Tout d’abord, j’aimerais vous présenter mes excuses car je n’ai pas eu le temps de pondre un billet original cette semaine. J’avais de bonnes intentions, je voulais vous parler (encore une fois) des enjeux qui se présentent devant nous en ce qui concerne la lutte au déficit et à la réorganisation des services publics québécois. Avant d’attaquer le sujet, je voulais prendre le temps de lire le deuxième fascicule du Ministère des Finances, réécouter le mini-débat présenté par Gérald Fillion à RDI mercredi soir et consulter d’autres textes avant de vous présenter quelques réflexions. Si vous me le permettez, je remets ça à la semaine prochaine.
J’aimerais toutefois profiter de cet espace en réagissant au billet publié hier par Philippe David, un texte dans lequel il nous présentait le modèle singapourien de financement des soins de santé. Évidemment, on comprend la démarche de Philippe et l’attrait que peut provoquer les bons coups de ce système. Surtout que la responsabilisation de l’individu dans le financement et l’accès aux services est primordial dans le succès que semble avoir leur réseau de santé. Là-dessus, je rejoins nos amis libertariens, il est primordial que les citoyens – incluant les employés, les gestionnaires, les fournisseurs et les lobbies – se responsabilisent face aux enjeux et qu’il y ait une prise de conscience collective sur les coûts inutiles et les problèmes qui sont causés (volontairement ou involontairement) par les abus de toutes sortes.
Je m’en tiendrai donc aujourd’hui à publier un extrait d’une étude réalisée par deux experts québécois, le docteur François Béland et Mme Caroline Cambourieu, sur les enjeux reliés à la privatisation des soins de santé. ici au Québec.
« L’introduction de l’assurance privée et de sa conséquence, le développement d’un secteur privé de prestation des soins financés de sources privées, sont beaucoup plus ambitieux que l’imposition de frais modérateurs à l’utilisation de services de santé couverts par un régime public. Les objectifs des États sont multiples et la rhétorique politique remplit de bonnes intentions. Les objectifs recherchés sont le contrôle des coûts globaux des services de santé, la prestation de soins appropriés et de qualité et même l’accès équitable aux soins pour les patients (Cremer et al., 2007). L’Australie et l’Irlande en sont deux exemples. À l’analyse, il apparaît que le développement d’un secteur privé de prestation de soins appuyé par une politique publique favorable à l’assurance privée n’a pas permis de réduire les dépenses publiques de santé en Australie, a accru la part de la richesse nationale consacrée à l’ensemble des services de santé, a produit des inégalités d’accès aux services hospitaliers, n’a pas amélioré la qualité des soins et a accru l’inégalité de la distribution des revenus entre les ménages.
Ici, comme dans le cas des frais modérateurs, il y a erreur de perspective. Le financement privé peut permettre à des groupes de personnes d’accélérer leur accès à des services de santé en plus grande quantité. L’accès à des services de qualité est une toute autre chose, comme le montre l’exemple de l’Australie et de l’Émilie-Romagne. Dans certaines circonstances, la quantité peut être associée à la qualité, dans d’autres, non. Et les services offerts en plus grande quantité par l’intermédiaire du financement et de la prestation privés se concentrent sur les procédures les plus profitables et aux patients à la santé la moins défaillante. Ces résultats sont la conséquence du mobile qui anime le financement et la prestation de services médicaux privés: pour les patients, la maximisation de l’utilité des services médicaux et hospitaliers sous contrainte des limites de leur revenu personnel; pour les assureurs, des remboursements minimums pour des primes maximums; pour les prestataires, la production du maximum de procédures les plus satisfaisantes du point de vue professionnel et les plus payantes du point de vue économique.
Les effets pervers de l’application de la logique du financement et de la prestation privés des services médicaux apparaissent dans toutes leurs splendeurs quand ils se mixent à la logique de la prestation publique des services de santé. Les hôpitaux publics qui s’ouvrent à la pratique privée sous le motif d’additionner une source de financement risquent de voir jouer la logique à l’inverse. Plutôt que de voir les sources de financement privées subventionner les soins aux patients admis sous le régime public, la logique de la différentiation des clientèles les fera subventionner les soins aux patients admis sous un régime privé par le financement public. Le principe de la différentiation des clientèles a été développé par Dupuit (1849) qui soulignait l’exemple de la gestion des tarifs des chemins de fer françcais du XIXème siècle. Voilà une belle occasion de gérer nos hôpitaux comme les chemins de fer français de cette époque!
Enfin, les régimes publics d’assurance santé transfèrent des revenus des classes économiques les plus favorisées aux classes économiques les moins favorisées. L’exemple de deux provinces canadiennes montre que la valeur des transferts varie en fonction de la progressivité du financement du système de santé. Deux observations sont cependant universelles. Premièrement, puisque la santé est associée aux revenus, il y a toujours transfert. Deuxièmement, toute augmentation du financement privé des services de santé par des frais modérateurs, des paiements directs des ménages à des services de santé désassurés ou l’accroissement de la part des assurances privées diminuent les transferts. Encore une fois, l’exemple australien est emblématique. L’intérêt économique des classes de revenu les plus élevées sera toujours de diminuer autant que faire se peut la part du financement public et d’accroître la part du financement privé. Cela pourraît bien être le secret de la pérénnité du débat sur le financement privés des services de santé! »
François Béland et Caroline Cambourieu – L’assurance privée: les autres le font, pouquoi pas nous? Tiré du lu livre « Le privé dans la santé, les discours et les faits« . À lire.