant de la marque exclusive Pentium, puis en investissant massivement dans une campagne pour en étendre l’emprise quasi-monopolistique.

Le pendule de la protection est peut-être allé trop loin et on peut se demander si nous ne sommes pas en train de verser dans des excès qui pourraient très bien paralyser l’innovation que nous voulons, par ailleurs, tant préserver. Certains droits sont tellement forts, tellement contrôlés, qu’on craint qu’il n’y ait plus de possibilité de concurrencer.

Par exemple, une étude menée en 1998 par Gregory Graff, professeur d’agriculture et d’économie à l’Université de Californie, indiquait qu’un petit groupe de 18 institutions détenaient 1370 brevets agro-alimentaires, soit la quasi-totalité de tous les brevets encore actifs du secteur. Or, 973 de ces 1370 brevets étaient détenus par les seuls cinq grands joueurs que sont Pharmacia, Dupont, Syngenta, Dow Chemical et Aventis. Une telle concentration de propriété intellectuelle entre quelques mains dans un secteur aussi névralgique que celui de l’alimentation est inquiétante.

On peut même se demander si la course aux brevets et l’exigence de secret qu’elle impose ne risque pas d’assécher la source la plus riche de connaissances scientifiques de base : l’université. Les universités accueillent maintenant à bras ouverts le capital privé pour financer leurs recherches, en échange bien sûr d’une exigence de secret plus contraignante. Les pharmaceutiques, par exemple, délaissent de plus en plus la recherche et le développement de nouveaux produits pour se concentrer sur le marketing et la distribution.. Pour compenser, elles ont d’abord entrepris d’acheter toutes les petites firmes de biotechnologies prometteuses. Mais cette source n’est pas infinie. À présent, c’est sur les laboratoires universitaires qu’elles comptent pour alimenter leur pipeline de nouveaux médicaments.

Or, toute l’institution universitaire est fondée sur le principe fondamental de la libre circulation de l’information, d’où origine la fameuse injonction Publish or Perish. Si toute la recherche est monopolisée par le privé, la possibilité pour le chercheur de déterminer son agenda et de chercher là où il n’y a pas de valeur immédiate se perd. On peut se demander s’il va demeurer à long terme assez de connaissance publique ou si toute la connaissance va être privatisée. De plus, ça pourrait nous mener à une recherche systématique à court terme et à un oubli du long terme et du fondamental. Ça s’appelle « épuiser la poule aux œufs d’or ».

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Le capitalisme intellectuel – 2

Yan Barcelo, 14 août 2011

Aujourd’hui, la première édition d’un produit coûte extrêmement cher à réaliser alors que le coût des copies est presque négligeable. La chose est particulièrement vraie dans l’industrie pharmaceutique où le développement d’un médicament s’échelonne sur dix ans et coûte en moyenne 750 millions de dollars tandis que les pilules ne coûtent que des fractions de sous à fabriquer. La même logique prévaut dans l’élaboration de logiciels ou de banques de données, dans la production de films et de musique, dans l’établissement d’un commerce sur Internet, dans le mise en orbite de satellites et autres engins spatiaux.

Cette prépondérance de la connaissance n’est plus seulement l’apanage des industries de pointe. Elle gagne de plus en plus toutes les couches économiques, jusqu’aux plus primaires, que ce soit dans la fabrication de meubles et même dans le secteur minier.

En même temps que les coûts de conception et de développement explosent, et que les coûts de reproduction implosent, on assiste à l’inflation d’une autre sphère d’activité économique, basée elle aussi sur les concepts et la connaissance : le marketing et la publicité.

Cette polarisation économique croissante entre la conception technique et la conception commerciale fait en sorte que certaines entreprises s’éviscèrent de plus en plus de toute activité manufacturière, la délocalisant en Asie. Un nombre croissant d’entreprises ne sont plus que des boîtes d’idéation, pourrait-on dire, dont la spécialité est de comprendre les besoins des clients et, à partir de cette compréhension, de concevoir les produits qui y correspondent, et d’imaginer les moyens de les vendre. C’est ce qui est advenu de Nortel, par exemple, avant qu’elle n’en arrive à imploser à cause de son adhésion à l’hérésie de la « valeur aux investisseurs ».

Cette ascendance graduelle de la primauté du conceptuel entraîne la remise en valeur du domaine de la propriété intellectuelle et de ses sceaux officiels de légitimation : les brevets, marques de commerce et droits d’auteur. Le phénomène prend l’allure d’une ruée. Au bureau américain des brevets, l’année2000 avu l’octroi de 190 000 brevets, presque trois fois plus que les 70 000 octrois de 1980. Le nombre d’applications pour brevets, pour sa part, est passé de 110 000 à 320 000 durant la même période.

Une première raison de cette ruée tient à un impératif fondamental de la lutte pour la survie économique : se protéger. C’est la fonction qu’on a toujours attribuée à l’obtention du brevet.Étant donné que tout l’investissement est maintenant dirigé vers la création de la première unité, celui qui a tout investi de cette façon et qui se fait ensuite copier vient de se faire flouer.

Un changement d’attitude aux États-Unis à l’endroit de la propriété intellectuelle a également présidé à la ruée vers les brevets. Jusqu’aux années 1980, le système judiciaire américain entretenait un préjugé négatif à l’endroit du brevet, considérant que son détenteur était un « monopoliseur » en puissance. Mais sous l’impulsion de la Reaganomie et en réponse à l’offensive des Japonais qui s’adonnaient librement à « l’ingénierie à rebours » (un nom sophistiqué synonyme de « copie ») de produits américains, un changement d’attitude est survenu. On en est venu à voir le brevet comme une récompense légitime de l’innovation. Mais ce monopole a un prix, comme le souligne Georges Robic, associé au cabinet Robic, agents de brevets, d’inventions et de marques de commerce : « On donne le droit d’un monopole de 20 ans, mais l’inventeur est tenu de divulguer son invention. » De cette façon, tout en obtenant un privilège privé, il contribue à l’avancement général des connaissances.

Ce nouveau préjugé favorable à l’endroit des brevets s’est concrétisé dans des jugements éclatants. Auparavant, on considérait aux Etats-Unis qu’une poursuite pour contrefaçon de brevet n’avait qu’une chance sur trois d’être couronnée de succès. Après la mise en place d’un tribunal spécialisé en droit des brevets, le US court of Appeals for the Federal Circuit, les plaignants ont eu gain de cause dans 80% à 85% des cas. Les peines imposées ont désormais eu des crocs, atteignant souvent les milliards de dollars en compensation.

Ce changement d’attitude, comme par hasard, a accompagné l’offensive de globalisation des transnationales, offensive dont les États-Unis ont pris l’initiative. Au milieu des années 1980, ils ont multiplié les pressions sur l’Organisation Mondiale du Commerce pour faire dresser une charte des droits de propriété intellectuelle (les TRIPs, ou Trade-Related Intellectual Property rights). Armés de la sorte, les États-Unis ont systématiquement ciblé les pays spécialistes de la copie, comme Taiwan, la Chine, la Corée du Nord et l’Inde.

 

(Je vous invite à laisser des commentaires, toutefois, je ne pourrai y répondre avant le 15 août. )

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