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La tentative de putsch de Stephen Harper

Ottawa est en crise, dit-on dans les milieux bien informés. Nous devrions plutôt dire que le parti conservateur, au pouvoir, est en crise. Je n’ose imaginer un seul instant que la population lui eut accordé sa confiance en élisant son chef à la tête d’un gouvernement majoritaire. Coup d’état, clament les caciques du parti, contre un gouvernement légitiment élu. Je serais porté à répondre : coup d’état d’un gouvernement contre sa population qui lui a signifié, par son vote, qu’il ne devait pas se comporter comme un gouvernement suffisant, imbu de lui-même, cynique et au-dessus de la volonté populaire. Le Devoir écrit : « Si le Bloc n’avait pas empêché le Parti conservateur de former un gouvernement majoritaire le 14 octobre, les mesures ahurissantes que James Flaherty a annoncées dans son énoncé économique de la semaine dernière auraient eu force de loi. Les dommages causés à la société canadienne auraient pu être incalculables ».

Une crise qui fait rougir les conservateurs !

Une crise qui fait rougir les conservateurs !

Selon un stratège conservateur, la présente situation n’est rien de moins « qu’une attaque contre le Canada, une attaque contre la démocratie, une attaque contre l’économie ».

Au Québec, nous sommes en période électorale. Jean Charest ne pouvait résister à la tentation, tant il s’en satisfait, de reprendre à son avantage cette crise d’Ottawa pour maintenir la position qu’il défend depuis le déclenchement des élections : il est important d’élire un gouvernement majoritaire. « Ce qui se passe à Ottawa, ça prouve que ça prend un gouvernement stable, surtout dans une période de turbulence économique. Ça prouve clairement que ça prend un gouvernement de stabilité, ça n’a pas de sens », répète Jean Charest à qui veut l’entendre. Ce que ne dit pas monsieur Jean Charest est que son vœu traduit une volonté de n’en faire qu’à sa tête, une fois élu. Au sein d’un gouvernement majoritaire, il faudra vivre pendant quatre ans avec les décisions d’un gouvernement, jadis réputé arrogant, sans pouvoir remettre en question aucune d’entre elles.

Au-delà du comportement indigne de Stephen Harper et de son ministre des Finances, qui ont présenté un plan idéologique en lieu et place d’un plan de relance économique, au sein duquel les conservateurs réglaient de vieux comptes sortis tout droit des cartons alliancistes empoussiérés, ce qui fâche dans l’Ouest est de devoir faire reposer l’avenir du pays sur un vote prépondérant des vilains séparatistes du Québec. « Ce n’est pas le temps pour le Canada d’avoir un gouvernement non élu dépendant de l’appui des séparatistes du Bloc québécois », déclarait le premier ministre de la Saskatchewan, Brad Wall. « Le Canada mérite beaucoup mieux », a soutenu Brad Wall. N’en déplaise à Wall, c’est surtout l’Ouest qui a soutenu Stephen Harper et c’est le Québec qui a fait en sorte que le Canada ne soit pas aux prises avec un gouvernement majoritaire.

Et les conservateurs n’ont rien d’autre à faire, face à la crise qu’ils viennent de provoquer, que de s’emmêler dans leurs cassettes en écoutant, enregistrant et diffusant une conférence téléphonique privée du NPD. En défense devant un geste aussi insensé, qui s’ajoute aux actions passées du parti lors de leur premier mandat, les conservateurs plaident qu’il n’était pas contraire à l’éthique d’écouter à la dérobée, d’enregistrer et de diffuser aux médias des délibérations privées du NPD.

Pendant ce temps, les chefs d’opposition à Ottawa se sont réunis et ont procédé à des négociations pour la mise en place d’un gouvernement de coalition. Rien n’est plus déplaisant aux yeux de plusieurs observateurs que d’envisager un Stéphane Dion occupant la fonction de Premier ministre du Canada. Autant l’Ouest rejette un appui des vilains séparatistes du Québec, autant le Québec, dans un sondage de la Presse, rejette l’idée de voir Dion occuper cette fonction.

Selon les termes d’un accord intervenu entre les trois chefs d’opposition, de nouveaux crédits seront déployés pour des projets municipaux. La loi sur l’assurance-emploi sera amendée pour permettre de créer une caisse autonome qui s’autofinancera. Les chômeurs bénéficieront à nouveau de leur prestation, les deux semaines de carence étant abolies. Les réductions d’impôt aux entreprises ne seront pas annulées. Les fonds des agences de développement économique régional et les 45 millions de dollars supprimés en culture seront restaurés. La coalition n’imposera pas la taxe sur le carbone, si chère à Stéphane Dion.

Le Bloc québécois ne sera pas représenté au sein de l’équipe ministérielle de la coalition. Jusqu’au 30 juin 2010, le Bloc s’engage à ne pas déposer de motion de censure et à ne pas appuyer celles qu’une opposition conservatrice pourrait présenter. Beaucoup de choses ont été dites sur cette nouvelle alliance circonstancielle. Le Bloc pouvait-il exiger des libéraux qu’ils choisissent un autre chef que Stéphane Dion, le politicien le plus impopulaire au pays, qui vient tout juste de mener son parti à la pire défaite de son histoire ? Les trois aspirants à la direction du PLC, Dominic LeBlanc, Michael Ignatieff et Bob Rae ont salué cette décision de façon unanime. La population canadienne jugera aux prochaines élections cette décision du Parti libéral de ne pouvoir, dans les circonstances, proposer un chef qui soit à la mesure des attentes des électeurs, qu’ils soient de l’Ouest ou du Québec. Pour l’heure, « il faudra faire avec », comme diraient nos ados.

Dans la présente situation, que vit le Canada, il est inutile de monter aux barricades et de s’inspirer des dictatures, comme n’a pas hésité à le faire Lysiane Gagnon, de La Presse : « Les putsch se justifient sous les dictatures ou dans des situations d’une gravité inouïe. Pas parce qu’on n’aime pas l’approche économique du gouvernement ». Fort heureusement que la chroniqueure de La Presse émet une opinion personnelle et non un avis en droit constitutionnel. Il faut se rappeler cet acte de foi du propriétaire de Power Corporation, monsieur Paul Desmarais : « Notre position est connue : nous sommes fédéralistes. Ça nous a valu des conflits très durs. Au final, on est arrivé à un compromis : je ne dois pas intervenir dans le journal. Le point de vue des séparatistes peut apparaître, mais la ligne éditoriale est fédéraliste. Il n’y a pas d’ambiguïtés. Si le Québec se sépare, ce sera sa fin. Moi, je suis attaché à la liberté et à la démocratie ». Élus selon les mêmes règles, les députés bloquistes ont la même légitimité que les députés conservateurs.

« Notre régime politique est un régime parlementaire, et non un régime présidentiel », rappelle Bernard Descôteaux, du Devoir. Pour ma part, j’incline à penser que le putsch vient de Stephen Harper qui a tenté, sous le fallacieux prétexte de redressement de la situation économique, d’imposer un agenda de droite, malgré le rejet de la population canadienne.

Celui qui a le plus à craindre est Stephen Harper lui-même. S’il devait être vraiment chassé du pouvoir, comme un malotru, en raison d’un vote de confiance, le parti conservateur ne lui pardonnera pas ses bévues et son caractère fantasque. La sérénité bien artificielle du PC replongera rapidement dans les abimes des années 1960 et des luttes de pouvoir internes. Harper l’aura bien cherché.

Les conservateurs ont beau se draper dans les principes de la démocratie, cette tentative de putsch à l’égard du parlement en imposant un déni du droit de grève des fonctionnaires et en éliminant le remboursement des partis politiques illustre ce qu’aurait pu être un gouvernement majoritaire conservateur. James Moore, ministre du Patrimoine canadien et des Langues officielles, devrait s’imposer un examen avant de clamer haut et fort que les séparatistes veulent prendre le bureau du premier ministre. James Moore, comme certains journalistes proches du beau pays de Paul Desmarais devrait songer au fait que Harper pourrait proroger la session pour gagner quelques semaines ou même replonger le pays en élections générales.

S’agissant des élections au Québec, qui des électeurs peut dire en quoi consisteront les mesures de redressement de l’économie de Jean Charest ? Donner un gouvernement majoritaire à Jean Charest, sans connaître au préalable son plan de redressement, équivaut à voter à l’aveuglette en souhaitant qu’il n’y ait pas trop de dommages collatéraux pour les quatre prochaines années.

Pierre R. Chantelois

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Trois chefs mal-aimés en élections!

Première chronique. Premières hésitations. Le mot se veut laborieux. Il se fait difficile. L’inspiration se moque du mot. Mais de quoi vais-je bien parler ? Éloigner le lecteur ne serait pas la meilleure contribution d’un rédacteur à ce nouveau blogue. Nous serons sept. Sept à nourrir cette réflexion québécoise. Je me lance avec, en arrière plan, le syndrome de la page blanche.

Je n’ai pas le goût de vous entretenir sur les élections fédérales. La raison en est bien simple. Qu’ajouter à ce qui a été abondamment dit et redit ? Selon Marcel Côté, fondateur et retraité du groupe Secor, s’agissant de ces prochaines élections, « Les Canadiens et canadiennes seront face à trois chefs mal-aimés », disait-il, ce samedi, sur les ondes de Radio-Canada. Nous sommes loin, très loin de Denver.

Comment contourner la question ? Harper déclencherait des élections en réalisant bien qu’il risque d’être à nouveau à la tête d’un gouvernement minoritaire. Il lui faut gagner au bas mot 35 nouvelles circonscriptions pour se voir à la tête d’un gouvernement majoritaire. Si la population doit le réélire, il vaut mieux le maintenir dans un gouvernement minoritaire. Pour éviter davantage de « dommages collatéraux ». La droite bien-pensante et ultra-religieuse de l’Ouest du pays est suffisamment influente au sein des conservateurs pour qu’elle gagne davantage l’Est. Le Québec risque d’en être affecté.

Trois chefs. Trois mal-aimés. Pourtant Harper grignote du terrain. Il obtient 33% des intentions de vote, suivi de près par les libéraux avec 31%, malgré la faible popularité de Stéphane Dion. Pire. Plus d’un tiers des Canadiens en âge de voter considère que Stephen Harper est le plus apte à occuper son propre poste. Dion obtient un score de 15 % dans les intentions de vote.

Une question reste en suspens. Stephen Harper annoncerait les élections au cours de cette semaine, ce qui enverrait les Canadiens aux urnes le 14 octobre prochain. Le scrutin coïnciderait avec la fête de la Soukkot, fête juive. C’est à l’occasion de cette fête que les Juifs érigent une cabane – soukkah – qui symbolise l’errance du peuple hébreu après sa sortie d’Égypte (Fête des Tabernacles selon lévitique 23). Le porte-parole de M. Harper a rejeté cette demande. « Dans un pays multiculturel (…) c’est difficile d’éviter à chaque fois d’éviter les célébrations religieuses de tous », a déclaré Kory Teneycke au National Post. Avec un tel refus, il est difficile de ne pas prétendre que les conservateurs sont sur un véritable pied… d’élections. Stéphane Dion vient de rencontrer Stephen Harper. 20 minutes. C’est la durée de la rencontre. Conclusion de monsieur Dion : cette rencontre est une comédie. Pouvait-il en être autrement ?

Au lendemain d’une nouvelle défaite des libéraux, je ne parierais pas sur la longévité de Stéphane Dion en tant que chef du Parti libéral du Canada. Trois fois plus riches que les libéraux, les conservateurs, goussets bien garnis, peuvent tenir un long siège et déstabiliser Stéphane Dion qui ne trouve preneur ni en Ontario ni au Québec. Les « bloquistes » sont en meilleure posture financière. Pendant que Dion sillonnera le pays, Bob Rae parcourra l’Ontario. Michael Ignatieff arpentera, pour sa part, le Québec.

Stéphane Dion et Denis Coderre entendent faire de la culture un enjeu majeur de la campagne. Selon Stéphane Dion, les artistes, aux yeux de la droite conservatrice, sont trop à gauche. Ce qui n’est pas totalement dénué de fondement. Selon une note confidentielle, rendue publique dans les médias, un bureaucrate du ministère du Patrimoine canadien souligne que la contribution de 20 millions $, pour les cérémonies d’ouverture des JO de Vancouver, est un investissement « pour assurer que l’événement reflète adéquatement les priorités du gouvernement et qu’il l’aide à atteindre ses objectifs nationaux (branding) de politique intérieure et internationale ». Et le bureaucrate poursuit : « Ces conditions garantiront que le ministère pourra participer et surveiller le VANOC adéquatement », indique le mémorandum.

Dans une autre note, rendue publique également, le gouvernement fédéral souhaite que des vétérans de la guerre en Afghanistan participent au relais de la flamme olympique. Les premiers des 12 000 porteurs de la flamme devraient être des vétérans de la guerre en Afghanistan. Comme si cela n’était pas suffisant, le fédéral a indiqué dans ce deuxième mémorandum que la dualité linguistique devait être reflétée dans le parcours de la flamme, allant même jusqu’à fournir une liste de 80 villes et villages à visiter.

Alors que Vancouver se prépare à accueillir les JO d’hiver en 2010, le Downtown Eastside continue d’être ravagé par l’héroïne. À Montréal, le ministre de la santé du fédéral, Tony Clement, s’était demandé, devant l’Association médicale canadienne, s’il était éthique que des professionnels de la santé appuient l’administration de drogues : « Est-ce éthique, pour des professionnels de la santé, de soutenir l’administration de drogues? Dans tout autre contexte médical, ce serait considéré comme un manque flagrant de professionnalisme » ? Et ce ministre de la santé, qui joue pleinement son rôle de redresseur de la morale au sein de la profession médicale canadienne et québécoise, est allé jusqu’à déclarer : « Nous devons faire davantage pour rejoindre nos fils et nos filles qui font des surdoses. Ils ont besoin de notre compassion et de notre intervention, pas simplement d’aide pour se piquer ».

Qu’importe au ministre Clement que le Downtown Eastside de Vancouver soit dans un état de délabrement indescriptible, où s’y côtoient junkies, prostituées, itinérants et personnes souffrant de troubles mentaux ? Seule la morale de la droite chrétienne conservatrice de l’Ouest canadien compte. Et l’importer vers l’Est est fondamental aux yeux des conservateurs. L’idéologie conservatrice a préséance sur toute politique de la santé au Canada.

À propos, où diable se cachait Stéphane Dion pendant ce débat ?

Hélène Buzetti du quotidien Le Devoir rapporte que les conservateurs en ont remis une couche sur leur intolérance face aux drogues : « ils ont distribué des dépliants décapants révélant encore un peu plus leur tolérance zéro envers les stupéfiants. On y voit au recto une seringue abandonnée dans un parc où un enfant joue au soccer. « Sécuritaire? », est-il demandé. Au verso, coincée entre l’image avenante d’une médecin et celle, glauque, d’une porte de prison, la rhétorique répressive est déclinée : « Les drogués et les revendeurs de drogue n’ont pas leur place près des enfants et des familles. Leur place est la désintox ou la prison », est-il écrit. Le gouvernement conservateur s’engage à prendre trois mesures pour remédier au problème, notamment de « garder les drogués dans les centres de désintoxication et les chasser de nos rues ».

Sur un autre plan, Nathalie Petrowski pose une question pertinente dans sa chronique du samedi 30 août : « Comment convaincre le public que les coupes en culture le concernent. Si jamais quelqu’un a la réponse, qu’il la fasse savoir au plus tôt, sinon les conservateurs vont battre les artistes 1 à 0. Et cela avant même le déclenchement des élections ».

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