
Un article que j’ai lu cette semaine m’inspire ce billet. Beaucoup croient à tort que le système de santé américain est un libre-marché capitaliste, simplement parce qu’il comporte des hôpitaux et des cliniques privées, ainsi que des assurances privées. L’article en question déboulonne ce mythe en démontrant que le système de santé américain est tout sauf un marché libre. Je vais, pour le bénéfice de mon audience francophone, reprendre ses principaux arguments et y ajouter quelques touches personnelles.
Le Monopole de l’AMA
Pour commencer, l’American Medical Association ou l’AMA, dispose d’un monopole octroyé par le gouvernement américain sur le système de santé depuis plus de cent ans. Comme notre Collège des Médecins, il restreint intentionnellement le nombre de médecins pouvant pratiquer la médecine afin de gonfler artificiellement les revenus des médecins. La façon qu’elle s’y prend est d’utiliser le pouvoir coercitif de l’état pour limiter le nombre de facultés de médecine en opération. Depuis sa création en 1904, le nombre d’universités offrant un doctorat de médecine a diminué de 26% alors que la population a augmenté de 284%.
En 1996, l’année où on a reçu le plus grand nombre d’applications, seulement 16 500 candidats sur 47 000 furent acceptés. Même s’il est commun dans plusieurs universités d’avoir un taux de refus élevé, les postulants aux facultés de médecine sont parmi les plus brillants, ayant tous eu de très hautes notes dans leurs examens SAT. Il est donc plutôt anormal que les 2/3 d’entre eux soient refusés. Le monopole médical marginalise aussi les pratiques alternatives, les sages-femmes et infirmières qui pourraient facilement s’acquitter de certaines tâches accomplies par des médecins.
L’AMA contrôle également les bureaux des états qui attribuent aux médecins leurs permis de pratique. Un médecin ne peut pas pratiquer sans ce permis, ce qui limite la compétition. Chaque État américain a une agence qui emploie plusieurs membres de l’AMA afin de décider quels médecins sont supposément qualifiés . Ils sont également charcés de maintenir leur code de déontologie et garder les incidents le plus loin possible de l’œil du public. Ces agences se font les protecteurs du grand public au nom de la sécurité des citoyens, mais leur véritable rôle est de limiter le nombre de médecins afin qu’ils puissent réclamer plus pour leurs services.
On pourrait répondre que de limiter le nombre de médecins est une bonne chose, parce que seul les plus talentueux auraient le droit de pratiquer, mais pourquoi s’arrêter là? Selon cette logique, on pourrait limiter le nombre à seulement les mille meilleurs, ou les cent meilleurs. Nous n’aurions alors que la crème de la crème, mais nous aurions aussi bien du mal à nous faire soigner.
Qu’arriverait-il si nous limitions les automobiles de cette façon? Si nous limitions le nombre de voitures aux modèles ayant la meilleure qualité et sécurité, les BMW et Mercedes auraient la cote et la plupart d’entre-nous se déplaceraient à pied. Serait-il possible d’avoir accès à un médecin un petit peu moins brillant, pour un petit peu moins cher. Pas nécessaire qu’un médecin soit diplômé de Yale ou Harvard pour diagnostiquer un rhume. Celui d’un collège moins huppé ferait parfaitement l’affaire et coutera probablement moins cher.
Dans un marché libre, tous les médecins seraient libres de pratiquer. Ils devraient avoir eu une formation, bien entendu, mais un médecin incompétent finirait par perdre ses client et faire faillite. De plus, il pourrait y avoir des agences de protection du consommateur qui pourraient maintenir des listes de médecins avec leur réputation, leurs taux d’accident, etc. Il pourrait au minimum avoir plusieurs associations médicales en concurrence l’une avec l’autre qui pourraient certifier la compétence des médecins. Les consommateurs auraient plus de choix et la plus grande concurrence entre médecins ferait baisser les honoraires.
Les Assurances-Maladie
Une des choses qui contribuent le plus à faire gonfler les coûts de santé est le système de tiers-payeur, où nous nous faisons payer la plupart de nos factures par quelqu’un d’autre. C’est-à-dire que nous utilisons une « assurance » qui est financée surtout par des corporations ou le gouvernement. Ce système a commencé aux États-Unis avec Blue Cross et Blue Shield au début du 20e siècle, mais a réellement pris son envol pendant la deuxième guerre mondiale, alors que le gouvernement américain imposait un contrôle strict des salaires. Puisque les employeurs ne pouvaient offrir de meilleurs salaires pour attirer la main d’œuvre, ils ont commencé à offrir des bénéfices marginaux, incluant le paiement des frais de santé.
Lorsque quelque chose est gratuit, ou presque gratuit, les gens en demandent plus. Si quelqu’un d’autre paie la facture, nous visitons plus souvent le médecin et nous avons moins d’intérêt à négocier les prix. La hausse de ces prix nous affecte moins. Ça ne nous dérange pas si on nous prescrit des tests plus ou moins nécessaires, ou qu’on nous réfère a un spécialiste. Ceci a bien sûr l’effet de faire gonfler les prix qui répondent à la demande accrue, non pas pour faire de plus grand profits, mais pour ménager les ressources qui sont taxées au delà de la capacité des fournisseurs de services. Avec le nombre de médecins restreint par l’AMA et la demande de soins gratuits ou quasi-gratuits qui explose, il ne devrait être surprenant pour personne que les coûts montent en flèche.
Puisque les coûts de santé sont rapidement devenus hors de portée des plus pauvres, les politiciens, au nom du bien public et pour obtenir des votes, ont créé les agences Medicare et Medicaid afin de payer les frais médicaux de ceux qui n’en avaient pas les moyens. Avec le gouvernement qui s’est mis à pomper des milliards dans le système pour approprier des ressources déjà limitées, la croissance des coûts n’a fait que s’envenimer.
Si les employeurs en 1940 avaient choisi de payer la nourriture de leurs employés, nous aurions eu le même phénomène sur les prix de la nourriture. Nous aurions une crise de l’alimentation supposément due à une défaillance du libre-marché, même si ce marché est tout sauf libre. à cause que le gouvernement américain finance un dollar pour chaque deux dollars de soins de santé et qu’une grande partie de cet argent provient de la presse à billet, une grande portion de la demande de soins de santé provient de la création artificielle de crédit. Une grande partie de la monnaie créé par la Réserve Fédérale contribue directement à faire augmenter les coûts de santé.
Chaque année, les couts augmentent à deux ou trois fois le taux d’inflation et les dépenses de santé aux É-U représentent 17% de leur PIB. Les compagnies d’assurances augmentent leur primes pour compenser, mais plus ils dépensent et plus les primes augmentent. Mais plus les primes augmentent, mois les gens ont les moyens de se les payer et plus les employeurs doivent restreindre la gamme des traitements couverts. Par contre, simplement pour prouver que les compagnies d’assurance n’augmentent pas leurs profits au dépens de leurs clients, voici un tableau des marges de profits des compagnies d’assurance-santé qui sont moins élevés en moyenne que ceux de la plupart des compagnies, mais ils seraient encore moins élevés si le gouvernement ne limitait pas la concurrence entre les compagnies d’assurance.

Bref, l’explosion des coûts de santé n’est pas due à une trop grande liberté dans ce marché, mais à un manque de liberté. Il est estimé que le coût des pourvoyeurs de santé à simplement se conformer aux diverses règlementations est de $1,546 par famille, en plus du coût moyen de $6000 par personne par an pour les soins eux-mêmes.
Et le Québec?
Le système de santé ici est différent, mais pour ce qui est de l’augmentation des coûts, nous souffrons beaucoup du même mal que les américains. Nos coûts augmentent à un rythme de 5% par an et le budget du MSSS est en voie de gruger une part de plus en plus importante du budget provincial (48% présentement) au détriment des toutes les autres missions du gouvernement. La seule raison que nous arrivons à limiter nos coûts à 12% du PIB est par le rationnement et l’attente. Les américains ont beau payer plus cher, mais ils attendent rarement plus de 3 heurs à une salle d’urgence. C’est dix fois moins long qu’à Montréal. Que l’assurance soit privée ou publique, elle cause le même aléa moral et gonfle la demande et les coûts. Si ce coût n’est pas mesuré en argent, il sera mesuré en temps. Il viendra un temps où toutes les augmentations de taxes et tarifs n’arriveront plus à suffire à financer notre système de santé. Que ferons-nous alors?