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Laïcité et valeurs, le dernier combat

Par Renart Léveillé

Depuis quelque temps, le sujet de la laïcité revient et revient sous ma plume alors que je me dois d’écrire pour mon texte de la semaine sur Les 7 du Québec. C’est un hasard, et je le trouve heureux.

Juste comme je réfléchissais à quoi choisir comme sujet, je tombe via un tweet de Jeff Plante (@JF_Plante) sur le billet « Laïcité et éthique chrétienne ». Il y est question des avis divergents de Normand Baillargeon et Jean-Marc Piotte face au livre « La culture religieuse n’est pas la foi — Identité du Québec et laïcité » de Guy Durand, défendu par Jean Laberge, l’auteur dudit billet.

Dans le premier chapitre, Durand recueille de très nombreux témoignages de Québécois qui, aujourd’hui comme hier, ont façonné le Québec par l’héritage chrétien et ce, dans tous les domaines d’activités, voire même dans les institutions démocratiques elles-mêmes du Québec. On sait que la question de la laïcité de l’État québécois s’est cristallisée autour du fameux crucifix de l’Assemblée nationale. Les tenants de la laïcité intégrale ou stricte l’ont en horreur, même des croyants. Durand plaide pour conserver le crucifix car il fait partie de notre fibre d’être québécois, que nous soyons ou non des croyants, voire chrétiens.

Premièrement, le crucifix à l’Assemblée nationale ne me semble pas tellement cristalliser la question de la laïcité, même que je crois que ce serait le dernier symbole religieux à garder sa place, vu son caractère très historique. Par contre, en fouillant plus profondément dans l’Histoire, justement, il est clair que ce crucifix, en plus d’être le premier symbole du christianisme, est le puissant symbole du contraire de ce que la laïcité prône : « ce crucifix a été donné par l’archevêque de Québec à Maurice Duplessis pour sceller l’alliance entre l’Église et l’État. »

Et j’ai pris la peine de spécifier qu’il fallait fouiller « profondément » parce qu’il est certain que ce détail de l’Histoire échappe à la grande majorité des Québécois. Alors, ça me fait bien rigoler de lire que ce crucifix « fait partie de notre fibre d’être québécois ». Et c’est encore plus drôle quand on se rappelle que le changement de dénomination (et identitaire), de Canadien-Français à Québécois, s’est produit grâce à la Révolution Tranquille, qui était beaucoup une réaction au règne de Maurice Duplessis… Tentative de réécriture de l’Histoire?

Mais je ne voulais surtout pas écrire un billet au sujet du crucifix à l’Assemblée nationale (même si je pourrais seulement me concentrer ici à développer qu’en fait la possible disparition de ce symbole fait bien plus peur aux détracteurs de la laïcité que sa présence ne fait peur aux pro-laïcité). La question qui m’intéresse concerne plus amplement le lien entre la culture (l’« Ensemble des formes acquises de comportement de l’être humain. ») et la religion au Québec. Parce que l’essentiel du discours de Jean Laberge, nourri par Guy Durand, consiste en une énumération de l’ « héritage chrétien », avec l’aide de figures emblématiques du Québec comme Michel Chartrand et Camille Laurin, afin de justifier la place de la religion, enfin de sa tradition, aujourd’hui.

Le problème que j’ai avec ce discours, c’est qu’il déborde de la question étatique. C’est que même la laïcité stricte ne pourrait empêcher la population, si elle le désire, de célébrer son héritage chrétien. La culture en est bien sûr imprégnée, et un mur vide où était précédemment un crucifix, et un employé de l’État qui laisse dans sa poche un pendentif avec une croix, et une employée d’un service étatique qui laisse son voile à la maison, ne pourront changer ça. Et, pour ce qui est des valeurs, ce vers quoi tout le discours de Laberge tend, j’ai un gros bémol…

Je vais l’écrire d’emblée, son message prône l’emprisonnement, voire même la prise en otage de la culture et des valeurs par l’héritage de la religion. Et je me pose la question à savoir si le but est d’actualiser le lien entre la société et la religion (bien sûr catholique). Je m’explique, premièrement avec une question : même si je suis d’accord que les valeurs des êtres humains ont beaucoup été influencées par la religion — par son omniprésence historique dans les sociétés —, est-ce que ces valeurs sont indissociables de cet héritage?

La réponse est bien sûr non. Et la transmission de ces valeurs ne dépend pas exclusivement de la pratique religieuse, en plus. Si « Sergio Leone, le réalisateur des fameux westerns-spaghetti, bon athée et anarchiste, n’a pu s’empêcher d’user d’images religieuses chrétiennes dans son cinéma que la longue tradition catholique lui a légué en héritage », comme le souligne Laberge dans son billet, un athée comme moi peu bien élever sa fille selon une majorité de valeurs que la religion catholique ne nierait absolument pas. Alors, pourquoi toujours revendiquer la paternité religieuse des valeurs puisqu’elles ne disparaissent visiblement pas avec la remise en question de la religion, qui vient entre autres avec la laïcité? J’irais encore plus loin, elles ne disparaîtraient pas si une pilule distribuée à la totalité de la population mondiale réussissait à faire disparaître le phénomène religieux et la croyance en Dieu. Je dis qu’elles ne disparaissent pas, mais je sais très bien que le discours religieux actuel trouve justement sa base sur la peur, ou une certaine constatation — qui relève beaucoup à mon avis de l’hypocondrie — de la perdition du mode de vie occidental. À la base, c’est le propre du conservatisme et du traditionalisme d’avoir peur de l’évolution et du changement, alors ce n’est pas bien difficile à réfuter.

Et, parlant d’évolution, je crois que la religion a été nécessaire à l’évolution des sociétés humaines (beaucoup vers la gauche au Québec comme le souligne Laberge, et pourtant beaucoup vers la droite par exemple aux États-Unis…). La religion a institué une cohésion sociale qui aujourd’hui est bien assimilée (pas toujours avec bonheur, j’en conviens). Ce que la société rejette aujourd’hui de la religion est seulement ce qu’il lui reste de poussiéreux, d’archaïque. Et la religion était bien utile là où l’éducation était quasi inexistante. Alors, je crois que le défi actuel, étant donné que la population est beaucoup plus éduquée, est de remettre en question ces valeurs héritées de notre passé et, une fois le test remporté, de les célébrer en toute connaissance de cause. Cela serait bien tout le contraire d’écrire tout bonnement, comme l’a fait Guy Durand, comme une gifle à l’intelligence humaine : « Les valeurs chrétiennes sont nécessaires à la vie. » J’admets qu’en gommant l’adjectif « chrétiennes » l’énoncé a du sens, mais en gommant aussi la définition biologique en lien avec la vie. Personne ne peut mourir par manque de valeurs, encore moins chrétiennes…

Et dans cette idée de défi actuel, ce pour quoi toutes ces questions me sont intéressantes, il y a pour moi la conviction que l’abandon total de la religion (comme béquille sociale) ne pourrait que donner un coup de main à la réflexion globale. Et c’est déjà en cours de toute façon, depuis que l’État a purgé la religion de ses entrailles. Mais il reste encore des stigmates à éliminer, alors on voit clairement la terreur dans les yeux de certains croyants.

(Photo : brioso)

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Pas même la prière à Voltaire…

Par Renart Léveillé

Du côté de nos voisins « Politicoblogue », un dénommé Loup Kibiloki prend la défense de la croisade anti-laïcité du maire Jean Tremblay. Pour ce faire, il lui propose de s’inspirer de la Prière à Dieu de Voltaire, qui était lui-même un déiste anticlérical. Il pointe donc une prière « qui ne réfère à aucune religion en particulier » et qui pourrait rallier tout le monde, enfin presque… Serait-ce donc là la solution tant rêvée? Je suis loin de le croire. Encore moins quand cette idée prend sa source dans cette conception de la « fonction » de la prière :

Quoi qu’on dise, quoi qu’on pense, la prière demeure une fonction radicale, vitale, fondamentale, de la psyché humaine, elle existe sous une multitude de formes depuis la nuit des temps, elle existe aujourd’hui, continuera à exister dans l’avenir, elle ne s’éteindra pas.

Fonction radicale, ça se défend, si on y tient vraiment. Fonction fondamentale, c’est hautement subjectif. Et fonction vitale, c’est purement mensonger. Manger et boire, c’est vital, mais y’a-t-il un seul cas de mort pour s’être abstenu de prier? Mais bon, je vais peut-être trop loin, étant donné qu’il est seulement question de « psyché humaine ». Alors, une autre question plus réaliste : existe-t-il un seul cas prouvé de maladie mentale causé par le fait de s’être abstenu de prier? Encore plus, le fait d’être athée est-il à risque pour la santé mentale?

Si on lit tout le texte, il est très facile d’y voir aussi que la prière serait en quelque sorte l’assurance d’une société meilleure. Comme quoi une certaine idée de la perdition de la société passerait par l’abandon des rites traditionnels comme la prière avant les réunions, les repas, etc. Et, pour aller encore plus loin, on a l’impression que Jean Tremblay serait le porte-flambeau d’un mouvement de réhabilitation dans ce sens. Par la quantité de ses appuis et de ses détracteurs, on le désigne puissant comme le chef du village des irréductibles Gaulois qui résistent contre l’oppresseur romain, c’est-à-dire les méchants défenseurs de la laïcité dans le monde politique.

Mais si on revient à la question de base, que la prière soit la représentation d’une religion en particulier ou une confession de foi théiste ne change pas grand-chose. Une prière, quelle qu’elle soit, est une manifestation. On ne peut pas dire qu’une absence de manifestation (ce que les laïcistes demandent) est une manifestation. Comme on ne peut pas dire que l’athéisme est une religion. Idem pour ce qui est de la laïcité. Soyons sérieux et regardons ce que les mots veulent dire!

Je ne nie pas qu’une prière peut avoir du sens pour un croyant et participer à son bonheur. Ça serait de la malhonnêteté de ma part. Par contre, il faudrait que les croyants qui veulent l’imposer dans la sphère publique soient aussi honnêtes. À partir du moment où possiblement une seule personne se sentirait étrangère à cette pratique, c’est la base du civisme que de la mettre de côté. Et, pour moi, c’est de cette éventualité dont il est le plus question avec le mouvement laïc.

Et pour ceux qui comme Loup Kibiloki voient le sujet de la prière comme une question de vie ou de mort, j’espère que leurs prières personnelles en privé pourront contrebalancer la perte future des prières publiques pour leur équilibre mental…

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