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Les citoyens du monde



Par Renart Léveillé

Dans son billet « Pour l’histoire », Mathieu Bock-Côté soulève une caractéristique majeure de notre époque, ce qu’il appelle le « présentisme », à prendre bien sûr dans son sens le plus négatif (l’auteur étant de la mouvance conservatrice) :

Le présentisme consiste à croire que le présent se suffit à lui-même. Il repose sur l’oubli de l’histoire, comme si le passé n’avait rien à nous apprendre, comme si nous n’avions pas reçu de nos ancêtres un héritage à préserver, à faire fructifier.

Dans ces propos, je ne suis pas d’accord qu’il faille absolument « préserver » quoi que ce soit sans le mesurer au présent (je ne suis pas un conservateur), mais en gros je suis d’accord que la fuite en avant n’est pas la meilleure solution pour régler les problèmes identitaires actuels qui viennent avec la mondialisation.

Et l’auteur vise tout à fait juste quand il pointe ce qu’il appelle la « Troisième faille » :

nous oublions les vertus de l’enracinement. Combien sont-ils à vouloir comme seul passeport celui de « citoyen du monde ». Dans l’angle mort de cette vision, toutefois, on trouve une terrifiante superficialité : celui qui aime toutes les cultures n’entretient-il pas finalement un rapport de consommateur avec chacune d’entre elles en se contentant de les explorer en surface ? Ce n’est pas parce qu’on est allé un jour à Zaghreb qu’on est familier avec la culture croate. Ce n’est pas parce qu’on aime les mets brésiliens que l’Amérique du Sud n’a plus de secrets pour nous.

Personnellement, si je suis un citoyen du monde, j’ai l’honnêteté de le placer à la bonne place, juste avant le fait d’être terrien dans l’univers : dans la possibilité où il existerait des habitants d’autres planètes… Quelqu’un qui peut véritablement se targuer d’être principalement un citoyen du monde, c’est tellement rare que c’est actuellement plus du domaine du fantasme. Qui peut bien faire assez le tour du monde pour bien s’imprégner des cultures et des langues à ce point? Et se servir seulement de sa connaissance de l’anglais pour ce faire, c’est mieux que rien, mais il y a mieux…

Alors, j’en arrive à la conclusion que de se dire citoyen du monde, c’est beaucoup faire fi de l’importance de la proximité, dans son sens le plus large. C’est en quelque sorte du snobisme pour ce qui a mijoté et ce qui mijote à notre portée immédiate, même s’il est impossible d’y échapper tout à fait; enfin, pour l’instant : si le web parvient un jour à tout à fait nous happer au quotidien il en sera autrement. Et, si je ne m’abuse, cette propension à dénigrer l’appartenance locale est justement une des conséquences du développement du web et de la possibilité d’avoir un sentiment d’appartenance planétaire par cela, bien qu’il soit encore plus superficiel que le tourisme. (Ici, je ne dis pas que ce que l’on vit via nos expériences sur internet ne vaut rien, mais bien qu’il faut au moins les remettre en perspective vis-à-vis de nos autres activités.)

Après le tourisme et le « surf des interwebs », il y a bien sûr l’immigration comme mécanique encourageant cet idéal de la citoyenneté mondiale. Justement, combien sont-ils à considérer le Québec comme une succursale du monde en occultant qu’il y a ici une culture (majoritaire) qui trouve son consensus dans une langue, héritée du colonialisme français et colorée d’américanité? Et qui osera réfuter que le multiculturalisme canadien ne soit pas dans cette même lignée?

Et encore, je soupçonne fortement que cette mode du « citoyen du monde » alimente le cynisme politique actuel. C’est bien clair, quand quelqu’un ne se sent pas citoyen de l’endroit où il vit, il peut bien se désister politiquement de ce qui se passe autour de lui : nos problèmes communs ne le concernent pas.

Depuis toujours, je comprends que cette attitude est une manière de se montrer tolérant à tous prix, puisque de pointer ouvertement où nous sommes et d’où nous venons (dans son sens le plus large) a été amalgamé au sectarisme. Si je dis et que je démontre de l’importance pour le fait que je suis un Québécois de langue française, donc par le fait même que je ne suis pas un citoyen du monde, j’ai l’air louche dans certains milieux qui se la jouent plus « évolués » en se proclamant citoyens du monde. Pourtant, il n’est même pas question de déprécier qui que ce soit, comme le font certains ultranationalistes, mais bien de prendre le pari du réalisme et de la conjoncture.

Parce qu’il ne faut pas se raconter d’histoires…

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Gaz de schiste : un libertarien notoire d’accord pour un moratoire

J’ai bien l’impression que la mâchoire de quelques droitistes va tomber lorsqu’ils vont apprendre que le libertarien Martin Masse est pour un moratoire sur l’exploitation des gaz de schiste. Cela aura au moins l’avantage de séparer le grain de l’ivraie…

Et je mentirais si j’écrivais que ça ne m’a pas surpris. Mais en lisant l’argumentaire, j’ai constaté que c’est tout à fait logique. Si le libertarianisme est tout à fait contre l’État, il faut bien qu’il soit pour les citoyens, et pas seulement quand il s’agit des questions économiques. Et il est limpide que la question de l’exploitation des gaz de schiste n’est pas qu’économique, a contrario de ce que le gouvernement actuel et ses copains gazants essayent de nous faire croire.

Je vais me permettre ce citer l’auteur avant de continuer :

Le «développement économique» n’est pas une valeur en soi, il doit toujours se faire dans le respect de la propriété et des droits individuels de chacun. C’est ce point de vue qui différencie le libertarianisme d’une droite affairiste et corporatiste qui vise uniquement à engranger les recettes en exploitant tout ce qui s’offre à elle et par n’importe quel moyen, y compris en s’acoquinant avec l’État. C’est justement ce qui semble se produire dans cette industrie.

Donc, ici, l’État devient le contraire de ce que j’appellerais le « syndicat général des citoyens » (je le nomme ainsi même si je sais que cette formulation donnera pour certains l’impression d’être le son des ongles grattant fortement sur un tableau noir…). Pour le formuler autrement, les retombées positives pour les citoyens semblent être dans le bas de la liste du gouvernement, puisqu’on ne prend pas au sérieux la peur légitime de retombées négatives, alors qu’il n’est pas dit lesquelles retombées pèseraient le plus dans la balance, et s’il est acceptable qu’il y en ait des négatives, globalement ou en partie.

Et, comme il est soulevé dans le texte au niveau de l’exploitation des ressources naturelles dans le sous-sol, la réglementation ne fait pas de différence entre un sous-sol en région sauvage, peu peuplée ou habitée, voilà où le bât blesse! Le gouvernement n’a qu’à décider de fermer ou d’ouvrir l’oreille selon ses désirs, selon ce que lui dicte la boule de cristal de l’électoralisme. Et en ce moment, avec un parti libéral en train d’imploser, est-ce que ce seront les décisions de la dernière chance? (« Take the money and go, Johnny go! »)

Quant à la question de la pollution versus les industries que Martin Masse soulève, je suis tout à fait d’accord, même que j’ai toujours considéré les pollutions comme étant liberticides :

avec la nationalisation non seulement du sous-sol, mais de l’environnement dans son ensemble, la pollution, qui devrait être considérée comme une atteinte à un droit de propriété, est devenu un problème d’«externalité» géré par l’État au moyen d’une réglementation. Dans les faits, l’État donne depuis plus d’un siècle des permis de polluer à des industries et empêche les victimes de poursuivre les pollueurs. On ne peut ainsi s’opposer au «développement économique» si ça fait l’affaire du gouvernement et de ses copains du secteur privé qui finance sa caisse électorale, même si ce développement nous agresse, détériore notre environnement et notre propriété et tue notre qualité de vie.

Par contre, j’ai un peu de difficulté avec l’idée du « droit de propriété » dans ce contexte, que je remplacerais par une formulation plus proche du « droit au respect », ce qui serait plus global. Je pense par exemple à un respect égal, à un endroit donné, des propriétaires et des locataires, ce que le « droit de propriété » ne suggère pas.

Autre bémol, j’en ai contre cette vision, détaillée en conclusion :

Voilà un bon dossier où les libertariens doivent absolument se démarquer de la droite affairiste et corporatiste et défendre les citoyens ordinaires pour rester crédibles, même si ça signifie qu’on se range pour une fois du côté des bien-pensants étatistes.

Je ne crois vraiment pas que l’expression « bien-pensants étatistes » ait tellement de prise sur la réalité. Combien de citoyens impliqués se réclament clairement et réellement de l’étatisme? Pour la plupart des gens, l’État est un (bien ou un) mal nécessaire, qui en soi relève plus de la tradition que du désir. Il est (supposément) utile et s’il s’avère franchement un jour ne plus l’être, j’espère bien que ce ne sera pas la tradition qui le maintiendra en vie…

Si les citoyens, même les artistes, se dressent pour contester le chemin qu’emprunte l’industrie gazière et le gouvernement, ce n’est assurément pas pour glorifier la pensée étatiste! Il ne faut pas prendre des vessies pour des lanternes!

(Photo : Shandchem)

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Bonne fête (en retard) Pierre Elliott Trudeau!

Je suis un peu en retard pour la fête de Pierre Elliott Trudeau, c’était au début de la semaine, le 18 octobre. Je ne suis pas désolé, comme il ne l’a jamais été, visiblement, pour son oeuvre.

Je suis tombé un peu avant cette date sur un texte parfait pour honorer sa mémoire, dans le sens le plus réaliste du terme. Ça vaut vraiment la peine de le lire, mais pour les paresseux, je pourrais bien en faire ressortir les grandes lignes.

L’héritage de P.E.T :

Dette publique : la majeure partie de l’endettement du Canada est due à ce grand gestionnaire… Pour « payer des programmes sociaux, des salaires, et plein de dépenses courantes. »

Les relations Québec-Canada : rapatriement de la Constitution sans l’accord du Québec, entre autres. « Nous sommes toujours dans ce vide constitutionnel ».

Politique favorisant le multiculturalisme : « Tout ça parce qu’un parano au pouvoir à l’époque a fait adopter cette politique dans le but d’empêcher les « Canadiens français » d’être les seuls à se distinguer de la majorité anglo-saxonne blanche et protestante. »

Charte des droits et des libertés : « J’ai le droit de me sentir insulté si la société dans son ensemble fête Noël, considère la femme égale de l’homme ou si on m’oblige à apprendre le français ou l’anglais. »

Aéroport de Mirabel (avec bien sûr les expropriations qui ont été avec) : « L’insulte s’est ajoutée à l’injure quand le gouvernement Chrétien a nommé l’aéroport international de Montréal en l’honneur de ce triste individu ».

Démantèlement du réseau de chemin de fer « pour favoriser le camionnage ».

Création de la FIRA (agence de tamisage des investissements): « on reconnaît aujourd’hui que cette Agence a considérablement freiné le développement économique du Canada. Pendant cette période, le nombre de chômeurs canadiens a presque quintuplé, passant de 300 000 à 1,4 million. »

Dire qu’il est un dieu pour certaines personnes…

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Prix à la consommation : comme une odeur de prise d’otage

Il y a de ces choses qu’on sait, mais quand on se les refait remettre en pleine face, elles puent. C’est ce qui m’est arrivé quand j’ai cliqué sur le lien donnant la réponse à la question d’un blogueur : « Combien ça coute à fabriquer les cochonneries que l’on achète? »

Ça m’a mené sur le site Sympatico, section Finances, où on explique combien ça coute approximativement produire un CD :

Le coût pour convertir les chansons d’un musicien en un CD inclut le prix de l’enregistrement et du mixage audio. Il faut aussi payer les droits d’auteur et la licence pour la distribution. Avec les dépenses supplémentaires des matières premières et de l’artwork, James Wilkinson de Goldirock Records évalue le coût de production pour une grande nouveauté à 2,50 dollars. L’album Dangerous – Remastered [de Michael Jackson] se vend présentement à 14,99 dollars.

Le site donne quelques autres exemples. L’iPod Nano (8 Go) coute 96 dollars à produire, « un chiffre qui n’inclut pas le coût de la main-d’œuvre », et il est vendu à l’Apple Store 169 dollars. Pour 300 grammes de café, le plus récent prix était de 85 cents, pour une revente de 5 dollars, après « avoir été torréfié, moulu et emballé ». Pour le riz, c’est 33 cents versus 3 dollars pour un kilo. Les souliers de course, 10 dollars versus 80 dollars (« ce chiffre n’inclut pas les budgets des compagnies en ce qui concerne la recherche et développement, la publicité et le transport »). Les jeans, 20 dollars versus 70 dollars.

D’un autre côté, on apprend que Sony ne fait pas de profit avec sa Playstation 3, mais se rattrape un peu avec son lecteur Blu-ray : 115 dollars versus entre 300 et 350 dollars. Apple avec son iPhone 3G en fait beaucoup moins que les premiers exemples : un prix de vente à 299 dollars pour un cout de production de 208 dollars. Et pour terminer, la voiture électrique Tesla se vend environ 120 000 dollars pour un cout de production de 90 000 dollars.

Je ne remettrai pas en cause ici l’idée du profit, mais il faut avouer qu’il y a de l’abus pour quelques produits, comme les CD de musique. Et il semble que les consommateurs prennent leur revanche en ce moment avec les possibilités de téléchargement illégaux, et même légalement, puisqu’on peut se payer des chansons à la pièce. Mais loin de moi l’idée de blâmer toute l’industrie de la musique. Elle était une pompe à fric pour les grands « majors », pas vraiment pour les petits joueurs, puisque pour ces derniers il n’y a pas de volume, enfin si peu.

Mais pour des produits comme le riz, aliment de base d’une grande partie de l’humanité, c’est tout à fait déraisonnable. Il y a comme une odeur de prise d’otage qui se dégage. L’article dit clairement que malgré une baisse de près de la moitié (de 62 cents à 33 cents le kilo), le prix coutant était à la hausse en 2008. En sachant cela, j’ai le loisir d’opter pour d’autres aliments, et je pourrais très bien arrêter mon raisonnement là…

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Éducation pour tous : rêver l’inaccessible rêve

L’UNESCO sonne encore un fois l’alarme, dans son dernier rapport sur les progrès de l’éducation pour tous, à propos du faible niveau de scolarité dans de nombreux pays. Encore une fois, et sans doute encore plus en cette période de crise économique mondiale, l’alarme risque de sonner dans le vide. Certes il y a eu progrès, mais c’est le progrès d’une tortue avançant au ralenti, et tout indique qu’un recul n’est pas impossible.

Une des grandes erreurs en matière d’apprentissage est de croire que la tête est la partie du corps à laquelle il faut d’abord s’adresser. Or, la tête n’est pas disponible tant que le ventre n’a pas été contenté. Concentrez-vous sur ce que vous allez lire : un enfant de moins de cinq ans sur trois souffre de malnutrition. Si vous avez lu sans difficulté, il y a de fortes chances que votre enfant ne soit pas dans ce lot des mal nourris.

La qualité de l’alimentation est une difficulté de taille dans la capacité qu’ont les enfants fréquentant l’école de faire des progrès scolaires. Mais même si on pouvait étendre partout dans le monde la très belle initiative du Club des petits déjeuners, un autre obstacle tout aussi énorme devrait encore être franchi : celui de l’équité pour tous les enfants.

L’UNESCO constate dans son rapport que l’équité est loin d’être une réalité :

Dans plusieurs pays des éléments de base comme l’électricité, les sièges et les manuels, demeurent rares.

Le nombre d’élèves par enseignant est plus élevé dans les pays pauvres et on constate même des pénuries marquées d’enseignants en Asie du Sud et de l’Ouest et en Afrique subsaharienne.

La faible qualité de l’enseignement pour de trop nombreux enfants. Les meilleurs enseignants ne sont pas dans les quartiers urbains ou les régions rure pauvres, là où on aurait besoin de leurs talents.

Les filles sont toujours les plus touchées par la non scolarité.

Ce qui précède tient en bonne partie à une très grande disparité dans les dépenses d’éducation. L’Amérique du Nord et l’Europe occidentale engagent plus de 55 % des dépenses mondiales d’éducation pour 10 % de la population âgée de 5 à 25 ans.

Même dans ces régions riches du monde il y a des écarts entre les plus pauvres et les autres élèves. Imaginez dans les régions pauvres du monde…

Certes, il y a un travail énorme à accomplir dans plusieurs pays pour améliorer la situation à la fois en amont (formation des enseignants, amélioration des manuels scolaires et de tout ce qui contribue à un meilleur enseignement, y compris l’alimentation des enfants et la qualité des lieux d’enseignement) et en aval (évaluation des impacts des mesures mises en place pour parvenir à une meilleure scolarité avec comme objectif que chaque être humain puisse aller jusqu’au bout de ses possibilités).

Tout ce travail sera cependant considérablement ralenti tant que la recommandation suivante de l’UNESCO demeurera lettre morte : que les donateurs s’engagent en faveur de l’équité dans l’aide à l’éducation.

Trop d’enfants reçoivent une éducation de qualité si médiocre qu’ils quittent l’école dépourvus des compétences de base en matière d’alphabétisme et de numératie. Enfin, des disparités profondes et persistantes fondées sur la richesse, le sexe, le lieu de résidence, l’appartenance ethnique et autres marqueurs du désavantage constituent un obstacle majeur aux progrès dans le domaine éducatif. Si les gouvernements du monde prennent au sérieux l’éducation pour tous, il faut qu’ils pensent plus sérieusement à lutter contre l’inégalité.

Koïchiro Matsuura, Directeur général de l’UNESCO.

Avec la santé, l’éducation est une des clés du développement des pays les plus pauvres. Le dernier rapport annuel de l’UNESCO sur les progrès de l’éducation dans le monde démontre que cette clé est encore inaccessible dans de trop nombreuses régions du monde.

Vaincre l’inégalité : l’importance de la gouvernance. Rapport mondial de suivi sur l’Éducation pour tous 2009. (Résumé du rapport en français et rapport intégral en anglais.)

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Retour sur les leçons de vie d’un grand économiste hélas disparu

En lisant le billet d’hier, cela m’a rappelé quelque chose que j’avais écrit lors du décès de Kenneth Galbraith en avril 2006. Exceptionnellement, je vais reprendre aujourd’hui, ici, ce billet. Loin de moi l’idée de contredire mon collègue, bien au contraire, mais plutôt d’ajouter à ses propos une dimension trop souvent occultée par les gourous de tout acabit : au-delà de la liberté de s’enrichir, la vraie question demeure celle de la répartition du pouvoir. «Toute la vie intellectuelle de John Kenneth Galbraith aura été consacrée à vouloir mettre l’économie au service de l’homme, et non le contraire. Il se sera éteint sans voir son rêve se réaliser. Pire, la vision réductrice de l’économie qu’il a combattue et dénoncée jusque dans les dernières années de sa vie est plus que jamais triomphante », avais-je écrit en 2006. On voit maintenant l’envers du miroir déformant qui nous a fait prendre pour liberté ce qui était enchaînement à une logique inhumaine.

Il n’y a pas que l’argent qui compte dans l’analyse de l’économie, rappelait Galbraith dans une entrevue accordée à Harry Kreisler en 1986 (Conversation with John Kenneth Galbraith). Trop souvent on oublie le rôle du pouvoir dans les choix économiques.

N’en déplaise aux orthodoxes du marché comme grand ajusteur de l’économie, au moins la moitié de toute l’économie [mondiale, ais-je besoin de préciser] est planifiée par les grandes corporations qui dominent le marché.

The modern corporation has extensive control over its prices and its costs, and, even its ability to control (or at least influence) the tastes of its customer. They even have substantial influence over the sources of their supplies. And even major control over finance and their ability to attract credit.

Richard Lichty. Lecture from John K. Galbraith, « Power and the Useful Economist » (note pour le cours Radical Economics).

Un des piliers de la théorie économique dite néoclassique veut que seule la recherche du profit motive les décisions prises par ces «agents économiques» que sont les grandes corporations.

Il y a quelque chose de totalement absurde à prétendre que d’un côté les gouvernements peuvent prendre des décisions «politiques» nuisibles au Technorati économique, mais que de l’autre les grandes corporations prennent des décisions «purement économiques» bénéfiques en soi.

Il y a quelque chose d’encore plus absurde à ne pas reconnaître l’influence énorme des grandes corporations sur les mêmes décisions «politiques» des gouvernements qui curieusement leurs sont favorables.

Les grandes corporations ont des problèmes temporaires qui les empêchent de réaliser des profits, voire qui pourraient signifier à terme la faillite? Qu’à cela ne tienne. Les États volent à leur secours. Même l’ Technorati internationale au développement est, en fait, une aide aux grandes corporations qui étendent leur influence dans le monde.

Dans son dernier ouvrage, Galbraith s’en prend à la «novlangue» des économistes et idéologues de tout crin qui ont rebaptisé «économie de marché» ce qui est en fait «capitalisme».

Galbraith dénonce aussi l’incroyable pouvoir des actuels dirigeants des grandes corporations. Aux États-Unis, ce pouvoir est doublé d’une interpénétration incestueuse entre l’administration publique et ces puissantes administrations privées qu’elles sont devenues.

Toute sa vie, Galbraith aura dénoncé ces «mensonges de l’économie» qui font croire que la consommation est l’arme absolue des individus contre les abus de pouvoir des grandes entreprises qui faussent le jeu en leur faveur.

À son honneur, il pourra revendiquer de ne pas faire parti du panthéon de ces gourous de l’économie qui nous prennent pour des imbéciles.

Au moins n’aura-t-il pas vendu son âme d’économiste pour un plat de mathématiques.

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