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La folie ordinaire

 

Par Renart Léveillé

Mon titre, je l’ai piqué à Charles Bukowski, celui qui publiait en 1972 « Erections, Ejaculations, Exhibitions, and General Tales of Ordinary Madness », traduit simplement par « Les Contes de la folie ordinaire ». Je m’en sers dans un autre sens : et par cela je vais tenter de questionner, et la folie, et l’ordinaire, aujourd’hui, devant le verdict renversant de « non-responsabilité criminelle pour cause de troubles mentaux » du cardiologue Guy Turcotte.

Pour être franc, je n’ai aucunement suivi cette histoire, sinon de très loin (alors, je ne me suis pas trop fait manipuler par les médias). Le jeune père que je suis n’est aucunement capable de savoir (même si je l’ai quand même su, comme beaucoup d’autres choses…) des détails comme celui que Guy Turcotte a eu « conscience de ce qu’il faisait, quand il a entendu son fils lui dire d’arrêter ». Sentir son coeur virer à l’envers, le moins souvent possible… Et pour cette raison, je ne devrais même pas pouvoir écrire à ce sujet, encore plus parce que je n’ai pas assisté au procès, comme le rappelle la spécialiste en droit criminel Véronique Robert.

J’en prends note, mais je continue de voir qu’il y a un trop grand écart ici entre la Justice et ce que la moyenne des gens est capable d’en comprendre, surtout à la suite de ce verdict. Et ça me fait revenir à mon titre. On a l’impression que ce verdict rend la folie ordinaire. Plus précisément, que toute folie (ou ce que l’on considère comme tel devant la loi) est égale. Que la folie qui gagne quelqu’un suite à des problèmes relationnels est égale à la folie de quelqu’un qui est en proie à des épisodes schizophréniques, par exemple, qui sont franchement plus du domaine génétique.

Si vous voyez où je veux en venir, c’est que rien dans les gestes de Guy Turcotte n’écarte l’histoire d’amour déchue. L’absurdité ne se retrouve que dans la teneur des gestes, pas dans ce qui y mène, dans le sens où la vengeance soutire le pire de l’humain, en tout cas au niveau du fantasme. Nous comprenons que le père cocufié ait fantasmé le pire (tuer ses enfants) pour détruire la mère qui ne voulait plus être son épouse, et c’est bien là où se trouve la capacité de faire « la distinction entre le bien et le mal » et « d’apprécier la nature et la qualité de ses actes ». Mais c’est tellement lié qu’il est difficile de croire que le chemin pour se rendre du fantasme à la réalité soit seulement de la pure folie. Comment Guy Turcotte a-t-il pu se perdre en chemin alors que tout le reliait au noyau de son trouble? Il y a dans la folie cette irrationalité que je n’arrive pas à percevoir dans ce cas-ci, puisque le lien de cause à effet me semble fluide. Le meurtre des enfants représente le comble de la vengeance et c’est ce qui a été fait. Guy Turcotte semble s’être planté lui-même ce germe comme un drogué consomme ce qui peut le rendre inconscient de la réalité. Mais un meurtrier drogué ne s’en tire pas même s’il était « inconscient » lors de l’acte, comme me l’a indiqué un ami avocat. Alors, la différence entre les deux me semble ténue.

Le jury a décidé qu’il s’était perdu en route dans la folie et je ne comprends pas, comme beaucoup de gens. Comme le blogueur Patrick Lévesque, je crois que notre « système de justice a […] une responsabilité envers les citoyens, soit de les éduquer. Cette responsabilité est essentielle afin de conserver sa crédibilité, ce qui est en retour essentiel au maintien d’un système de droit, l’un des piliers de notre vie démocratique. Au-delà du choc, de la colère, de la tristesse, il est temps de passer à la compréhension. Les explications doivent venir; elles doivent être fournies rapidement, et elles doivent être fournies en tenant compte des émotions que vit en ce moment le grand public (dont je fais partie) ».

J’ai bien relu le texte de Véronique Robert, hyperlié plus haut, qui s’y connaît beaucoup plus que la majorité, et pourtant je ne comprends toujours pas. Quand j’y lis que le jury a décidé, « à l’unanimité, que « le monstre » était vraiment en état de déséquilibre mental au moment des faits », je me dis qu’il faut bien de toute façon être « en état de déséquilibre mental » pour tuer ses enfants, c’est un pré requis : une personne équilibrée mentalement ne va pas faire ça. Et pourtant, je ne doute pas que ce raisonnement ne fasse pas le poids au niveau de la Justice. Mais bon, je ne suis pas juriste. Et ça doit être le problème de la majorité de la population qui n’est pas d’accord avec ce verdict.

Voilà, la question de la folie est posée. Et elle n’est surtout pas simple. Quant à l’ordinaire, le choix du terme est peut-être abusif en soi, mais il sert au moins de contrepoids. La folie comme concept ultime ne peut pas être remise en question. En l’acoquinant à l’ordinaire je le rendais au moins un peu plus malléable. Et, il n’y a pas de doute pour moi, le concept de folie au niveau de la Justice est très discutable.

C’est ce que bien humblement j’ai essayé de faire ressortir ici.

 

(Photo : amandajane)

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Le syndrome du larbin et la révolution islandaise

Par Renart Léveillé

Deux trucs inédits pour moi voilà quelques heures encore, et que je me dois d’imprimer ici. À défaut d’être journaliste, et donc seulement blogueur (et d’aimer adorablement ce passe-temps ingrat), je peux au moins faire ça…

Le syndrome du larbin

Définition sommaire :


Chez un individu, le syndrome du larbin est un comportement pathologique visant à prendre systématiquement la défense des classes les plus favorisées au détriment de celles dont il est issu. Ce syndrome diminue les capacités d’analyse du larbin et se traduit par un blocage psychologique l’incitant à agir préférentiellement contre ses propres intérêts au profit de ceux qui l’exploitent.

Ne vous lancez pas sur votre téléphone pour conseiller à votre beau-frère un bon psychologue, c’est plus humoristique que sérieux, même s’il semble exister de véritables cas de ce syndrome. Il ne manque qu’un scientifique pour s’y pencher, mais je doute fort qu’il reçoive des subventions privées ou gouvernementales, alors c’est déjà mort dans l’oeuf…

En fait, si c’était vrai, ou plutôt avéré, la presque totalité des gens penchants à droite en serait, étant donné qu’il y a un très petit pourcentage de droitistes très riches. Mais je ne passerai pas trop de temps là-dessus, parce que dans le fond, ce sujet est seulement un clin d’oeil pour introduire le prochain.

La révolution islandaise

Visiblement, la population islandaise aurait un taux de syndrome du larbin assez bas si on regarde ce qui s’y passe depuis 2008.

C’est vraiment une histoire incroyable et pourtant, il n’y a vraiment pas eu beaucoup d’écho depuis ce qu’on a appelé « la révolution des casseroles », que relatait Le Figaro le 4 février 2009 :

Le tintamarre des casseroles et des poêles à frire, chaque samedi devant le Parlement, a fini par avoir raison du premier ministre islandais […] Geir Haarde, chef d’un Parti conservateur qui dominait la scène islandaise depuis l’indépendance du pays en 1944 […] Mais la «révolution des casseroles», comme on l’appelle à Reykjavik, n’est pas terminée : ce samedi, pour la 17e fois depuis le début de la crise [financière] en octobre, ils étaient encore plusieurs centaines à crier leur colère. «Rendez-nous notre argent !», proclament des pancartes. «On veut de nouvelles têtes dans les banques et au gouvernement » […]

Une coalition de partis de gauche ainsi qu’une première femme au poste de premier ministre, Jóhanna Sigurðardóttir, ont été portées au pouvoir, mais assez rapidement, le peuple a pris les choses en main en refusant par référendum à 93% le remboursement de la dette et en élisant une Assemblée citoyenne chargée de rédiger une nouvelle constitution (« Parmi les propositions qui reviennent le plus souvent, on peut noter la séparation de l’Église et de l’État, la nationalisation de l’ensemble des ressources naturelles et une séparation claire des pouvoirs exécutif et législatif. »). Leurs travaux commenceront en février pour se terminer à la fin du printemps.

Le reste de l’Histoire est à écrire.

*

Avouez que c’est assez inspirant! C’est quelques crans au-dessus d’une pétition demandant la démission de notre premier ministre John James Charest, quand même… (Ce n’est surtout pas pour dénigrer la chose, si seulement c’est le début de quelque chose de plus vaste, espérons-le!)

Voilà la preuve qu’il y a plus grand et plus profond que la démocratie comme on la voit théoriquement. Les supposés chiens de garde de cette démocratie molle sont apathiques, il n’en tient qu’à moi, qu’à vous, citoyens, d’y fouetter les sangs!

Voilà mon humble contribution. Ne vous gênez surtout pas pour faire suivre.

*

(Merci à Eric Bondo de m’avoir pointé ces sujets.)

 

(Peinture : Pierre Marcel, « Bringing democraty », Acrylique sur toile, 150 x 150 cm, France 2001.)

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Des tests d’urine pour recevoir son chèque de B.S.?

 

NDLR: ARTICLE PUBLIÉ LE 22 JUILLET 2010.

***

J’ai reçu ce « témoignage » par courriel la semaine dernière :

LETTRE D’UN TRAVAILLEUR

Cette lettre a été écrite par un travailleur de la construction à Fort MacMurray.

Très bon sujet.

Je travaille, je suis payé.

Je paie mes impôts et le gouvernement distribue mes impôts comme il se doit.

Afin de gagner mon chèque de paie, je travaille sur une plateforme flottante pour le projet de Fort MacMurray Construction.

Je suis tenu de passer un test d’urine, sans avertissement soit au hasard, avec lequel je n’ai aucun problème.

La chose avec laquelle j’ai un problème est la distribution de mes impôts aux gens qui n’ont pas à passer de test d’urine.

Ces gens ne devraient-ils pas avoir à passer un test d’urine pour avoir leur chèque de bien-être parce que moi je dois en passer un pour le gagner pour eux.

Veuillez comprendre que je n’ai aucun problème à aider les gens qui sont dans le besoin à se prendre en main.

Par contre, j’ai un problème à aider quelqu’un assis sur son cul – buvant de la bière et fumant de la dope.

Pouvez-vous imaginer combien d’argent les Provinces sauveraient si les personnes qui reçoivent de l’aide gouvernementale devaient elles aussi, passer un test d’urine ?

S’il vous plaît,  faites circuler ce courriel si vous êtes d’accord ou supprimez-le si vous n’êtes pas d’accord.

J’espère que vous le ferez circuler, parce que les choses doivent changer dans ce pays et ça presse !!!!

Un travailleur tanné de travailler pour faire vivre les autres qui ne font rien !!!

Ça me fait beaucoup penser à une petite réflexion que j’ai élaborée dans un court billet, nommé : « Être à la remorque de sa vie ». Qui va comme suit :

Être à la remorque de sa vie, c’est se construire en réaction. C’est réagir en animal blessé, c’est se bâtir une armure avec nos blessures, petites ou grandes, tout en pensant utiliser du solide.

C’est regarder les événements fâcheux, qui sont souvent seulement des petites broutilles que l’on a le choix de considérer sérieusement ou non, et en faire des preuves, des arguments de notre colère dirigée.

Je ne peux pas écrire que j’en suis totalement vierge, mais je tends, ouvertement, à fuir ce réflexe. C’est un filtre sur la conscience au monde, un empêcheur de tourner autour des problématiques pour en extraire le plus large possible.

C’est le contraire d’être ouvert au point de vue des autres, même si cela ne veut pas dire d’accepter tout facilement.

Quelque chose comme tenir en équilibre.

Ce travailleur croit avoir trouvé par son exemple du test d’urine un argument solide, mais il ne fait qu’éclabousser son propre mal-être. S’il était heureux dans son travail et dans sa vie, il ne sentirait pas le besoin de jalouser le peu de bonheur que sont capables de se payer les « B.S. » avec sa mince contribution à l’impôt, parce qu’en fait le pourcentage de son impôt qui sert à ça, c’est tellement pas grand chose! (Pour s’étourdir, il devrait plutôt calculer le pourcentage qui va à l’armée et considérer combien sont d’accord avec ça!) Et en plus, si ça se trouve, c’est seulement une mince minorité des « B.S. » qui boivent et se droguent. Et même si c’était la majorité! Si j’en suis réduit un jour à attendre un chèque du gouvernement pour survivre, je n’ai même pas de doute que l’alcool et la drogue seront un baume sur ma peine… Toute autre réaction serait héroïque, et les héros ne vivent pas de l’aide sociale!

Pouvez-vous imaginer combien d’argent les Provinces sauveraient si les personnes qui reçoivent de l’aide gouvernementale devaient elles aussi, passer un test d’urine ?

C’est drôle, mais moi je m’imagine plus le nombre de personnes de plus à la rue et l’augmentation de la criminalité qui irait avec. Puisque ce n’est pas parce qu’un « génie » a trouvé une manière de faire économiser « les Provinces » que ces gens-là vont arrêter du jour au lendemain de faire tout en leur pouvoir pour survivre! Et quand tu es en mode « survie », dans la rue ou sur le « B.S. », c’est bien difficile de penser plus loin que son nez! C’est bien beau le concept de « se prendre en main », mais c’est tellement facile de se prendre pour un génie de l’analyse sociale quand tu vis dans le luxe, bien que tu travailles fort fort fort pour te le payer! Et ce génie-là sera le premier à chialer — après que son idée se soit retrouvée récupérée par le Parti Conservateur ou un autre avec une vue tout aussi basse — qu’il y a trop de quêteux dans les rues quand il sera en vacances de sa plateforme…

Et il reste les autres, ceux qui n’ont pas le choix, pour plusieurs raisons : est-ce qu’eux aussi passeraient le test d’urine? Une autre question : combien ça coûterait faire ces tests?

C’est bien ça qui m’énerve avec ce raisonnement : ça semble se tenir au premier abord (et je suis généreux!), mais ça s’écroule aussitôt qu’on en fait le tour. Parlez-moi de créativité pour aider ces gens à se sortir de ce cercle vicieux, parlez-moi de tout sauf de profiteurs, parce que pour trouver des profiteurs, c’est beaucoup plus facile en pointant n’importe où ailleurs! Parlez-moi d’améliorer la société pour amoindrir la possibilité que des gens préfèrent se laisser mourir plutôt que de participer. Parlez-moi intelligemment, et de grâce, débarrassez-vous de vos frustrations avant de vouloir refaire le monde!

 

(Photo : Monyart)

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